Comment l'armée de terre imagine la guerre avec les robots
Drones et robots terrestres : les militaires veulent se doter d’armes high-tech. Ils viennent de faire une démonstration de leur savoir-faire au camp militaire de Beynes, dans les Yvelines.
Le lieutenant Mamadou scrute l’étendue d’herbe, protégé derrière un petit abri. Avec ses soldats, le militaire doit vérifier si l’ennemi n’est pas en train de prendre pied autour de deux points stratégiques - on discerne au loin deux monticules - et le cas échéant le repousser. Ce genre de mission est un classique de l’infanterie. Mais ce mercredi 10 mai, pour cette démonstration au camp militaire de Beynes dans les Yvelines, ces soldats ont à leur disposition des moyens high-tech. Soit une palette de drones et de robots, pour certains tout juste sortis des ateliers des industriels, qui doit leur permettre de moins s’exposer aux tirs ennemis et d’être capables de frappes chirurgicales.
Munition téléopérée
Les deux premiers drones déployés par les militaires de la section exploratoire robotique sont déjà bien connus. Un Parrot quadrirotor, soit l’équivalent de jumelles déportées, puis un Black Hornet, un petit drone de 16 cm de longueur, plus discret, sont envoyés en reconnaissance. Mais surgit alors dans le ciel un troisième drone, plus expérimental cette fois.
“J’ai envoyé le premier drone pour voir s’il y avait une présence de l’ennemi, le deuxième m’a confirmé le renseignement obtenu, commente le lieutenant Mamadou. Je sais que l’ennemi réfléchit comme moi, alors j’envoie l’Avatar”. Cela fait un mois que ce drone offensif à six rotors est expérimenté dans sa section. Sa particularité : il est équipé d’un fusil d’assaut HK416, ce qui permet de bénéficier d’un appui feu en hauteur.
L’arme crache ses balles vers l’ennemi. Un nouveau drone à roues arrive sur le champ de bataille, pour évacuer un blessé. Puis un deuxième robot terrestre prend position avant de mitrailler férocement l’adversaire. Cette plateforme, testée depuis cinq mois, est équipée d’une mitrailleuse de 12,7 mm. Une arme au poids conséquent qui “demande d’habitude quatre soldats pour être transportée”, détaille le chef de bataillon Jean-Charles, là où deux militaires suffisent pour diriger le robot, avec en prime un tir plus précis grâce à l’électronique.
Entretemps, un drone bombardier, loin dans le ciel, est venu saturer la zone de fumigènes et de lacrymogènes. Avant qu’un grand boum ne se fasse entendre. Il s’agit d’une munition téléopérée - un nom préféré dans l’armée de terre à celui de munition rôdeuse - qui vient d’être lancée sur le champ de bataille désormais bien enfumé. La munition avait eu toutefois un retard à l’allumage, à cause d’une mauvaise trajectoire prise initialement au décollage, signe que la guerre assistée par les robots doit encore être peaufinée.
Drone bombardier en action lors de la démonstration de l'armée de terre pour sa deuxième journée de la robotique pic.twitter.com/ymN6p8fPqQ
— Gabriel Thierry (@gabrielthierry) May 11, 2023
“Saut de génération technologique”
Ce genre de démonstration n’est en effet qu’un début. Les militaires espèrent avoir des unités robotisées d’ici 2030. La prochaine loi de programmation militaire vise une enveloppe de 5 milliards d’euros pour l’achat et le développement de drones. Une grosse enveloppe qui doit permettre “un saut de génération technologique”, avait expliqué aux sénateurs le ministre des Armées, Sébastien Lecornu.
Mais s’il “ne faut pas rater le train de la robotique”, il ne faut pas non plus “prendre le mauvais train”, avertit le général d’armée Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de terre. Ainsi, alors que les drones aériens sont devenus incontournables, à l’image des opérations militaires menées en Ukraine, les perspectives restent plus lointaines pour les robots terrestres. “L’enjeu, c’est d’avoir une robotique opérationnelle”, précise le général.
Du chemin à parcourir pour les robots terrestres
En effet, la présence de robots terrestres sur le champ de bataille est pour l’instant encore balbutiante. Comme le rappelle l’un des experts du domaine, Joël Morillon, le directeur général délégué de Nexter Robotics, ces armes souffrent encore d’un problème de robustesse et de confiance, tandis qu’il faut être certain de pouvoir les commander à distance en toutes circonstances.
Concrètement, les robots actuels, qui doivent réussir à affronter les intempéries et prouver leur aptitude à évoluer dans différents milieux, peuvent être bloqués par un simple trou dans le sol. En matière d’énergie, les futurs robots devront certainement être hybrides. “Imaginez-vous à Bakhmout [cette ville ukrainienne âprement défendue face aux assauts russes] en train d’essayer de recharger votre drone électrique”, signale le chef de bataillon Jean-Charles.
Besoin de plus d'autonomie
À court terme, les militaires tablent d’abord sur des drones plus autonomes, un point jugé crucial pour le déploiement de cette technologie. D’ici deux ans, on pourrait par exemple voir arriver des drones capables de comprendre des ordres plus larges, une façon de se libérer du travail de télépilotage. Mais sans aller jusqu’à des robots autonomes tueurs, une technologie que l’Hexagone s’interdit pour des raisons éthiques.
“Ce serait bien que le drone soit capable de faire seul l’identification et l’analyse, on estime que les briques technologiques sont mûres”, explique le colonel David Schuster, l’officier référent robotique au sein de l’état-major de l’armée de terre.
Et ensuite ? Réunis au sein d’un groupe de travail du Gicat, le lobby des industriels de l’armement terrestre, une cinquantaine de soldats, de gendarmes et de pompiers imaginent en ce moment les robots de leurs rêves. Le fruit de leurs réflexions ? Un robot serpent, capable de se glisser dans les canalisations ou en haut des arbres pour faire de l’observation ; un robot à grosses roues armé d’une mitrailleuse ; ou encore une plateforme dotée de plusieurs tourelles capable de faire feu dans plusieurs directions. Autant d’armes futuristes qui font saliver les militaires, mais qui donnent aussi un air de cauchemar à la guerre de demain.