Covid-19 : Internet peut-il vraiment s'effondrer à cause d'une augmentation du trafic ?

Report du lancement de Disney+, réduction des débits pour Amazon, YouTube et Netflix… Les annonces pour garantir le "bon fonctionnement" des réseaux télécoms se multiplient. Certains évoquent même qu'Internet en tant qu'infrastructure pourrait "s'effondrer". Ces discours alarmistes sont techniquement faux et peuvent cacher une volonté d'affaiblir la neutralité du net, qui garantit l'égalité de traitement de tous les flux de données, au profit des opérateurs télécoms.

 

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Covid-19 : Internet peut-il vraiment s'effondrer à cause d'une augmentation du trafic ?

Depuis le début du confinement le 16 mars 2020, opérateurs télécoms, fournisseurs de services et décideurs politiques multiplient les annonces pour "sécuriser l'accès à internet", "éviter une congestion"… A la demande du commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton, Netflix, YouTube et Amazon ont par exemple accepté de réduire leurs débits. Disney+ a aussi repoussé son arrivée sur le marché.

L'objectif affiché est de "veiller à garantir le bon fonctionnement des réseaux de télécommunications indispensables pour les services de secours et de soins et l’usage massif des solutions de télétravail, de télé-éducation", écrit le gouvernement français dans un communiqué publié le 22 mars 2020.

Quel est le risque ?
Mais que risque-t-on vraiment ? Est-ce qu'une utilisation croissante et généralisée des réseaux de télécommunications pourrait conduire à leur saturation ? "Dire qu'Internet est saturé, c'est absurde. Cela n'a aucun sens", tranche Stéphane Bortzmeyer, architecte système et réseau à l'Association française Internet en coopération, interrogé par L'Usine Digitale. L'Afnic a pour mission de gérer les noms de domaine nationaux de premier niveau de la France.

Pour bien comprendre la problématique, il faut déjà saisir le fonctionnement d'Internet en tant qu'infrastructure. Comme son nom l'indique, Internet est un ensemble de réseaux mondiaux interconnectés (interconnected networks) qui permet à des ordinateurs et à des serveurs de communiquer efficacement au moyen d'un protocole de communication commun. Cependant "il n'y pas 'un Internet' mais des tas de réseaux qui sont connectés entre eux comme des tuyaux", explique Stéphane Bortzmeyer. De plus, Internet est un réseau distribué, c'est-à-dire qu'il n'existe aucun nœud central où chaque réseau passerait.

Distinguer les réseaux des services
"Il faut donc distinguer ces tuyaux des services présents en bout de chaîne comme YouTube ou Netflix", affirme Stéphane Bortzmeyer. Depuis le début du confinement, de nombreux professeurs se sont par exemple plaints que leur "espace numérique de travail" (ENT) fonctionnait très mal, voire pas du tout. Ce dysfonctionnement est bien dû à une surcharge de l'activité, mais le réseau qui mène à ce site n’a pas de problème.

Autrement dit, "les tuyaux de l'Internet vont bien. Ce sont certains sites Web qui faiblissent", conclut-il. Pourquoi certains sites plantent sous la charge ? "Sans une analyse spécifique de chaque problème, on ne peut pas déterminer la cause", indique le membre de l'Afnic. Il peut très bien s'agir d'une mauvaise optimisation des serveurs spécifiques à ces services par exemple, ou de problèmes sur les réseaux internes des entreprises. Stéphane Bortzmeyer explique que, par exemple, l'Education nationale a tendance à choisir les entreprises spécialisées dans la réponse aux appels d’offre pour le déploiement de ses services numériques plutôt que de les juger sur leur compétence.

Mais qu'en est-il des tuyaux en tant que tels ? Sont-ils saturés ou risquent-ils de l'être ? Encore une fois, il est impossible d'apporter une réponse catégorique. Cela dépend des situations. Actuellement, les liens qui souffrent le plus sont sans doute "les liens entre les fournisseurs d'accès à Internet et les services de vidéo comme Netflix", déclare Stéphane Bortzmeyer.

Même raisonnement du côté de Matthieu Latapy, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) affecté au laboratoire d'informatique de Sorbonne Université, contacté par L'Usine Digitale. "Des services comme Netflix sont plus sollicités que d'habitude. Il y a donc certainement un goulot d'étranglement, mais cela n'affecte pas la totalité du trafic, seulement celui qui passe par les liens massivement utilisés". Le chercheur prend l'exemple du réseau routier. "Si vous coupez une autoroute, cela fera des congestions sur d'autres routes autour, mais cela ne va pas faire s'effondrer le système. La majorité des routes ne seront pas impactées", expose-t-il. Raison pour laquelle Stéphane Bortzmeyer estime que la dégradation délibérée de YouTube et Netflix est inutile.

Une faible augmentation du trafic
Malheureusement, il n'existe pas de données publiques sur l'état global du trafic, même si certaines associations en publient. C'est le cas de France-IX, dont les statistiques ne montrent qu'une faible augmentation du trafic, ce qui est finalement assez logique. En effet, les gens qui utilisaient Internet pour travailler depuis leur lieu de travail font exactement pareil mais chez eux. L'augmentation peut être due aux élèves qui, à la place d'être en cours, regardent des vidéos.

La situation actuelle est donc loin d'être catastrophique et ne risque a priori pas de l'être. Alors pourquoi il y-a-t-il autant de communication autour de la capacité des réseaux à résister ou non ? "Le vrai problème n'est pas du tout technique, lâche Stéphane Bortzmeyer et poursuit, nous sommes face à un bras de fer entre les fournisseurs américains de service de VOD et l'Etat français qui profite de l'épidémie pour faire du protectionnisme".

Le paiement d'une redevance de passage ?
Les opérateurs télécoms entretiennent des relations compliquées avec les fournisseurs de contenus étrangers tels que Netflix ou Amazon Prime… Ils aimeraient leur faire payer une redevance de passage qui varierait en fonction du volume d'information et de la qualité d'acheminement désirée. Or cette situation serait contraire à la neutralité du net, qui garantit l'égalité de traitement de tous les flux de données sur internet. C'est d'ailleurs le discours tenu par la Commission européenne, qui affirme que la pandémie de Covid-19 n'est pas une raison pour piétiner ce principe.

Pour appuyer ses propos, Stéphane Bortzmeyer cite le report du lancement en France de la plate-forme de streaming Disney+ au 7 avril 2020, alors qu'il n'a pas été décalé pour les autres pays européens. "Ce n'est pas une question de saturation du réseau. C'est le fait que c'est un nouvel entrant et qu'il n'y a pas eu d'accord avec les opérateurs existants", assure-t-il. Stéphane Richard, le PDG d'Orange, a réitéré à plusieurs reprises le risque que représentait un tel lancement en pleine période de confinement, plaidant pour un report. Cette prise de position n'est assurément pas un hasard.

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