Cannes : "Nous avons vu 1,3 million d'euros de chiffre d’affaires disparaître en 3 ans", regrette le directeur général d'UGC

Directeur général d'UGC, Alain Sussfeld a un poste d'observation rare pour le cinéma français.

Producteur et distributeur, il observe l'impact de la rencontre entre le numérique et le cinéma. Si elle redistribue les cartes, elle ne modifie pas (encore) en profondeur les contraintes économiques du secteur.

La salle de cinéma reste le moment où se résout en grande partie l'économie d'un film.

Le numérique apporte flexibilité, mais gare à ne pas oublier la diversité de la programmation. 

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Cannes :

L'Usine Digitale : Qu’a changé la numérisation à la distribution de films ?

Alain Sussfeld : Depuis la fin de 2013, toutes les salles sont numérisées. Ce mouvement a été accompagné par les autorités pour ne pas laisser de salles sur le bord de la route, car le cinéma a besoin d’un réseau. La numérisation a changé le modèle de diffusion. Longtemps l’économie du cinéma dépendait du nombre de copies disponibles d’un film. Chaque copie supplémentaire avait un coût. Le numérique change cela profondément. Le coût d’édition des copies a nettement baissé pour les éditeurs et pour les distributeurs, de moitié environ pour ces derniers. Cela ne signifie pas que le coût de sortie d’un film a diminué d’autant mécaniquement. Les dépenses de marketing pour accompagner la sortie ont augmenté.

Ce changement a eu un effet sur l’emploi ? A terme, on dit qu’un opérateur par complexe suffira. Qu’en pensez-vous ?

Dans les salles de cinéma, l’impact est relativement marginal. Les compétences requises ont changé. Avant, l’opérateur maniait les bobines. Désormais, il doit connaître l’informatique. Il reçoit les fichiers, les met en mémoire, programme les films. Il y a peut-être besoin de moins de projectionnistes, mais les besoins en compétences informatiques ont augmenté.

Des fichiers numériques à manier, plutôt que des pellicules… pourtant, la programmation des salles reste très classique : un film sort, il est diffusé cinq à six fois par jour aussi longtemps que ça marche. La numérisation n’est-elle pas l’occasion d’être plus souple dans la programmation ?

Mais elle l’est ! Avant, quand la copie partait, l’exploitation était finie. Aujourd’hui, il est possible d’exploiter plus longuement un film, de le diffuser pendant quelques créneaux horaires en complément d’un autre. De la même façon, une même salle peut passer de la VO à la VF. Avant, quand on avait la copie en VF, on ne pouvait pas faire de VO.

Les exploitants modulent de plus en plus. Il faut aussi le temps que les spectateurs prennent conscience que les films ne sont pas là du mercredi au mercredi de façon immuable comme avant. D’ailleurs le numérique nous aide, car les réseaux ont développé des applis grâce auxquels il est possible d’avoir les horaires en temps réel.

Toutefois, cette plus grande souplesse ne doit pas conduire à une plus grande concentration des blockbusters au détriment des autres films, ceux qu’on appelle les films de la différence. Si la France a le taux de fréquentation le plus élevé d’Europe, c’est parce qu’on a une offre diverse. Si les exploitants profitent de la souplesse pour multiplier les blockbusters, ils gagneront peut-être à court terme, mais perdront à plus long terme.

La salle n’est-elle pas menacée par les plateformes de diffusion ?

Le problème est simple comme l’algèbre. En dix ans, le nombre de films est passé de 450 à 600. Parallèlement, le nombre d’écrans disponibles n’a pas augmenté. Il y a donc un problème de rotation majeur. Il y a un moment où les films ne peuvent pas trouver de place. Certains font alors le choix du e-cinéma, pourquoi pas ? Cela se pratique beaucoup aux Etats-Unis.

Pour ma part, je considère que la salle a encore une importance capitale. Le passage en salle est une source importante de revenus pour le cinéma. Ensuite, elle crée une notoriété qui peut avoir un impact fort sur les droits suivants, qu’il s’agisse de télévision, de DVD, de VOD… Un succès en salle a une incidence sur les ventes de DVD. Enfin, la sortie en salle est médiatisée. C’est donc très important pour la notoriété d’un film.

Quand même, la plateforme de TF1 diffuse des films sortis aux Etats-Unis qui ne verront jamais la salle, alors qu’on peut imaginer qu’ils seraient sortis en salle il y a dix ans. N’est-ce pas précurseur d’un mouvement plus profond ?

Les films américains n’ont pas tous vocation à sortir en France, pas plus qu’ils ne sont pas assurés de rencontrer le public parce qu’ils sont made in USA. Si TF1 décide de faire du e-business, c’est parce qu’ils considèrent qu’ils feront une meilleure audience avec ce film-là. C’est leur choix. Il n’y a rien de généralisable.

Quel avenir voyez-vous à la salle dans 10 ans alors ?

Je ne suis pas voyant. Je ne sais pas. En revanche, rétrospectivement, depuis 50 ans, ce que je sais c’est que les techniques de réception des images à domicile (la télévision, le magnétoscope, le câble) vont cohabiter avec les salles de cinéma. Elles sont complémentaires et cela va continuer.

Justement, puisqu’on parle de salle, de public, qu’allez-vous faire à Cannes que vous ne pouvez pas faire avec les outils numériques ?

Le festival est un lieu de rencontres et de réception collective des œuvres. Rien ne remplacera jamais cela. Je ne crois pas du tout à un monde où les contacts humains disparaitraient. Nous avons une dimension grégaire, nous aimons nous retrouver que ce soit dans une salle, dans un stade ou à une terrasse de café.

UGC est aussi producteur. On a beaucoup parlé du financement participatif il y a deux ou trois ans et ça ne prend pas. Pourquoi ?

D’abord, avant de vous répondre, la manière de fabriquer des films a changé du tout au tout. Les contraintes de tournage ne sont pas du tout les mêmes, si bien qu’un film équivalent coûte beaucoup moins cher. Les besoins en éclairage ne sont pas les mêmes, les rushes peuvent être vus au fur et à mesure, on n’a plus besoin de les développer…

Sur le crowdfunding, l’activité de production reste très lourde financièrement. Les particuliers ne peuvent pas les financer. Quand vous avez un film de 5 millions, pourquoi voulez-vous faire une opération qui prend du temps pour récupérer au mieux 40 ou 50 000 euros.

Sur YouTube, on peut voir des court-métrages. N’est-ce pas devenu un lieu central de l’économie de ce format ?

Il n’y a pas d’économie du court métrage au sens où ça ne peut pas être rentable sans aides publiques. Les gens qui font du court-métrage le font par passion. Ceci dit, il y a chez UGC des équipes qui observent ce qui se passe sur YouTube ou sur d’autres plateformes. C’est une forme de veille pour nous, nous sommes à l’affut des nouveaux talents où qu’ils éclosent.

Je suis très étonné, car depuis une demi-heure que nous nous parlons, vous n’avez pas dit une seule fois le mot piratage. Ce n’est pas un problème ?

Je réponds à vos questions et vous ne m’en avez pas parlé. C’est une interview ! Bien sûr que c’est un problème pour nous, qui a des conséquences majeures sur l’économie du secteur. L’Alpa vient de réaliser une étude qui montre que 14 millions de Français soit un tiers des internautes accède à un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle. Les tribunaux commencent à prendre le problème au sérieux et c’est une bonne nouvelle. En revanche, je trouve que les politiques ne sont pas très décidés à lutter.

Mais est-ce vraiment un problème après tout, le piratage cohabite avec un bon niveau de fréquentation dans les salles ?

Le marché du DVD représentait 2 milliards d’euros il y a trois ans. Aujourd’hui, c’est 700 millions. Nous avons vu 1,3 million de chiffre d’affaires disparaître, soit autant que le montant de l’exploitation en salle. Vous connaissez beaucoup d’industrie qui voit 65% de leurs recettes disparaître et qui pensent que ce n’est pas un problème. C’est autant d’argent qui ne contribue pas à financer les films.

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