
L'Usine Digitale - A l'heure du cloud et du big data, comment peut-on expliquer qu'il soit toujours nécessaire de recourir à l'analyse des boîtes noires pour identifier les causes d'un accident d'avion ?
Pierre Jouniaux - Le stockage et le traitement des données recueillies lors d'un vol fait appel à des technologies anciennes. Dans l'aviation tout va en effet très lentement en raison de la standardisation internationale des normes de sécurité. L'adoption de nouvelles technologies représente en outre un coût important, impossible à supporter par des compagnies aériennes qui connaissent actuellement pour la plupart des difficultés financières. C'est encore plus vrai pour des appareils anciens comme pour le vol affrété par Air Algérie, le McDonnel Douglas MD-80 qui s'est écrasé a été conçu dans les années 80. Il faut également avoir en tête que dans certaines zones de la planète où il n'y a pas de relais au sol, le coût des communications transmises via satellites se révèle particulièrement élevé.
Dans son rapport final sur les circonstances du crash du vol Rio-Paris remis en juillet 2012, le BEA avait formulé une série de recommandations pour améliorer les conditions de sécurité. Parmi elles, figurait notamment celle "d'étudier la possibilité d’imposer pour les avions effectuant du transport public de passagers la transmission régulière de paramètres de base (par exemple : position, altitude, vitesse, cap)".
Les trois récents crashs (dans l'océan indien, en Ukraine et au nord du Mali) ne vont-ils pas changer la donne en matière de réglementation internationale ?
C'est déjà en train de faire bouger les choses. L'Association internationale du transport aérien (IATA) et l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ont organisé plusieurs réunions d'urgence depuis la disparition du vol MH370, en mars dernier. Cet accident avait déjà servi d'électrochoc concernant les difficultés rencontrées actuellement pour retrouver un avion. On se dirige donc vers de nouvelles normes qui exigeront une communication plus fréquente de la position des appareils, à l'image de ce qui se fait en mer avec le système d'alerte et de localisation Sarsat.
On ne peut donc pas imaginer une transmission, un stockage et un traitement en temps réel de l'ensemble des données collectées par les avions ?
Cela représente un nombre trop important de données : la boîte noire permet en effet de retracer chaque seconde du vol en consultant l'évolution de nombreux paramètres. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'analyse d'une boîte noire prend du temps car parfois certaines données manquantes doivent être recalculées avec une extrême précision. Actuellement, la flotte mondiale est estimée à environ 20 000 avions et on estime qu'elle aura doublée d'ici 2030, ce qui rend inimaginable une transmission en temps réel de l'ensemble des données de vol.
Propos recueillis par Julien Bonnet
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