Exaion (EDF), représentant français de la filière méconnue de la blockchain as a service

Avec Exaion Node, lancée en décembre 2022, le groupe EDF est entré dans le cercle très fermé des fournisseurs d'infrastructure à la demande pour les développeurs d'applications blockchain. Un marché dominé par les sociétés américaines Infura et Alchemy, ces "AWS de la crypto" qui rendent le "Web3" beaucoup moins décentralisé qu'on ne le pense.

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Exaion (EDF), représentant français de la filière méconnue de la blockchain as a service

L'Europe est un creuset pour les start-up de la blockchain, et pour développer leurs applications elles ont besoin de services cloud, comme tout le monde. Sauf que dans la blockchain les besoins sont particuliers, et ont donné naissance à un secteur largement passé sous les radars mais très dynamique, celui de la blockchain as a service (BaaS). Deuxième particularité : le "Web3" s'est réveillé très vite pour imaginer une solution souveraine. Cocorico, la France en possède une : Exaion.

Cette filiale du groupe EDF, créée en 2020, a lancé une solution BaaS baptisée Exaion Node en décembre 2022. Ses deux autres activités historiques sont des solutions d'Infrastructure as a Service (IaaS) : Studio (cloud 3D) et Compute (HPC, edge computing).

Sans les "noeuds", pas de blockchain

Exaion Node propose aux développeurs et aux entreprises un service clé en main de "nœuds blockchain" à la demande, privés ou partagés, sur plusieurs protocoles : Ethereum, Tezos, EWF, Avalanche, Bitcoin, Polkadot et Moonbeam. L'offre comprend un accompagnement personnalisé pour le développement de cas d’usage spécifiques (finance décentralisée, NFT...).

Pour comprendre de quoi il retourne, il faut soulever le capot. Les "nœuds" sont un élément essentiel au fonctionnement de la blockchain. Ce sont eux qui servent à valider les transactions et qui stockent une copie de leur historique. Toute requête sur une blockchain a besoin de passer par un de ces nœuds. Sans nœud, pas de bloc. Pour faire tourner un nœud, il faut une machine et des logiciels. Les fournisseurs de blockchain as a service mettent à disposition ces nœuds sous forme de services managés, associés à des plateformes de développement d'applications.

"Un nœud, c'est deux choses, explique Fatih Balyeli, CEO et co-fondateur d’Exaion : l'usine de montage et d'assemblage d'un protocole, et le sas d'accès à la blockchain. C'est à la fois une API et du matériel. L'équivalent, dans le Web2, c'est ce que font tous les grands acteurs du cloud, qui réunissent la puissance de calcul et l'espace de stockage." C'est pourquoi les spécialistes du secteur revendiquent souvent l'objectif de devenir "l'AWS du Web3".

Exaion cible les acteurs institutionnels

Mais quel rapport avec le groupe EDF, au fait ? "Nous mettons à disposition un service sécurisé, utilisant une énergie décarbonée. EDF possède des datacenters et des technologies de cybersécurité, et n'a aucune inertie dans le Web2 alors que les hyperscalers ont une rente avec le Web2. Le secteur manque de tiers de confiance et de solutions intégrées pour les grands corporates, qui doivent faire appel à de multiples intermédiaires : une SSII pour les smart contracts, un intégrateur, une blockchain privée ou de consortium, du conseil, du cloud, etc. Ces grandes entreprises ne rentreront dans le jeu que si elles ont une vision claire et se sentent en sécurité, et nous sommes légitimes pour leur apporter. De plus, un tiers des cas d'usage sont énergétiques", souligne Fatih Balyeli.

Exaion Node héberge ses activités sur d’anciens serveurs reconditionnés du TOP500 des supercalculateurs, qui sont alimentés par le mix énergétique d’EDF. Les infrastructures sont situées en Normandie.

Le plus gros client d'Exaion Node est le secteur bancaire. La filiale travaille avec la Société Générale et BNP pour l'émission d'obligations tokenisées servant à financer un projet de parc d'énergies renouvelables. Exaion compte une vingtaine de gros acteurs parmi ses clients, dont Ubisoft… et EDF, pour lequel elle développe une solution de traçabilité de la production d'électricité (savoir si l'électricité qui arrive chez le client est d'origine renouvelable, nucléaire…).

L'autre argument en faveur de la légitimité d'EDF est celui de la souveraineté. "Demain, la maîtrise des nœuds sera le nerf de la guerre. Un enjeu de souveraineté, qui nécessite de trouver des solutions comme EDF l'a fait durant le choc pétrolier", déclare le CEO.

Une solution souveraine, et ce n'est pas anodin

Les plus gros concurrents d'Exaion Node sont d'origine américaine : le géant du secteur Infura (qui appartient au groupe Consensys, société propriétaire du wallet Metamask, qui compte plus de 30 millions d’utilisateurs) ; la start-up Alchemy qui après avoir levé 200 millions de dollars en 2022 a vu sa valorisation monter à plus de 10 milliards de dollars ; ou encore Blockdaemon, valorisée 3,5 milliards de dollars.

"Ce sont des entreprises que le grand public ne connaît pas, mais les investisseurs eux ont bien compris leur intérêt", commente Fatih Balyeli. Depuis que le secteur du trading de cryptomonnaies a commencé à tanguer, l'infrastructure attire aussi les exchanges. Coinbase Cloud a lancé "Node" en septembre 2022 pour se diversifier. "Amazon et Google sont également en train de remonter la chaîne de valeur pour s'adresser directement aux clients", ajoute le CEO d'Exaion. Bref, le BaaS est un point chaud dans le Web3.

Face à eux, Exaion tient à affirmer sa différenciation en offrant des services au-delà du protocole Ethereum, et en opérant ses propres serveurs indépendamment des hyperscalers (la plupart des fournisseurs de nœuds étant eux-mêmes chez AWS). En revanche, la société de 45 personnes ne dispose pas des mêmes moyens, et se concentre pour le moment sur le développement de son activité en France et au Canada, où elle possède des bureaux à Montréal.

Une industrie excessivement concentrée

Cette concentration des plateformes de développement et d'hébergement pose question, par rapport aux théories décentralisatrices de la blockchain et à l'utopie – pour l'instant en tout cas – d'un web qui ne serait pas dominé par un oligopole. En pratique, Forrester "observe l'émergence de structures de pouvoir très similaires à celles que les avocats du Web3 veulent remplacer. Par exemple, l'activité sur Ethereum serait réduite de moitié si les services centralisés tels que Infura et Alchemy s'arrêtaient".

"En 2020, quand Infura est tombé, il n'y a plus eu aucune transaction sur Ethereum à l'échelle mondiale pendant plusieurs heures", rappelle Fatih Balyeli, qui se sert de cet exemple pour dire que "le marché a besoin d'entreprises comme Exaion". Ce n'est pas le seul exemple remettant en cause la décentralisation du système. Au moment de l'affaire du "mixeur" Tornado Cash, placé sur liste noire par le Trésor américain à cause de son implication dans des mécanismes de blanchiment, Infura et Alchemy avaient également débranché l'accès à Tornado Cash.

À quoi sert d'avoir des applications décentralisées si l'infrastructure est centralisée ? Une question qui vaut aussi pour les validateurs du protocole Ethereum depuis son passage à la preuve d'enjeu, les quatre plus gros validateurs (Lido, Coinbase, Kraken, Binance) représentant plus de la moitié des fonds immobilisés ("stakés") pour la sécurisation du système. En France, le plus gros validateur s'appelle Exaion.

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