Attention à vos courriers électroniques, ils peuvent vous engager !
Le numérique ne bouleverse pas que les business models. Pour le prendre en compte, les règles et les lois sont elles aussi en pleine mutation. Chaque vendredi, les avocats Eric Caprioli, Pascal Agosti, Isabelle Cantero et Ilène Choukri se relaient pour nous fournir des clés pour déchiffrer les évolutions juridiques et judiciaires nées de la digitalisation : informatique, cybersécurité, protection des données, respect de la vie privée... Aujourd’hui, regard sur l'e-mail qui peut parfois valoir contrat.
De nombreux médias le disent condamné, relégué à jouer un second rôle derrière les messageries instantanées, le microblogging ou les réseaux sociaux. Pourtant le courrier électronique est loin d’avoir tiré sa révérence. Il permet l’échange d’informations, constitue encore actuellement une cible privilégiée pour la prospection, qu’elle soit ou non sollicitée ou encore la transmission de l’information précontractuelle pour certains contrats.
Le contenu de vos courriers électroniques peut constituer une commande ferme
Mais le contenu du courrier électronique peut également être engageant juridiquement. C’est en tout cas ce que vient rappeler la Cour de cassation, 1ère chambre civile, le 1er juillet 2015. Dans cette affaire opposant deux professionnels, la société cliente avait adressé un courrier électronique à un expert-comptable lui demandant de fournir des précisions sur le régime fiscal de salariés français expatriés en Tunisie. Une semaine plus tard, l’expert-comptable expédiait une consultation répondant aux demandes formulées ainsi qu’une facture correspondante. Cette facture était contestée au prétexte que le courrier électronique adressé par la société cliente n’était qu’une prise de contact et une demande d’informations générales et des conditions financières d’intervention éventuelle, ce que le Tribunal de commerce de Nanterre dans un jugement du 31 janvier 2014 accueillait favorablement.
La Cour de cassation fait fi de cette interprétation et s’appuie sur le contenu du courrier électronique en question. Il mentionnait : "Auriez-vous l’amabilité de me faire parvenir les informations suivantes : Impôt sur le revenu pour un étranger ? Ce pourcentage à appliquer à tous les revenus ou seulement sur le salaire, excluant les indemnités de séjour ? Quelle est la taxe locale ?". Ces questions appelaient une réponse étudiée de l’expert-comptable consulté, de sorte qu’il constituait en termes clairs et précis, une commande de consultation. Elle casse et annule la décision de première instance sous le visa de l’article 1134 du Code civil qui énonce que les contrats tiennent lieu de loi entre les parties.
En B2B, pas besoin de forme particulière pour conclure un contrat
Cette décision met ainsi en exergue, surtout en B2B, le fait qu’un écrit dûment signé n’est pas forcément nécessaire pour engager une entreprise. Conformément à l’article L.110-3 du Code commerce, sauf exceptions, la preuve peut se faire par tous moyens, y compris par le contenu d’un courrier électronique. D’autres arrêts confirment cette liberté probatoire. Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 4 juin 2015 a prononcé une résolution contractuelle... alors qu’aucun contrat n’avait été signé !
Une société avait opté pour la création d’un nouveau logiciel par un développeur sous le pilotage d’une société de conseil. Suite aux retards et dysfonctionnements, elle les avait assignés en résolution contractuelle. Les juges d’appel avaient fait droit à ses demandes en considérant que le développeur avait manqué à son obligation de résultat et la société de conseil à son obligation de conseil (pas d’appel d’offres pour sélectionner le développeur) et à son obligation d’assistance (pas de cahier des charges).
L’erreur était de croire que ne pas signer de contrat permettrait de masquer l’étendue des obligations et responsabilités des deux intervenants. De plus, les audits et comités de pilotages sont en mesure de fixer et vérifier les périmètres de l’accord consensuel renforcé par les échanges de courriers électroniques intervenus avant, pendant et après le projet.
Plaidoyer pour une gestion raisonnée des échanges de courriers électroniques
Le courrier électronique n’est donc pas sans valeur juridique. Loin de là. Il est recommandé pour toutes les entreprises de sensibiliser leurs salariés quant à l’utilisation de leurs adresses de courrier électronique. Tout n’est pas permis et on peut penser que le comportement attendu puisse être fixé dans le Règlement intérieur et/ou une charte des outils informatiques, souvent utilisée pour réguler le recours à des fins personnelles de ces outils, mais qui est aussi nécessaire pour rappeler la vigilance attendue quant à la communication extra-entreprise.
Un courrier électronique pourra être produit en justice à tout moment. Dans le cadre des grandes entreprises, pour des projets d’envergure, mieux vaut que le seul Contract manager, interne ou externe, soit en relation avec le prestataire pour centraliser les mails et les différents documents relatifs à l’évolution du projet.
Pascal AGOSTI, Avocat associé, Docteur en droit
Attention à vos courriers électroniques, ils peuvent vous engager !
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