Boom de l'IA générative : "Je n'ai jamais vu autant de demandes de clients", révèle Phil Moyer, Google Cloud

L'intelligence artificielle générative enflamme la Tech depuis le début de l'année, mais cet emballement se ressent-il dans les contrats signés ? Quels cas d'usage sont les plus populaires, et sont-ils viables à grande échelle ? Quid des craintes concernant le non-respect de la propriété intellectuelle ? L'Usine Digitale fait le point avec Phil Moyer, VP of Global AI Business chez Google Cloud.

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Boom de l'IA générative :

L'Usine Digitale : L'IA générative est le grand sujet du moment. Quel en est l'impact sur votre business ? Est-ce qu'il y a eu une explosion des prospects pour ces services ?

Phil Moyer : Oui, c'est sans aucun doute le moment le plus exaltant de ma carrière, et j'ai lancé beaucoup de produits au cours de celle-ci. Je n'ai jamais vu autant de demandes de clients. Cela n'a rien à voir avec ce qu'on pouvait voir il n'y a même qu'un an. Et cela peut sembler être un effet de mode lié à la hype, mais c'est bénéfique car les gens s'intéressent à ce que ces technologies permettent de faire. Je pense que contrairement à d'autres technologies comme la blockchain ou le métavers, les choses vont beaucoup plus vite avec l'IA générative car les gens se sont rendus compte qu'ils pouvaient obtenir des résultats concrets très rapidement.

Vous voyez l'IA générative comme un facteur de croissance pour le cloud ? Est-ce que vous le considérez comme un avantage compétitif par rapport à AWS et Azure ?

Pour faire simple, la réponse est oui pour ces deux questions. On nous félicite pour la croissance de nos capacités à destination des entreprises, et nous sommes sur une belle trajectoire pour le nombre de clients depuis l'arrivée de Thomas Kurian à la tête de Google Cloud. Ca a été une vraie transformation depuis quatre ans, dont je suis très fier.

Et je pense que sur le plan scientifique, notre expertise historique en matière d'IA est reconnue par la plupart de nos clients, et c'était déjà le cas avant le boom de l'IA générative. Mais l'intérêt actuel pour nos produits, de la part d'entreprises déjà clientes ou pas, est sans commune mesure avec ce que j'ai pu voir par le passé, et j'ai travaillé pour les trois grands acteurs du secteur.

Quels sont les domaines dans lesquels vous voyez l'adoption la plus rapide de l'IA générative ?

Je pense que le service client est le cas d'usage le plus évident. Mettre un agent intelligent entre les mains des employés d'un centre d'appels les rend plus efficaces. Ils peuvent s'enquérir d'une question avec les mots du client sans avoir à l'interpréter pour trouver une équivalence, et l'IA leur retourne toutes les informations pertinentes sans se limiter à des silos prédéfinis.

Un autre domaine est celui de la génération de contenu pour le marketing. 30% à 40% de la supply chain marketing consiste à reproduire le même contenu en ciblant des audiences spécifiques. L'IA générative est particulièrement adaptée à la duplication de ces contenus. Enfin, je vois un nombre significatif d'organisations financières et d'établissement de santé qui utilisent ces technologies pour résumer d'importantes quantités de documents et donc pour le traiter plus rapidement. Cette capacité d'extraction et de résumé et très puissante.

Et elles n'ont pas peur que ces modèles retournent des informations erronnées, les fameuses "hallucinations" ? Parce que lorsqu'on résume de grandes quantités d'informations, il est d'autant plus difficile de déceler si une erreur s'est glissée quelque part...

Nous sommes des spécialistes de la recherche d'information, donc nous aidons les organisations à trouver les données dont elles ont besoin. Le fait de pouvoir citer des sources est critique dans ces cas de figure, et c'est l'une des fonctionnalités au cœur de notre offre. Lorsque nous parlons de la précision de nos modèles, il ne s'agit pas juste d'apporter une réponse, nous donnons aussi la source dont elle provient.

L'état de l'art évolue très vite, avec de nouveaux modèles et nouvelles fonctionnalités qui peuvent en rendre d'autres obsolètes rapidement. Cela ne pose-t-il pas un problème pour des déploiements à l'échelle au sein de grandes entreprises, ce type de projet prenant typiquement plusieurs années ?

J'ai travaillé dans des secteurs fortement régulés donc j'ai un profond respect pour le temps et les efforts nécessaires au lancement d'une technologie dans des secteurs comme la santé ou la finance. Néanmoins, j'ai été surpris lors de ce cycle quand je parlais aux clients des contraintes qu'ils doivent anticipés. Ils m'ont corrigé en me disant qu'ils ont déjà des centaines de cas dans lesquels ces technologies peuvent être appliquées sans risque, comme le service client ou le marketing.

Donc je pense qu'on va voir des déploiements en production beaucoup plus vite qu'on a pu le voir par le passé. Après, les entreprises doivent déterminer comment déployer à l'échelle et de façon sécurisée, avec un haut niveau de précision, et le tout au juste prix. C'est sur quoi elles planchent aujourd'hui.

Les grands modèles de langage sont très mis en avant en ce moment, mais qu'en est-il de la génération d'image ? Les entreprises s'y intéressent aussi ?

Oui il y a un degré d'intérêt significatif des clients envers notre modèle de génération d'images Imagen, notamment car nous créons les images de telle sorte que leur provenance peut être déterminée. Nous avons créé un système de métadonnées qui indique quel modèle a produit telle image et quand elle a été créée. Mais les clients ne s'intéressent pas qu'à la création pure, mais aussi à la modification d'images existantes ou à la capacité de les catégoriser et de générer des descriptions automatiques. Le milieu du marketing s'y intéresse énormément.

Quels sont les modèles les plus utilisés au sein de la plateforme Google Cloud aujourd'hui ?

A l'heure actuelle, la majorité de nos clients utilisent notre modèle Bison, basé sur PaLM 2, qui est intégré au sein de notre API Vertex AI. Imagen commence aussi à être beaucoup utilisé. Et nous voyons beaucoup d'utilisation de Stability AI ou d'Adobe Firefly. Anthropic est aussi très utilisé sur notre plateforme, de même que Cohere.

Ca en fait beaucoup...

Certes, mais il y a des centaines de modèles sur la plateforme. Et nous tenons à avoir cette ouverture, cette diversité, nous ne croyons pas qu'un seul modèle dominera l'écosystème. Néanmoins pour vous répondre, je dirais que la plupart de nos clients utilisent nos modèles.

L'Union européenne fait preuve d'une certaine défiance envers ces technologies, et s'inquiète de leur concentration autour de quelques grands acteurs. Un "AI Act" est notamment en cours d'élaboration pour tenter d'y imposer un cadre légal. Quelle est votre perspective sur la question ?

Nous croyons fermement en la nécessité de réguler l'intelligence artificielle, nous pensons qu'il s'agit d'une discussion qu'il est important d'avoir en ce moment. Mais nous ne voulons pas que la régulation se fasse au détriment de l'innovation, donc il faut trouver le bon équilibre entre les deux. Nous participons à ce dialogue, nous sommes notamment un contributeur majeur au standard ISO 42000.

Il faut par exemple pouvoir savoir sur quelles données un modèle a été entraîné, il ne doit pas enfreindre de copyright ou d'autres lois sur la propriété intellectuelle. Et le contenu produit doit être acceptable au regard de la loi. Concernant l'AI Act lui-même, nous avons évidemment un avis sur certains points qui pourraient être améliorés, ou certaines choses qui ne sont peut-être pas assez strictes. Mais je suis positif, cette discussion doit avoir lieu et je pense que, de bien des manières, l'Europe montre la voie au reste du monde dans ce domaine.

Quel est le ressenti des clients et prospects ?

Du côté des entreprises clientes, il y a une vraie volonté de s'assurer que nous ayons des datacenters basés dans l'Union européenne, et même dans leur pays spécifiquement. Elles veulent savoir où vont tourner les modèles et où seront entreposées les données. Nous avons aussi beaucoup de demandes concernant la gestion des langues, qui est en partie liée à la sécurité, car il faut s'assurer qu'un modèle ne fasse pas de choses qu'il n'est pas censé faire, et cela varie d'une langue à l'autre. Nous avançons rapidement sur ces questions.

Reste la question de l'utilisation de leurs données pour l'entraînement des modèles, qui est un point délicat...

Lorsque nous surentraînons un modèle de cette façon, tout se passe dans ce qu'on appelle la couche adaptative, qui est sous le contrôle du client. De cette façon, les clients n'entraînent pas notre modèle, ils entraînent leur couche qui vient s'appliquer par dessus. Avec notre nouvelle fonctionnalité Enterprise Search pour l'IA générative, nous voyons par ailleurs un fort intérêt de la part des clients dans la capacité à limiter les modèles à un ensemble de documents spécifiques, plutôt qu'à l'ensemble de leur base d'apprentissage.

De manière générale, il faut que les clients aient confiance et soient rassurés quant à leur capacité de faire tourner ces modèles de la façon dont ils le veulent. Cela veut dire en attester dans un contrat, le faire certifier par une entité tierce, laisser leurs experts techniques regarder comment nous procédons et valider que nous faisons bien ce que nous disons, plus le fait d'être en mesure de leur fournir des logs si nécessaire.

Comment jugez-vous le niveau d'adoption de ces technologies par les entreprises françaises et européennes par rapport aux sociétés américaines ?

J'ai été ébahi lors de ma première visite en France cette année au mois d'avril par le niveau de maturité des entreprises françaises en la matière. Chaque entreprise que j'ai pu rencontrer – et j'en ai vu un paquet – avait des cas d'usage très concrets en tête, et je ne parle pas de cas mineurs. Je pense que l'exemple de Carrefour en témoigne. Il en va de même pour les entreprises européennes de manière générale, et je suis aussi impressionné par le fait qu'elles réfléchissent dès le départ à un usage responsable de ces technologies.

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