[Avis d'expert] Le management en télétravail ou la nécessité de créer une machine à café virtuelle

Aude Boughaba, responsable ISG SEMEA, Gestion du changement et organisationnel, revient sur le grand changement vécu par les entreprises avec le télétravail généralisé avec plus ou moins de bonheur. En disparaissant en raison de la distance, tous les petits moments informels montrent leur absolue nécessité. Loin d'être une perte de temps, la pause café révèle toute son importance et il est urgent d'en trouver un équivalent pour temps confinés.

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[Avis d'expert] Le management en télétravail ou la nécessité de créer une machine à café virtuelle
Pendant la pause-café, on travaille aussi.

D’un point de vue managérial, l’évolution d’un modèle principalement centré autour de la présence au bureau vers un modèle où le télétravail devient une norme, que ce soit de manière temporaire ou plus permanente, repose sur une réappropriation et une redistribution intelligente par l’entreprise des échanges formels et informels.

Les entreprises du monde entier s’efforcent de rester compétitives dans un environnement déstabilisé par ce qui se dessine comme étant la pire crise depuis la Grande Dépression, selon l’OMC. Pour de nombreuses organisations, cette “transformation forcée” passe par un recours massif au télétravail. Le télétravail regorge d’avantages pour les employés comme pour les employeurs, au point que, pour certaines entreprises, la phase d’expérimentation auxquelles elles ont été contraintes par les confinements successifs donne lieu à des changements plus profonds qui dépasseront le terme de l’épidémie. Le télétravail semble s’inscrire durablement comme alternative à la vie de bureau, dans un monde qui continue de tourner, bien qu’au ralenti.

D’autres, toutefois, ne cachent pas leurs réticences face au télétravail. Il faut bien admettre que, même s’il apporte des bénéfices conséquents, il représente un changement drastique qui doit être conduit de manière réfléchie et construite. Il implique notamment de repenser la manière dont les équipes collaborent et sur ce terrain, malgré l’abondance de solutions extrêmement avancées, l’informatique ne résout pas tout.

CIRCULATION DE L’INFORMATION

Pour les managers, ceux-là mêmes que la crise actuelle force à embrasser le changement, la première étape consiste sans doute à accepter que même dans les bureaux les plus rigoureux, un grand nombre d’échanges informels jalonnent les journées de travail. Les employés échangent librement, en circulant dans les couloirs, en préambule des réunions, dans l'ascenseur, autour de la machine à café, etc. Selon une étude de la Fabrique Spinoza, 70% des informations portées à la connaissance des salariés reposent en effet sur des échanges imprévus et informels. En deuxième lieu, il faut accepter l’idée que ces échanges informels, même s'ils ne font pas partie du travail “organisé et mesuré”, ont une importance, parfois capitale, dans le bon fonctionnement de l’entreprise. Aussi naïf qu’il puisse sembler de l'énoncer, une des principales limites du home office est que l’on n’y croise pas ses collègues.

Dans ces "interstices" du travail structuré, peuvent circuler énormément d'informations pertinentes pour les différentes missions qui occupent les équipes. Certains observateurs du phénomène iront sans doute même jusqu’à considérer que si une information est pertinente d’une manière ou d’une autre et qu’elle n’est pas prise en compte dans les canaux de communication formels, elle circulera via les bruits de couloirs. Pour qu’une équipe conserve sa performance en télétravail, il appartient à ses membres d’être capables d’identifier la nature des informations échangées dans ce cadre et de mettre en place les procédures adéquates pour s’assurer de leur circulation.

Bien être au travail
La sagesse populaire concède volontiers, même avec un peu d'ironie, que beaucoup d’idées naissent à la machine à café. Les discussions qui y ont cours sont effectivement souvent un moteur puissant de la créativité. Parce que qu’elle offre un contexte plus libre, moins contraignant ou plus sécurisant pour ceux qui hésitent à prendre la parole en réunion, les langues s’y délient et les solutions fusent. Les échanges informels de la vie de bureau ont cela de magique qu’ils permettent d’évoquer, y compris avec des personnes dont ce n’est pas nécessairement la fonction, des problèmes spécifiques. Hors des sentiers battus, certaines résolutions, les plus originales, mais aussi les plus porteuses de valeur peuvent éclore. Ces moments de créativité doivent exister en télétravail également, quitte à les inscrire à l’agenda, de manière obligatoire pour tous.

Bien entendu, la relation qui se noue entre les membres d’une équipe peut dépasser le cadre purement professionnel. Des relations plus personnelles permettent aux difficultés ou même à la détresse de s’exprimer, qu’elle soit liée au travail ou non. Tout aussi important, c’est souvent dans l’embrasure d’une porte que se transmettent les félicitations et les encouragements qui participent à la valorisation de chacun et au bien-être général dans une équipe en présentiel. Il faut pouvoir répliquer ces fonctionnements dans un contexte de télétravail.

Le paradoxe du télétravail

Ses détracteurs, particulièrement, dénoncent le télétravail comme une version trop peu formelle du travail qui ne peut qu’encourager un certain laisser-aller et le manque de rigueur. Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, son succès repose largement sur la formalisation d’échanges absolument informels qui ont normalement lieu dans les locaux.

Pour maximiser ses chances de succès dans cette transformation, les entreprises doivent comprendre ce qui se joue dans ces transactions informelles et faire le deuil de la spontanéité qui les régit normalement. Elles doivent être capables sinon de les reproduire, a minima de les favoriser au sein des outils de collaboration.

Aude Boughaba, responsable ISG SEMEA, Gestion du changement et organisationnel


Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la responsabilité de la rédaction de L'Usine Digitale.

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