Extinction du réseau ADSL : les enjeux du "chantier de la décennie"

En 2025, plus personne ne pourra souscrire un abonnement sur le réseau cuivre. Et d'ici 2030, toutes les lignes auront été fermées. Un "chantier titanesque" pour la patronne d'Orange, mais aussi pour le régulateur, l'État, l'ensemble de la filière, et les clients qui vont devoir opérer la transition.

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Extinction du réseau ADSL : les enjeux du

"Le plan de la décennie." "Un chantier titanesque." C'est ainsi que le secrétaire général d'Orange et la directrice générale de l'opérateur télécoms parlent du programme de fermeture progressive du réseau cuivre en France. Ce réseau est celui de l'ADSL et du téléphone fixe. Suivant le plan d'Orange, une première phase de transition se déroulera jusqu'en 2025, date à laquelle il ne sera plus possible de souscrire d'abonnement sur le réseau cuivre (fermeture commerciale), puis la phase de fermeture industrielle s'échelonnera entre 2026 et 2030, avec la fermeture technique des lignes et les travaux de génie civil pour enlever les câbles.

Ce "chantier titanesque" n'est pas propre à la France. La Suède, l'Espagne, le Royaume-Uni, le Canada l'ont initié aussi. Et pour cause. Le réseau cuivre coûte cher à entretenir alors qu'il est progressivement supplanté par la fibre optique, qui en plus de permettre aux abonnés d'avoir une connexion plus rapide, consomme trois fois moins d'électricité.

un sujet politique

A l'heure actuelle, en France, il existe déjà 20 millions d'adresses auxquelles les particuliers ne peuvent plus souscrire une offre ADSL. Mais le véritable passage à l'échelle, se produira au moment du premier "lot" de fermeture commerciale, en novembre 2023 (pour une fermeture technique en novembre 2024) : 163 communes, 230 000 locaux et environ 200 000 foyers sont concernés.

"Pour l'instant, la fermeture de la fibre est quelque chose de très abstrait. À partir de fin 2023, le projet va commencer à devenir visible. Le sujet va alors devenir politique", analyse Laure de la Raudière, la présidente de l'Arcep, le régulateur des télécoms.

"Sujet politique", assurément. Car le décommissionnement du cuivre – c'est ainsi qu'on l'appelle dans le jargon – présente plusieurs enjeux qui ne se règleront pas par l'opération du Saint-Esprit, ni par la main invisible du Marché.

la question des technologies alternatives

Il y a tout d'abord des enjeux de régulation. Le premier concerne la réglementation, qui aujourd'hui impose qu'un territoire soit fibré à 100% pour pouvoir fermer l'ADSL. Orange demande que cette règle évolue. Christel Heydemann, la directrice générale d'Orange, a réitéré cet appel lors de l'Université du très haut débit qui se tenait à Toulouse, la semaine dernière. Elle a rappelé la "nécessité d'aménager le critère de fermeture réglementaire", la fibre ne pouvant pas "être la seule alternative".

Le 22 septembre, au cours de la conférence "Territoires connectés" organisée par l'Arcep, le secrétaire général d'Orange, Nicolas Guérin, avait lui aussi fait passer le message. "Quelle solution adopte-t-on quand il n'y a pas la fibre ? Comment fait-on pour les raccordements complexes ?" Il avait notamment suggéré que l'IFER, la taxe prélevée sur les réseaux des opérateurs télécoms au profit des collectivités territoriales, soit utilisée pour les financer.

Il faut savoir que depuis décembre 2020, Orange n'a plus d'obligation de service universel. L'opérateur s'est engagé sur la maintenance de son réseau cuivre jusque fin 2023, mais il n'existe pas à l'heure actuelle de service universel du très haut débit. "C'est un chantier entre les mains du gouvernement, précise Ghislain Heude, directeur adjoint de la direction Fibre, infrastructures et territoires de l'Arcep. C'est un filet de sécurité qui serait assez logique dans le cadre de la fermeture du cuivre. Mais il n'y a aucun calendrier." Une consultation est également en cours à l'Arcep sur les critères de fermeture réglementaires.

les réfractaires de la migration

Les premières expérimentations d'extinction du réseau cuivre, qui ont eu lieu dans quelques communes, montrent que même si les clients disposent d'une alternative sérieuse à l'ADSL, certains se montrent réfractaires à la migration. C'est pourquoi Orange estime que la puissance publique va devoir mettre la main à la pâte pour accompagner la transition.

"C'est plus un sujet de communication qu'un sujet technique", commente Nicolas Guérin. Fabrice Douez, directeur du syndicat mixte La Fibre Numérique dans le Nord-Pas-de-Calais, confirme que "les derniers 10% sont très difficiles à aller chercher. C'est quasiment un travail de porte à porte". La commune de Provins, dans le Nord, a servi de pilote. Son maire adjoint témoigne qu'il ne faut pas sous-estimer les travaux - à la charge des administrés - qu'il faut parfois engager pour se raccorder à la fibre, et souligne que certains clients, les personnes âgées notamment, veulent tout simplement une offre de téléphonie qui n'est pas toujours disponible.

"Dans quelques semaines, nous testerons une communication plus institutionnelle, qui associera l'État, pour atteindre les irréductibles", confie Muriel Germa, directrice du pilotage Infrastructure Cuivre chez Orange. On imagine déjà les campagnes télé lorsqu'il s'agira de faire passer la France entière au THD, un peu comme quand il a fallu convertir tout le monde à la TNT.

On imagine aussi le casse-tête en perspective, sachant qu'il n'y a aucun moyen d'obliger un client à migrer – à moins de faire une nouvelle loi -, et qu'Orange a indiqué qu'il ne couperait pas ses clients, heureusement pour eux.

le sujet sensible des tarifs du dégroupage

Autre sujet délicat, les tarifs du dégroupage : ces prix de gros que payent Free, Bouygues Telecom et SFR à Orange pour pouvoir utiliser son réseau cuivre et ainsi vendre des forfaits ADSL à leurs clients. En février, l'Arcep a ouvert une consultation publique sur la question, dans la perspective d'une hausse, qu'Orange réclame depuis des années et qui servirait à accélérer la transition vers la fibre dans les territoires où l'opérateur a déjà procédé à la fermeture commerciale de son réseau.

"Pour Orange, c'est toute l'équation économique qui bascule avec le transfert du cuivre à la fibre. Nous subissons une baisse significative de nos revenus sur le marché de gros. Le tarif du dégroupage ne nous permet plus de compenser nos coûts", affirme Christel Heydemann. Muriel Germa enfonce le clou : "Entretenir le réseau cuivre nous coûte 500 millions d'euros par an, alors qu'il se vide (de 15% en 2021) et que ses coûts ne sont plus recouvrés par la facturation des opérateurs. Si des solutions ne sont pas trouvées pour améliorer cet équilibre, il faudra prioriser sur la maintenance du réseau cuivre."

La consultation de l'Arcep est terminée. Mais pour l'instant, aucune décision n'a été prise et le sujet semble ultra-sensible. On voit bien que le régulateur va devoir jongler entre obligations de qualité de service d'un côté, lâchage de lest sur les tarifs de l'autre, le tout dans un chantier qu'Orange est déterminé à ne pas assumer seul. A l'autre extrémité de la ligne, espérons que les abonnés ne pâtissent pas de ces marchandages.

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