En Suisse, la start-up Clearspace se prépare à nettoyer l’espace
Située près de Lausanne, la jeune entreprise, qui a levé 26 millions d’euros en janvier, développe un robot nettoyeur d’orbite révolutionnaire. L’Agence spatiale européenne vient de valider la première phase de son programme qui vise à éliminer un débris spatial en 2026. Reportage.
Les pieds sur terre mais des étoiles dans les yeux. Quand Luc Piguet parle de Clearspace, l’entreprise qu’il a cofondé en janvier 2018, son regard s’illumine instantanément. Il faut dire que le projet est aussi révolutionnaire qu’ambitieux : nettoyer l’espace de ses innombrables débris incontrôlables. Que cela soit des corps de fusées abandonnées, des pièces métalliques ou des satellites entiers en panne.
L’enjeu est de taille. Selon l’Agence spatiale européenne (ESA), il y en a effet plus de 30 000 en orbite actuellement autour de la terre sous surveillance… et 130 millions intraçables du fait de leur petite taille (entre 1 mm et 1 cm) ! Des chiffres en croissance exponentielle du fait de la multiplication des lancements de satellites.
Une pollution qui représente un risque majeur de collisions dévastatrices. Comme dans la scène d’ouverture du film Gravity.
À cette hauteur, le moindre objet file en effet à une vitesse phénoménale (plus de 28 000 km/h). Un pièce d’une dizaine de centimètres possède par exemple autant d’énergie cinétique qu’un camion de 35 tonnes fonçant à 190 km/h sur Terre, illustre l’association de scientifiques canadiens Spacesecurity.org. Sachant que plus un objet est envoyé loin, plus il mettra de temps à se “désorbiter”, c’est-à-dire à se consumer en réintégrant l’atmosphère. On parle de quelques années pour un déchet situé à 500 km au-dessus de nos têtes, de dizaine d’années à 800 km et… de siècles au-delà des 1 000 km.
La hantise des spécialistes ? Le syndrome de Kessler, du nom du consultant de la NASA qui, dans les années 1980, a envisagé un scénario où l’espace deviendrait inexploitable du fait de sa dangerosité et de la réaction en chaîne des nuages de débris provoqués par les collisions de déchets entre eux. “Il est difficile de savoir quand on y sera mais les signes actuels sont alarmants”, confie Lionel Métrailler, ingénieur en astrophysique chez Clearspace.
Une dépanneuse de l’espace
En février 2009, un accident se produit entre le vieux satellite militaire russe Cosmos et le satellite commercial Iridium, générant près de 2 000 gros débris spatiaux. Un événement qui a profondément marqué Muriel Richard-Noca, une ex ingénieure de la NASA, devenue responsable du programme de développement du satellite suisse SwissCube, avec plus de 250 étudiants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). En 2012, cette dernière mène la mission CleanSpace-1, toujours avec l’EPFL, afin d’aller rechercher le satellite envoyé quelques années plus tôt. Mais elle se heurte à la difficulté de trouver du financement.
Elle rencontre, en 2017, Luc Piguet, un ingénieur commercial passé par Stanford. Ensemble, ils décident de sortir du projet strictement académique pour créer une startup : Clearspace. “Les transports routiers, maritimes ou aériens ont des capacités de service et d’intervention. Le spatial, non. C’est comme si on avait des autoroutes mais pas de dépanneuses”, affirme l’entrepreneur vaudois.
Le destin va leur donner un coup de pouce. En septembre 2018, l’Agence spatiale européenne (ESA) lance son premier appel d’offres pour mener une mission de désorbitage d’un débris spatial. ClearSpace, à peine trois dans l’équipe, se retrouve en compétition avec douze autres entreprises, dont des mastodontes du secteur comme Airbus ou Thalès. “On ne pensait pas qu’on allait être choisi, ou, à la limite, en collaboration avec l’un de ces acteurs”, se rappelle Luc Piguet, qui s’associe pour l’occasion avec une vingtaine de partenaires industriels européens.
Plus de six mois plus tard, la sentence tombe : Clearspace est sélectionné. Avec qui d’autre ? Personne ! Silence dans la salle. “C’est 5 minutes d’euphorie pour 5 ans de misère”, prédit un collègue à Luc. Qui confirme : “C’est vrai que c’est très dur jusqu’ici, mais on a la chance de pouvoir rassembler des talents incroyables préoccupés par l’environnement spatial et qui veulent à tout prix faire partie de ce projet”.
La mission ClearSpace-1 de l’ESA, dotée d’un budget de 110 M€, vise à récupérer en 2026 un morceau de 112 kilos d’une ancienne fusée européenne, laissé en 2013 à 800 km de la Terre, puis de le désorbiter. La startup d’une centaine de salariés a conçu à cet effet un robot nettoyeur muni de quatre tentacules, visible dans ses locaux, près de Lausanne, juste au-dessus de l’école informatique 42 Lausanne. L’ESA vient d’ailleurs de valider, ce 21 février, la phase 1 du programme, à savoir l’ensemble du design de la plateforme.
Un marché à créer
Luc Piguet en est convaincu, il existera un modèle économique pour ce type de mission à l’avenir. “Ce n’est pas parce que ça n’existe pas aujourd’hui, que cela n’existera pas demain. Ce type de service va devenir indispensable à un horizon beaucoup plus rapide que ce que nous avions envisagé dans nos prévisions”, atteste-t-il.
Du fait de la réduction drastique du coût d’accès à l’espace, un champ dénué de toute loi mondiale, les projets de constellations de satellites en orbite basse se multiplient en effet afin de proposer de l’Internet très haut débit avec une latence réduite. Notamment le projet controversé Starlink de la firme d’Elon Musk SpaceX : disposant déjà de 2 000 satellites, elle s’apprête à en envoyer 12 000 d’ici les prochaines années et demande actuellement l’autorisation pour 30 000 supplémentaires ! Une ambition qui préoccupe même la NASA.
Avec l’expertise qu’elle est en train de développer avec l’ESA, Clearspace entend bien se faire une place dans ce marché du nettoyage de l’espace. En septembre dernier, elle signait un contrat avec l’agence spatiale anglaise pour étudier l’enlèvement de deux débris avec la même “dépanneuse”.
“Nous travaillons également sur la possibilité de dépannage de satellites afin d’étendre leur durée de vie”, ajoute Lionel Métrailler. Actuellement, ces derniers sont à usage unique : une fois envoyés dans l’espace, ils deviennent hors service la plupart du temps… simplement par manque de carburant ! L’idée serait alors d’opérer comme une sorte de station-service spatiale. Un projet en ce sens a été dévoilé avec l’américain Intelsat en novembre dernier. Il n’en faut pas moins pour tenter de limiter la casse.
En Suisse, la start-up Clearspace se prépare à nettoyer l’espace
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir