Criteo, à l'approche de la fin des cookies tiers, mise sur le retail media
Avec les nouvelles règlementations sur les cookies, Criteo a dû diversifier son business model pour rester en piste. Le champion français du reciblage publicitaire ne se présente déjà plus comme tel, espérant être bientôt perçu comme "spécialiste français du retail media". Un segment qui représente pour l’heure 37% de ses revenus.
Changement des règles sur le consentement et les cookies tiers, baisse des dépenses publicitaires pendant l’épisode Covid-19, plainte de la Cnil... Criteo, pionnier du reciblage publicitaire, s’est vu obligé de revoir son business model, ou plutôt de le diversifier. L’entreprise continue de générer des revenus avec les cookies (jusqu’en 2025 au moins) puisqu’environ 70% des utilisateurs les acceptent encore. Mais elle voit son avenir dans le retail media et fait petit à petit grandir la part de cette nouvelle activité dans son chiffre d’affaires.
Un modèle de base dépendant des cookies tiers
Fondé en 2005, Criteo s’est fait connaître en tant que spécialiste du retargeting, une branche du marketing publicitaire reposant sur l’utilisation de cookies tiers, ou "third party cookies". L’entreprise permet à ses clients d’aller chercher des "prospects chauds", c’est-à-dire les clients potentiels qui ont été sur un site web, se sont renseigné sur un produit, l’ont même éventuellement mis dans leur panier, mais n’ont pas acheté.
Les algorithmes de Criteo le suivent dans sa navigation et lui re-proposent le produit en question sous forme de publicité, un peu plus tard, sur une autre page web. Un service permis par l'utilisation des fameux cookies tiers, non nécessaires au fonctionnement des sites web et permettant juste de suivre les utilisateurs de site en site.
Criteo achète des espaces publicitaires en ligne et les revend aux entreprises, qu'elle fait payer au nombre de clics, le fameux "coût par clic". Ce modèle historique, choisi pour concurrencer Google (pour qui les annonces ne coûtent rien), a extrêmement bien fonctionné, faisant de Criteo l’une des premières pépites technologiques françaises du web, l’introduisant au Nasdaq et lui faisant passer le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012.
Fin des cookies
Oui mais voilà, la publicité massive et intrusive a fini par donner aux utilisateurs le sentiment d’être un produit pour les publicitaires. Le pistage systématique, et par là même, l’utilisation des cookies tiers, est ainsi de plus en plus critiqué et les instances publiques s’en mêlent. En 2018, il y a eu le règlement général sur la protection des données (RGPD) et en 2020, la Cnil a durci les règles concernant le recueil du consentement des internautes en instaurant l’obligation de donner à celui-ci la possibilité de refuser en un clic les cookies.
Les grandes entreprises technologiques américaines se sont elles aussi senti obligées de réguler leur plateformes pour ne pas potentiellement perdre des utilisateurs. Apple a supprimé dès 2017 les cookies tiers sur son navigateur Safari, et en 2019, Google a annoncé son intention d’en faire de même sur Chrome, même si cette décision ne sera finalement pas effective avant 2025.
Résultat : dès 2018, Criteo a vu le cours de son action en bourse chuter de 20%, puis de 15,9% en 2020. "On a été beaucoup trop identifiés sur ces sujets-là, on nous a pris comme un symbole parce qu’à l’époque on était la seule société qui faisait ça a être côté au Nasdaq. Les gens se sont dit "Quel est le futur de Criteo puisque le ciel s’assombrit sur un élément essentiel de leur modèle ?", déplore Nicolas Rieul, vice-président Europe de l’Ouest chez Criteo.
La Cnil sur le dos
En parallèle, à l'initiative de l'ONG britannique Privacy International, une enquête sur les pratiques commerciales de l’entreprise a été ouverte en 2020 par la Cnil pouvant exposer Criteo à une amende de 60 millions d'euros. L’histoire n’est pas réglée. Cet été, l’entreprise a annoncé avoir reçu un rapport avec des propositions de sanction.
"Normalement tout cela n’est pas public, mais comme il y a eu un montant annoncé et qu’on est une société cotée, on se devait de le provisionner dans nos charges et de l’annoncer à nos investisseurs. Ça nous a fait de la presse, on aurait préféré s’en passer... Mais nous sommes confiants dans notre conformité, nous avons un niveau de protection élevé, bien plus que la plupart de nos concurrents", affirme le VP.
Baisse des dépenses publicitaires pendant la pandémie
Et pour couronner une année 2020 compliquée, il y a eu la baisse des dépenses publicitaires des entreprises due à la pandémie. Mais selon Nicolas Rieul, "L'e-commerce a bien marché et a même plutôt porté l’entreprise, même si certains secteurs comme celui du voyage, gros investisseur de la publicité en ligne, ont tout stoppé drastiquement".
"Le changement de règlementation et le contexte économique ont effectivement atteint nos revenus, mais là aussi, il y a eu des articles mensongers. Les chiffres de Criteo ont toujours été bons. On a eu plus de 600 millions d’euros en cash de trésorerie et celle-ci s’est maintenue, on a appliqué une gestion de 'bon père de famille' à une époque où il y avait des levées de fonds à tout-va. On a toujours été rentables et avec des réserves très importantes", poursuit-il, comme tenant à rétablir la vérité.
Le nouveau criteo mise sur le commerce media
Il assure même que si "tout un secteur a été impacté, Criteo, finalement, l’a moins été que les autres". Cela grâce à un business model dont la diversification "a été entamée en 2015, bien avant les changements de règles sur les cookies", tient-il à préciser. "Pour les investisseurs, il suffisait de faire ses preuves avec un produit et de scaler, c’est ce qu’on appelle les 'one-trick pony'. C’est par sécurité et pas par contrainte que l'on a souhaité se diversifier"
Criteo a recentré son chiffre d'affaires, aujourd’hui de 2,2 milliards d’euros, sur le marché de l'e-commerce, les sites marchands ayant accès à une mine d'informations gratuite et centrée sur les first party cookies. L’entreprise voit ainsi son avenir dans le retail media ou commerce media, la troisième vague de la publicité en ligne après la recherche (avec Google) et le social (avec Meta, Tik-tok, etc.)
Un segment en croissance
Alors que les réseaux sociaux recueillent encore la majeure partie des dépenses publicitaires des annonceurs, l'e-marketer entrevoit un bel avenir pour le retail media. L’entreprise a récemment publié une étude "Future of Commerce – The Rise of Retail Media on the Open Web" où elle indique que plus de la moitié des agences médias interrogées ont déclaré que le retail media offrait un ciblage plus précis de l'audience ainsi qu’une meilleure pertinence et croissance des ventes.
"Aujourd’hui le retail media c’est déjà 20% de la publicité en ligne aux États-Unis", explique Nicolas Rieul, "Ce n’est pas un buzz qui va retomber. Et c’est la seconde vie de Criteo. On s’est repositionné sur un segment en croissance." Cette entrée sur le marché du retail est passée par de nombreux rachats comme Storetail (affichage de bannières publicitaires chez les e-commerçants, native advertising) ou encore Hooklogic et sa plateforme de marketing.
Commerce Max : une DSP qui centralise les ventes d’espaces publicitaires
En septembre dernier, la firme a lancé un nouvel outil intitulé Commerce Max : une Demand Side Platform (DSP) qui centralise les espaces de ventes dédiés à la publicité, dotée de l'IA prédictive de Criteo qui permet aux entreprises d’identifier "le meilleur chemin vers la conversion et les résultats".
Aujourd’hui, l’entreprise française monétise le site et les données de 150 retailers dans le monde. Plus de 60% du chiffre d’affaires de Criteo est utilisé pour l’achat d’espaces publicitaires sur les site de médias.
"Voilà le nouveau Criteo, et c’est une réalité chiffrée", assure son vice-président, "37% de notre chiffre d’affaires provient du commerce media, un chiffre en croissance de plus de 50%. On a promis à nos investisseurs que dans les trois ans à venir, 75% de notre business serait du hors retargeting."
Concurrencer Amazon ?
Sur ce segment, le numéro un est sans surprise Amazon, 3e acteur de la publicité mondiale. Mais pour Nicolas Rieul, "c’est un concurrent sans l’être", qui n’a pas "le même positionnement". "Amazon a 15%, 25%, 30% de parts de marché selon les pays. C’est énorme, mais en réalité il reste du monde. Criteo a 50% du top 25 de l'e-commerce mondial, travaille avec 22 000 retailers et voit passer 900 milliards de revenus e-commerce dans ses bases de données, soit trois fois le revenu e-commerce d’Amazon."
Un vrai problème se serait posé si 90% des gens refusaient les cookies
Est-ce que Criteo continue d’utiliser les cookies tiers ? Évidemment. "Ils sont autorisés au moins jusqu’en 2025, et ça peut encore évoluer", rappelle Nicolas Rieul. "Quand l’utilisateur dit 'oui' on peut utiliser les cookies, ce qui est le cas dans 60%, 70% ou 80% des cas malgré la possibilité en France de les refuser en un clic. Un vrai problème se serait posé si 90% des gens disaient non". Quant à l’arrêt total des cookies tiers, "il y a plein d’alternatives possibles" selon lui. Il va tout de même falloir les trouver.
L'ad-tech française participe à la Privacy Sandbox, un projet collaboratif lancé par Google pour rendre la publicité plus respectueuse de ses utilisateurs. "On travaille sur tous les scénarios, on fait des tests. Pour l’heure, ils montrent que c’est effectivement moins efficace qu’avant, mais on continue à chercher et on trouvera des moyens alternatifs de créer de la valeur, de livrer aux annonceurs des informations utiles sur les visiteurs sans piétiner leur vie privée."
"Il y a dix jours, des opérateurs téléphoniques européens ont annoncé à la Commission européenne vouloir offrir un outil au-dessus des ventes plateforme pour le ciblage publicitaire. Ça ne signifie pas qu’on va l’utiliser, mais ce que je veux dire c’est que ça évolue tous les jours sur ces sujets".
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