Ces NFT ne sont pas de l'art, tranche le jury dans l'affaire opposant Hermès au créateur des MetaBirkin

Contrefaçon ou liberté d'expression artistique ? Dans l'affaire qui opposait la marque de luxe Hermès à Mason Rothschild, qui s'était inspiré des sacs Birkin pour créer une série de NFT écoulée à prix d'or, le jury a estimé que le créateur de NFT ne pouvait se prévaloir du régime tolérant l'utilisation des marques protégées dans les œuvres d'art. Explications et décryptage des enjeux d'une affaire qui pourrait faire jurisprudence.

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Ces NFT ne sont pas de l'art, tranche le jury dans l'affaire opposant Hermès au créateur des MetaBirkin

C'est une affaire qui pourrait faire jurisprudence et qui donne mal au crâne aux avocats en droit de la propriété intellectuelle. Le procès opposant Hermès au créateur de NFT Mason Rothschild s'est soldé le 8 février par une condamnation à verser 133 000 dollars de dommages et intérêts à la marque de luxe. À l'issue du procès qui avait débuté le 30 janvier, le verdict a reconnu Mason Rothschild coupable des trois chefs d’accusation de contrefaçon, dilution de marque et cybersquatting,

Au-delà de la simple affaire de contrefaçon, ce procès constituait le premier exercice grandeur nature de protection d'un territoire de marque dans le "métavers" et posait la question suivante : peut-on vraiment revendiquer une œuvre d'art quand on parle de NFT vendus à plusieurs dizaines d'exemplaires ? Le jury a répondu par la négative.

Contrefaçon ou inspiration ?

Revenons en arrière. En 2021, Mason Rothschild, un américain qui a fondé un studio de création spécialisé dans le Web3, crée le NFT "Baby Birkin" avec l'artiste 3D Eric Ramirez : une image animée représentant un sac Hermès Birkin et un fœtus à l'intérieur, qui s'est vendue 23 500 dollars. Quelques mois plus tard, il remet ça avec le projet "Meta Birkin", en déclinant cette fois un sac Birkin en 100 exemplaires, vendus une nouvelle fois sous forme de NFT. Les ventes auraient dépassé 1,1 million de dollars selon les documents produits en justice par Hermès. À aucun moment, l'artiste n'a demandé à Hermès l'autorisation d'utiliser son design.

En janvier 2022, Hermès poursuit l'artiste à New York pour atteinte à son image de marque et utilisation sans autorisation et dans un but commercial de sa propriété intellectuelle, réclamant l'arrêt du projet, la récupération du nom de domaine Metabirkin et le versement de dommages et intérêts. Rothschild, lui, invoque la liberté d'expression du 1er amendement, et la jurisprudence "Rogers vs Grimadi" de 1989, qui pour résumer consacre le droit d'utiliser une marque protégée dans le cadre d'une exploitation artistique, à condition qu'il y ait un minimum d'apport créatif et que l'œuvre n'induise pas le public en erreur.

"Ce serait un tableau, il n'y aurait pas de sujet"

Rothschild justifie sa démarche artistique par son message. Ses sacs sont parés de fausse fourrure, une diatribe en faveur de la défense des animaux, et le projet est censé explorer la question de la consommation ostentatoire. "Où la valeur d'un sac Birkin se situe-t-elle vraiment ? Dans l'objet physique fabriqué artisanalement, ou dans l'image qu'il projette ? Une image ne transporte rien d'autre que du sens", expliquait-il dans sa défense. On pense évidemment aux soupes Campbell d'Andy Warhol, et Rothschild fait lui aussi la comparaison, ajoutant que le NFT "ne fait aucune différence" pour l'application des principes du Premier Amendement.

Sauf que Warhol n'avait pas cybersquatté le nom de domaine Campbell, et que les NFT ont sans doute bel et bien influencé l'analyse.

"Ce serait un tableau, il n'y aurait pas de sujet, estime Marc Shuler, avocat spécialisé en propriété intellectuelle chez Taylor Wessing. Là, on a 100 collectibles, 100 posters en quelque sorte, et une technologie qui vient tout perturber car l'œuvre est traitée comme un actif numérique lui-même assez proche d'un produit. Ce qui n'avait pas posé de problème dans le cas de l'œuvre de Warhol car on avait une œuvre picturale qui restait dans le monde de l'art, devient dans ce contexte interprétable comme de la contrefaçon car la marque est protégeable si l'on en fait un usage dans le monde des affaires." À noter d'ailleurs que Hermès n'a pas attaqué Rothschild sur son premier NFT unique mais seulement sur les suivants.

Un enjeu qui dépasse celui du procès

Ce que nous dit ce verdict, ce n'est pas tant que la création de Mason Rothschild n'est pas de l'art en tant que telle, mais que le traitement qu'il en a fait ne cadre pas avec un traitement en tant qu'œuvre artistique. Pour le créateur des NFT, qui a réagi vivement sur Twitter, Hermès "se sent le droit de choisir ce qui est de l'art et qui est un artiste". Il fustige "une justice en panne, qui n'autorise pas un expert à parler d'art mais permet aux économistes de le faire". Ses avocats vont faire appel.

Pour Marc Schuler, la question est effectivement plus économique que philosophique. "L'enjeu dépasse à mon sens largement celui de cette affaire. Le sujet, ce ne sont pas tant ces 100 NFT, mais les NFT de demain qui pourront être dans un monde virtuel la translation des produits du monde réel. Le juge a été guidé par la dimension commerciale de la démarche, et demain celle-ci pourrait sortir de la représentation 2D pour en faire un objet virtuel portable par un avatar dans un métavers. Si on entre dans une logique où dans le métavers tout est démarche artistique, si la marque n'assoit pas dès maintenant ses droits, elle devra faire face à une avalanche de produits virtuels qu'il deviendra difficile de maîtriser".

Comment protéger les marques dans les métavers

De là à dire qu'il s'agit d'un procès d'intention… Reste que la question de la protection de la propriété intellectuelle dans les mondes virtuels est une question brûlante. Et techniquement parlant, pas si simple, nous explique l'avocat du cabinet Taylor Wessing.

"Les marques ont la possibilité de protéger leurs produits sous forme de NFT en classe 9, celle des logiciels. Ce qu'Hermès n'avait pas fait mais en tant que marque renommée, elle s'affranchit du principe de spécialité. Cela étant, pourquoi ne pas tout simplement, et pour toutes les marques, appliquer dans le monde virtuel la protection appliquée dans le monde réel ? Les Offices comme l’EUIPO [Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle] et l’INPI ainsi que certains tribunaux comme la Haute-Cour au Royaume-Uni ont pris un autre chemin. Demain, on risque de se retrouver avec une classe 9 couvrant absolument tous les produits visés dans d'autres classes, mais dans le monde virtuel. Avec un risque non négligeable d'une véritable jungle marquée par une insécurité des droits des uns et des autres."

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