Comment éviter à STMicroelectronics de devenir "fabless"

Le groupe franco-italien de semi-conducteurs STMicroelectronics a besoin d’investir massivement en production s’il veut continuer à fabriquer ses puces. Or il n’a pas les moyens de le faire seul. L’Usine Nouvelle passe en revue trois pistes qui pourraient être combinées pour lui éviter le destin fabless.

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Comment éviter à STMicroelectronics de devenir

1. Partager les coûts d’investissement avec d’autres

La première piste consiste à partager les coûts d’investissement avec d’autres fabricants de semi-conducteurs en Europe. L’idée est avancée dans le rapport remis par le cabinet d’études Decision à la Commission européenne en février 2012 sur la prochaine génération d’usines de 450 mm. Aucun des trois majors européens des semi-conducteurs - le franco-italien STMicroelectronics, l’allemand Infineon et le néerlandais NXP - ne peut se payer cette usine dont le coût est estimé à la bagatelle de 10 milliards de dollars.

Le partage d’usine de semi-conducteurs ne serait pas une pratique nouvelle. IBM et Infineon l’ont fait de 1999 à 2010 au sein de leur société commune Altis, à Corbeil-Essonnes, avant que celle-ci ne devienne un fondeur indépendant, c’est-à-dire un sous-traitant fabriquant des puces sur les plans de ses clients. STMicroelectronics et Infineon ont failli le faire aussi au début des années 1990. Le premier a proposé au second son usine de Phoenix, aux États-Unis, alors l’une des plus modernes au monde, pour y fabriquer ses mémoires Dram. Le projet a capoté à cause des différences de culture et de stratégie à l’époque.

Aujourd’hui, le contexte est différent. Après sa sortie en fin d’année de ST-Ericsson et son recentrage sur les applications embarquées, STMicroelectronics se rapprochera du profil de NXP et Infineon, qui ont procédé à ce repositionnement stratégique quelques années plus tôt. Cette convergence en termes de portefeuille produits ne garantit pas pour autant un accord sur le partage d’investissement industriel. Infineon vient tout juste de démarrer la production de composants de puissance à Dresde, en Allemagne, dans une usine de 300 mm qu’il a reprise en 2011 pour seulement 100 millions d’euros à Quimonda, fabricant de mémoires Dram alors en faillite. Il est tranquille pour de nombreuses années. Il n’a aucunement besoin d’investir à moyen terme dans une autre usine. Quant à NXP, il est plutôt dans une stratégie d’allégement industriel que d’expansion de ses moyens de production. Pour la fabrication en volume, il repose sur SSMC, sa coentreprise à Singapour avec le fondeur taïwanais TSMC.

Pour l’extension de son usine de 300 mm à Crolles, en Isère, STMicroelectronics peut difficilement trouver des partenaires européens prêts à partager les coûts. En revanche pour la prochaine génération d’usine de 450 mm, le rapport de Decision lui suggère de s’associer soit à Intel, numéro un mondial des microprocesseurs, soit à GlobalFoundries, deuxième fondeur mondial, qui disposent chacun d’une usine de 300 mm en Europe : le premier à Dublin, en Irlande, le second à Dresde, en Allemagne. Ces deux géants des semi-conducteurs ont vocation à passer en 450 mm parmi les premiers au monde. L’idée est d’encourager l’un ou l’autre à le faire en Europe, en partenariat avec des acteurs européens comme STMicroelectronics, moyennant des incitations financières européennes.

2. Faire payer les gros clients

La deuxième piste consiste à inviter les gros clients à contribuer au financement des investissements industriels de STMicroelectronics, comme cela se fait au Japon. Cette option est particulièrement mise en avant par les syndicats de STMicroelectronics, qui reprochent au groupe de ne pas impliquer assez les clients dans ses projets industriels. Les gros industriels européens dans l’automobile, l’aéronautique, les télécoms ou la défense peuvent considérer la compétitivité industrielle d’un fournisseur européen clé comme stratégique pour leurs activités. Les semi-conducteurs jouent en effet un rôle de plus en plus important dans leurs projets d’innovation.

STMicroelectronics a d’ailleurs compris l’importance de nouer des alliances stratégiques avec des clients leaders dans leur domaine : Nokia dans les mobiles, Sony dans la télévision, Seagate dans les disques durs, Bosch dans les équipements automobiles, etc. Cette stratégie lui a assuré du succès tant que ces clients se portaient bien. Aujourd’hui, l’heure est aux partenariats avec des clients de rang N+1 comme les constructeurs automobiles. Les accords conclus récemment avec Audi ou Hyundai s’inscrivent dans cette nouvelle stratégie.

Parmi les dix premiers clients du groupe (Apple, Bosch, Cisco, Continental, HP, Nokia, BlackBerry, Samsung, Sony et Western Digital), seuls trois sont européens : Bosch, Continental et Nokia. On peut imaginer des clients de rang N+1 comme Renault, PSA, Alstom, Schneider Electric ou EADS contribuer aussi au financement. "Mais s’ils le faisaient, ce serait une tactique pour sécuriser leurs approvisionnements pendant un certain temps, et non une vraie stratégie industrielle", estime Jean-Philippe Dauvin, économiste spécialiste du marché des semi-conducteurs.

3. Appeler les pouvoirs publics à l’aide

Le salut industriel de STMicroelectronics réside aussi dans le soutien financier des pouvoirs publics. Le groupe est déjà fortement aidé dans ses efforts de R&D. En France, l’État et les collectivités locales ont financé 657 millions d’euros des 2,3 milliards consacrés au dernier programme de R&D, Nano 2012, à Crolles, entre 2009 et 2012. Le groupe reçoit également des subsides publics en Italie et de la Commission européenne. L’aide à l’investissement industriel est une autre affaire. "Les règles européennes sont très strictes en la matière", nous confie un conseiller au ministère du redressement productif. La Commission européenne a pourtant donné son accord à ce que les pouvoirs publics italiens subventionnent en 2004 la construction de l’usine de 200 mm à Catane en Sicile. La subvention se montait à 542 millions d’euros sur un investissement total de 2 milliards d’euros. Ceci parce que l’opération s’inscrivait dans un projet de développement économique d’une région d’Europe considérée comme défavorisée. Les subventions pour les autres sites industriels européens seraient refusées.

Le Sitelesc, le syndicat de la microélectronique en France, milite en faveur d’un assouplissement des règles européennes pour favoriser le maintien et le développement de la production en Europe. "Taiwan, Singapour, la Corée du Sud et même les États-Unis subventionnent fortement la construction d’usines de semi-conducteurs chez eux, affirme Gérard Matheron, président du Sitelesc. L’Europe doit se doter d’une politique industrielle similaire."

Pour la construction de sa dernière usine de 300 mm, GlobalFoundries a hésité entre Dresde, en Allemagne, où il dispose déjà d’une usine, et New York, aux États-Unis. Le Lander de Saxe a été autorisé par la Commission européenne à accorder une subvention de maximum 13 % de l’investissement de 4,2 milliards de dollars. L’État de New York a offert 25 %. Sans surprise, le fondeur américain a choisi New York.

À supposer que les règles européennes changent, il reste aux États français et italien, actionnaires de STMicroelectronics à hauteur de 27,6 % du capital, de dégager les fonds nécessaires. Dans le contexte actuel de restriction budgétaire, ceci est loin d’être évident.

Ridha Loukil

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