
L’année 2016 a été le théâtre d’un renouveau, celui des "chatbots", ou agents conversationnels en français. Il s’agit de services avec lesquels un utilisateur peut interagir au travers d’une interface textuelle, imitant le déroulement d’une conversation humaine. Le mouvement est porté par des géants technologiques comme WeChat, Facebook et Microsoft… La technologie n’est pas nouvelle – elle a 50 ans – mais les progrès récents en matière d’intelligence artificielle et la popularité indémodable des applications de messagerie instantanée lui donnent un nouvel élan.
L'éclaireur WeChat
La possibilité de connecter ces interfaces textuelles à des services en ligne leur ouvre un potentiel insoupçonné jusqu’ici. Si leurs origines sont américaines [voir encadré], le renouveau des bots est venu de Chine. L’application de messagerie WeChat (qui dispose de plus de 700 millions d’utilisateurs par mois) a mis en place dès 2013 une plate-forme permettant aux développeurs tiers de créer des bots. Le succès a été tel qu’aujourd’hui, les marques chinoises font passer la création d’un bot avant celle d’un site web.
Aux États-Unis, c’est Slack, l’application de chat par équipe, qui a été l’une des premières à intégrer un bot pour aider les nouveaux utilisateurs à prendre leurs marques. Elle a ensuite étendu ce système de bots à ses développeurs tiers pour qu’ils créent leurs implémentations, connectées si besoin à des services externes. La start-up a rapidement été suivie dans ce mouvement par Facebook et Microsoft, qui ont pleinement saisi l’intérêt des bots pour leurs plates-formes respectives. La stratégie de Facebook est simple et tourne autour de son application Messenger (utilisée par un milliard d’utilisateurs chaque mois). Facebook espère répliquer le succès de WeChat en permettant aux marques de créer des chatbots pour communiquer avec leurs clients, un peu comme une forme automatisée de community manager.
Au-delà de la simple conversation
Le bot originel

Le premier "chatter bot", comme il a été appelé à l’époque, a été créé entre 1964 et 1966 par Joseph Weizenbaum au sein du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT. Baptisé Eliza, il simule une conversation en détectant des tournures de phrases et en les reformulant pour donner l’impression à son interlocuteur de comprendre ce qu’il dit.
Sa variante la plus populaire, Doctor, imite une discussion avec un psychothérapeute en répondant à chaque phrase par une question ouverte qui incite l’humain à se confier davantage. Une technique basique mais très efficace et qui a réussi au fil des ans à mystifier bon nombre d’interlocuteurs. Eliza est resté populaire malgré son grand âge et l’on peut encore en tester des versions sur le web ou dans certains logiciels, comme l’éditeur de texte Emacs.
Mais cela va plus loin : comme WeChat, Facebook permet désormais d’effectuer des achats directement dans Messenger, ce qui rend possible l’achat de produits ou services à l’aide de bots. Microsoft, lui, souffre d’avoir raté le virage des smartphones, s’étant fait voler la vedette par Android. Son Windows Store peine depuis le départ à convaincre les développeurs d’y porter leurs applications. Les bots sont l’opportunité pour lui de se saisir très tôt de "l’après-app", le nouveau paradigme pressenti dans lequel les services ne seront plus seulement disponibles au travers d’applications tierces, mais aussi de bots… qui seront eux-mêmes centralisés par les assistants personnels comme Cortana.
L’idée est que l’utilisateur puisse simplement demander à son smartphone de lui commander une pizza et que celui-ci prenne tout en charge, sans qu’il ait besoin de sortir de l’interface qui lui est familière. Outre Cortana, Microsoft compte sur Skype, sur Teams, rival de Slack, et sur l’intégration de tous ses services dans Office et Windows pour toucher un maximum d’utilisateurs. Microsoft a mis au point un outil de développement et de gestion de bots dont les créations pourront s’intégrer à divers d’outils : Groupme, Kik, Line, WeChat, Slack, SMS, e-mails… Le PDG de l’éditeur, Satya Nadella, a déclaré, en avril, que la prochaine grande plate-forme sera conversationnelle.
Ces initiatives n’ont pas laissé Google et Apple insensibles, mais ces derniers étant leaders dans le domaine des écosystèmes mobiles, ils restent pour le moment plus conservateurs. Apple a lancé iMessage Apps, des applications à l’intérieur de son application de messagerie. Google a mis au point Allo, une nouvelle app de messagerie instantanée, à laquelle il a intégré son assistant personnel. Aucun service tiers ne peut y être connecté pour le moment… mais le potentiel est là. D’autant que Google travaille en parallèle avec le chercheur Ray Kurzweil pour créer des bots capables d’imiter une personnalité humaine. Ce qui retient Google, c’est qu’il est déjà la référence de la recherche en ligne. Facebook a tout intérêt à ce qu’un utilisateur voulant réserver un hôtel le fasse directement depuis Messenger, via un bot. Google n’a rien à perdre s’il renvoie l’utilisateur vers une page de recherche, ou passe par son propre service.
Une future révolution qui n'est pas à la portée de tout le monde
Il est important de comprendre les positionnements de ces grandes entreprises pour décrypter l’engouement pour les chatbots… et en percevoir les limites. Car si beaucoup d’acteurs de tailles diverses cherchent à surfer sur cette vague médiatique, très peu d’entre eux présentent un intérêt immédiat en dehors des plates-formes de ces géants. Sans le cloud, sans interface unifiée, sans identifiant unique pour les achats, sans un excellent moteur de traitement du langage naturel, un chatbot n’a pas plus d’intérêt en 2016 qu’il n’en avait en 1996.
Le phénomène est un indicateur des tendances à venir : une intégration des applications et des services tiers au sein d’un même produit, dont la façade unique remplacera les moteurs de recherche traditionnels. Avec les progrès majeurs réalisés dans la reconnaissance et la synthèse vocale, le passage du texte à la voix n’est qu’une affaire de temps, et sera effectif d’ici à 2020. Cela se jouera sur le gagnant de cette nouvelle guerre des plates-formes. Plus encore que les systèmes d’exploitation pour smartphones, celui qui s’imposera entre M for Messenger, Cortana, Google assistant, Siri ou les autres, assurera à son créateur une domination sans précédent.
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