[CES 2020] On a testé l'interface neuronale de NextMind, pépite française des neurotechnologies
L'un des grands gagnants du CES 2020 est NextMind, une start-up française qui travaille incognito depuis deux ans sur une interface neuronale capable de décoder en temps réel des images dans le cortex visuel. Nous avons pu faire l'essai de cette technologie et avons été convaincu de son potentiel, même à ce stade précoce. Une pépite à suivre.
Julien Bergounhoux
Mis à jour
14 janvier 2020
Les interfaces neuronales directes (brain-computer interfaces en anglais) étaient de sortie au CES 2020. L'une des plus impressionnantes démonstrations du salon était celle de BrainCo, qui permet aux amputés de contrôler une prothèse de main. Si cela se limite à des mouvements préprogrammés, le nombre d'actions possibles et la vitesse d'exécution nous ont impressionné.
Mais la star du show était une start-up française, NextMind, qui a remporté le prix "Best of Innovation" dans la catégorie AR/VR et un prix "Honoree" dans la catégorie wearables. Sa technologie permet de décoder des images en temps réel depuis le cortex visuel (situé à l'arrière du crâne), ce qui rend possible des actions simples.
Une spin-off de Normale Sup'
NextMind a été fondée en 2017 par Sid Kouider, chercheur au sein du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique de l'École normale supérieure. Il s'agit d'une spin-off de ce laboratoire. Elle est basée à Paris et emploie une quinzaine de personnes. Sid Kouider a révélé son existence fin novembre lors du salon Slush 2019, qui se déroule à Helsinki. Le CES 2020 était quant à lui l'occasion de lancer la commercialisation de son kit de développement, vendu 399 dollars. Il sera expédié au deuxième trimestre 2020.
Une technologie légère, non-invasive, sans gel et sans fil
Le kit de développement était en démonstration sur le salon et nous avons pu en faire l'essai. Le système se compose d'un bandeau à passer autour de la tête, à l'arrière duquel se trouve un électroencéphalographe (EEG), un dispositif permettant de mesurer l'activité électrique du cerveau. Ce dernier est doté de huit électrodes conçues de manière à passer sous les cheveux des utilisateurs pour obtenir le meilleur signal possible. Pas de gel nécessaire, il est fait pour fonctionner "à sec". Le signal est ensuite transmis à l'ordinateur par Bluetooth, qui l'interprète à l'aide de réseaux de neurones développés par NextMind.
L'appareil nécessite une calibration avant usage qui prend environ une minute. L'utilisateur doit focaliser son attention sur trois bâtonnets bleu clair affichés au milieu d'un nuage de bâtonnets blanc qui changent constamment. Les bâtonnets bleu se rassemblent pour former un triangle lorsque le système détecte que l'utilisateur y prête attention.
Réaliser une action en se focalisant sur un motif visuel
Trois démonstrations étaient disponibles sur le stand de NextMind. La première consiste à changer la couleur émise par une lampe en se concentrant sur des motifs de couleur situés au centre de trois cubes (les cubes en eux-mêmes sont juste là pour décorer). La seconde est une série de petites applications dans lesquelles il faut se concentrer sur un motif spécifique pour effectuer une action.
Cela va de chiffres à entrer sur un pavé numérique pour former un code PIN à une interface TV pour changer de chaîne ou modifier le volume sonore, ou encore à de petits jeux : une variante de Duck Hunt dans laquelle il faut se concentrer sur chaque canard pour l'abattre, et un jeu de plate-forme qui se contrôle à la manette mais permet certaines actions (déplacer un bloc, tuer un ennemi) via l'EEG. La troisième démonstration utilise un casque de réalité virtuelle mais reprend autrement le même principe : il faut se concentrer sur un motif pour abattre des ennemis ou se téléporter.
Une deuxième levée de fonds en cours
NextMind a été soutenue par un premier tour d'investissement de 4 millions d'euros il y a un an et demi, la moitié venant du public, dont Bpifrance, et l'autre d'investisseurs privés, notamment Nordic Makers et SISU Game Ventures, mais aussi David Helgason, fondateur de Unity, et Sune Alstrup Johansen, ancien CEO de The Eye Tribe, une entreprise spécialisée dans l'eye tracking qui a été rachetée par Facebook en 2016. Un second tour de table est prévu pour bientôt. "Nous sommes actuellement en levée de fonds", confie Sid Kouider, son fondateur.
Le "levier" à actionner est le même dans chaque cas : porter son attention sur un motif composé de bâtonnets colorés parmi un nuage de bâtonnets blanc qui bougent sans cesse sur un fond gris. Nous avons pu faire l'essai de ces démonstrations avec succès, malgré quelques difficultés en partie liées à l'environnement saturé en ondes du salon. Nous avons eu du mal à passer l'étape de configuration de l'appareil, n'avons pas toujours réussi à réaliser une action lorsque nous le souhaitions, et c'est quelques fois le mauvais motif qui a été sélectionné à l'écran... mais globalement, ça fonctionne. Sid Kouider nous a par ailleurs expliqué que la "dextérité mentale" augmente avec la pratique. "Au bout de trois ou quatre utilisations on passe sous la seconde de délai pour réaliser une action."
A la recherche d'un cas d'usage concret
Il n'y a aucun doute sur le fait que le dispositif fonctionne vraiment, et la technologie est impressionnante par rapport à ce qui existe aujourd'hui sur le marché. Les experts visitant le stand voulaient d'ailleurs tous savoir la même chose : est-ce que le système utilise une technologie de suivi des yeux (eye tracking), ce qui n'est pas le cas. Il se base uniquement sur l'activité cérébrale, contrairement à de nombreuses solutions similaires qui utilisent le suivi des yeux comme une béquille pour pallier leur imprécision. Le système de NextMind ne détecte pas l'orientation du regard, mais l'attention portée à un élément.
Toute impressionnante que soit la technologie, il reste cependant à voir si elle mènera à des usages concrets. C'est entre autres à cela que doit servir le kit de développement, qui inclut le hardware, les algorithmes de machine learning pour interpréter les données et un module Unity. Sid Kouider nous a déclaré que l'usage principal auquel il destine sa technologie dans un premier temps est celui du jeu vidéo pour le grand public. Mais de nombreux défis restent à relever pour son adoption à notre sens. En l'état, le système requiert un apprentissage qui n'est pas forcément intuitif pour l'utilisateur lambda et il ne fonctionne pas à tous les coups. Les interactions qu'il permet sont par ailleurs limitées comparé à une manette classique.
La promesse est évidemment que la technologie va rapidement évoluer, que le capteur sera miniaturisé (NextMind y travaille déjà) et que le système permettra de faire beaucoup plus de choses d'ici quelques années, y compris reconnaître une image mentale complexe formée pendant que l'utilisateur ferme les yeux. Son potentiel en serait alors décuplé, notamment pour contrôler des lunettes de réalité augmentée. Reste à voir si les progrès se feront aussi vite que ne le souhaite NextMind, car c'est là l'étape la plus délicate pour toute innovation technologique. Les débuts sont en tout cas prometteurs. Questionné sur ses objectifs, Sid Kouider nous a déclaré vouloir faire de NextMind "un géant européen des neurotechnologies". On ne peut que lui souhaiter de réussir.
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