Comment la chaîne de pharmacies Rite Aid a secrètement utilisé la reconnaissance faciale dans ses magasins

Rite Aid, une chaîne de pharmacies américaine, a utilisé dès 2012 un dispositif de reconnaissance faciale dans 200 magasins, dans l'objectif selon elle de lutter contre les vols et protéger son personnel de possibles violences. Reuters, à l'origine de l'enquête, relève que la plupart des caméras étaient installées dans des quartiers défavorisés à majorité afro-américaine ou latino.

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Comment la chaîne de pharmacies Rite Aid a secrètement utilisé la reconnaissance faciale dans ses magasins

La chaîne de pharmacies américaine Rite Aid a utilisé un système de reconnaissance faciale au cours des huit dernières années, révèle Reuters le 28 juillet. Les 200 magasins équipés de cette technologie étaient majoritairement situés dans des quartiers défavorisés à majorité afro-américaine et latino, d'après l'enquête.

Dissuader les vols et protéger le personnel
Contacté par l'agence de presse, Rite Aid a confirmé l'existence et l'étendue de son programme de reconnaissance faciale. Le retailer a défendu l'utilisation de cette technologie pour dissuader le vol de marchandises et protéger le personnel d'éventuels actes de violence. En revanche, le déploiement de ce dispositif dans certains quartiers n'a aucun lien avec l'origine ou la couleur de peau des personnes y résidant, promet Rite Aid. Ce qui n'est pas tout à fait vrai, d'après Reuters.

"Dans les zones où les personnes de couleur, y compris les résidents noirs ou latinos, constituent le groupe ethnique le plus important, Reuters a constaté que les magasins étaient trois fois plus susceptibles d'être équipé de cette technologie", peut-on lire dans l'enquête. De son côté, la chaîne américaine explique que le choix des emplacements reposait sur des données liées à l'historique des vols en magasin ainsi que sur des statistiques criminelles locales et nationales.

Concrètement, les caméras faisaient correspondre les images des clients avec celles des personnes que Rite Aid avait déjà observées en train de se livrer à de prétendues activités illégales. Lorsque les images correspondaient, une alerte était envoyée sur le smartphone des agents de sécurité qui vérifiaient l'exactitude de la concordance. Les profils étaient supprimés au bout de 10 jours sauf si les clients avaient à nouveau un comportement suspect. Dans ce cas, ils étaient inscrits sur une liste permettant de surveiller les agissements de ces individus.

D'après Rite Aid, les clients étaient informés de l'existence de ce dispositif grâce à des panneaux situés dans les magasins et par un règlement publié sur son site internet. Or, dans plus d'un tiers des magasins, les journalistes n'ont trouvé aucune mention faite à l'usage de cette technologie.

Le fournisseur de la technologie est proche de Pékin
Le retailer a d'abord utilisé le système de reconnaissance faciale proposé par l'entreprise américaine FaceFirst. En 2013, la chaîne de pharmacies avait déployé les caméras de FaceFirst dans 65 magasins, dont 52 étaient situés dans des quartiers à "majorité noire ou latino". En 2018, la chaîne de pharmacies a changé de fournisseur et a choisi l'entreprise DeepCam LLC, qui est étroitement liée à la société chinoise Shenzhen Shenmu.

DeepCam LLC a été fondé par Don Knasel et Jingfeng Liu. D'origine chinoise, de nationalité américaine et titulaire d'un doctorat de l'Université de Carnegie Mellon, Jingfeng Liu est également président d'une autre entreprise de reconnaissance faciale en Chine, appelée Shenzhen Shenmu. DeepCam LLC et Shenzhen Shenmu étaient étroitement liés. Outre le rôle de Jingfeng Liu dans les deux sociétés, elles partageaient le même site web et la même adresse email, selon des documents internes consultés par Reuters. De plus, le plus grand investisseur extérieur de Shenzhen Shenmu, qui détient environ 20 % de son capital, est un fonds stratégique mis en place par le gouvernement chinois. Il a pris une participation de 6 millions de yuans (855 000 dollars) dans Shenzhen Shenmu. Le fonds a reconnu avoir investi dans cette société mais il a déclaré qu'il "ne participe pas au fonctionnement et à la gestion quotidienne de l'entreprise".

"Un scandale", a tout de même réagi Marco Rubio, sénateur américain et président par intérim de la commission du renseignement du Sénat. Des experts en sécurité ont exprimé également leur inquiétude quant au fait que les informations recueillies par une société liée à la Chine pourraient finalement atterrir dans les mains de Pékin. Mais aucun transfert de données vers la Chine n’a toutefois été constaté par le média américain.

Rite Aid promet avoir arrêté son programme
La publication de l'enquête a fait réagir Rite Aid qui a affirmé à Reuters qu'il avait éteint toutes les caméras équipées de la reconnaissance faciale. "Cette décision repose en partie sur une réflexion plus large de l'industrie", a déclaré la société dans un communiqué, ajoutant que "d'autres grandes entreprises technologiques semblent réduire ou repenser leurs efforts en matière de reconnaissance faciale étant donné l'incertitude croissante quant à l'utilité de la technologie". En effet, à la suite des mouvements de protestation suscités par la mort de George Floyd, IBM a annoncé l'arrêt de sa vente de logiciel de reconnaissance faciale. Amazon a suspendu l'usage de Rekognition par la police et Microsoft a déclaré qu'il se refusait à vendre sa technologie de reconnaissance faciale aux services de police.

Reuters ne consacre qu'un seul paragraphe sur la légalité du dispositif déployé par Rite Aid. Il note simplement que "les systèmes de reconnaissance faciale ne sont largement pas réglementés aux États-Unis", sauf dans certains Etats tels que la Californie, le Texas, l'Illinois et Washington. Or, c'est bien ce manque d'harmonisation au niveau fédéral qui laisse planer un doute sur l'usage de cette technologie et ouvre une brèche pour les entreprises désireuses de déployer la reconnaissance faciale.

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