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Festival de Cannes : "La génération des années 70/80 s'est mieux adaptée au numérique que la génération 90"
Vanessa Colombel est directrice de la photo. Après avoir travaillé dans le cinéma, elle exerce ses talents dans la communication de marques de luxe.
Par son âge et sa position, elle a été au cœur de la transformation numérique de la manière de "fabriquer" le cinéma.
Elle explique comment les métiers changent, mutent ou disparaissent.
Loin de l'opposition factice entre métiers supprimés et métiers créés par le numérique, son interview montre comment le digital redistribue les rôles, crée des opportunités, complexifie certains process.
Une leçon à retenir au-delà du monde du septième art.
Christophe Bys
Mis à jour
13 mai 2016
L’Usine Digitale : N’étant pas un site spécialisé dans le cinéma, pourriez-vous commencer par nous expliquer ce que fait une directrice de la photo ?
Vanessa Colombel : La directrice de la photo, ou chef-opératrice, car les deux termes désignent le même métier, font le cadre et la photo d’un film, qu’il soit publicitaire, cinématographique ou pour la télévision. Notre métier est de garantir la qualité de l’image, de sorte qu’elle soit conforme à ce qu’attend le réalisateur. Concrètement, cela commence avec le choix de la caméra, des projecteurs qu’on va utiliser s’il faut une lumière artificielle. Ensuite, pendant le tournage, nous assurons le cadre et la direction de la lumière, puis, nous sommes présents pendant la post-production pour assurer la qualité de l’image. En résumé, c’est un métier qui est à la fois très technique et qui comporte une forte dimension artistique. Souvent, les gens font appel à moi ou à un de mes confrères parce qu’ils ont vu notre travail et qu’ils l’apprécient esthétiquement.
Vous avez commencé à travailler au début du 21e siècle ! Que faisiez-vous alors ?
Je suis sortir de l’école Louis Lumière à 22 ans où j’ai reçu une formation sur les techniques argentiques. A la sortie de l’école, j’étais deuxième assistante caméra. Mon métier consistait à charger la pellicule dans la caméra avant la prise de la vue. Autour de la caméra, plusieurs métiers existent : le chef opérateur, qui avait alors sous ses ordres parfois un cadreur, et deux assistants, l’un pour la mise au point, l’autre pour la pellicule. A cela s’ajoutait le travail du chef électro, des électros qui manipulent les projecteurs et des machinistes qui sont chargés des grues, travellings et autres moyens de faire bouger la caméra.
Le passage au numérique a supprimé le poste de deuxième assistant chargé de la pellicule. Il s’est transformé en assistant numérique qui gère désormais des disques durs et des fichiers.
Le métier n’a pas vraiment changé alors, juste le support ?
Oui et non. Les conditions ne sont plus vraiment les mêmes. Avant, c’était agréable, le deuxième assistant travaillait sur le plateau, avec l’équipe. Après la prise, on emportait la pellicule pour la mettre en boite et l’envoyer au labo. Aujourd’hui, le deuxième assistant travaille devant un ordinateur toute la journée et n’est plus forcément au cœur de la fabrication du film, sur le plateau.
Par ailleurs, les métiers avaient un lien entre eux. Le deuxième assistant participait à la prise des points. On travaillait avec un décamètre pour mesurer les distances entre le personnage et la caméra pour bien régler l’appareil. En outre, il n’y avait pas de retour vidéo comme aujourd’hui, il fallait attendre les rushs pour savoir si la prise était nette ou non. Aujourd’hui, le réalisateur voit quasiment en temps réel le résultat final, d’autant qu’il est possible d’appliquer des filtres durant la prise de vue, un peu comme ce que vous faites sur Instagram.
Quand a eu lieu ce changement ?
Mon métier a disparu avec le numérique. J’ai vu les premières caméras numériques apparaître vers 2007-2008 sur les plateaux de tournage des téléfilms. Le basculement total a eu lieu vers 2011-2012, où la pellicule est vraiment devenue très rare.
C’est à cette époque que je suis devenue chef-opérateur. Paradoxalement, le numérique s’est traduit pour moi par la possibilité de faire ce métier plus tôt, plus rapidement. Sur des plateaux plus petits, le matériel s’est allégé. Je peux aller tourner avec un assistant. En résumé, grâce au numérique je fais un métier que je n’aurais pas envisagé quand j’étais étudiante et pour cause...
Comment vous-êtes vous formé alors ? Comment avez-vous vécu cette mutation ?
Si je vous ai dit qu’à l’école Louis Lumière on avait été formé avec des appareils argentiques, on commençait au début des années 2000 à nous parler de numérique. Des cours, des conférences étaient organisés sur le sujet. Je me souviens d’être allée à une conférence sur la projection numérique, où j’ai vu le premier projecteur numérique de ma vie. Nous avions tout ça en tête, en commençant à travailler. Après, quand c’est arrivé, il y a eu des réactions de panique du type "le métier de chef-opérateur est mort". C’est faux, il a évolué, il n’a pas disparu.
Je considère appartenir à une génération qui a eu de la chance. J’ai démonté mon premier ordinateur quand j’étais au lycée parce que je voulais comprendre comment ça marchait. A l’école Louis Lumière on a vu les premières caméras numériques. Globalement on a accompagné le changement.
Vous voulez dire que la mutation a été plus compliquée pour vos ainés ?
A ce sujet, il y a quelque chose d’amusant. La génération formée dans les années 70/80 s’est plutôt bien adaptée car ils ont tout de suite compris ce qu’impliquait le numérique, en recourant à leurs vieilles recettes. Ils avaient travaillé avec des pellicules pas toujours stabilisées, qu’il fallait tester. Ils avaient une méthodologie qu’ils ont réussi à transposer pour un certain nombre d’entre eux.
La situation a été tout à fait différente pour les chefs-opérateurs formés dans les années 90. A leur époque, les pellicules étaient plus stables, ils se posaient moins de questions techniques que leur prédécesseur. Ils n’avaient pas cette démarche d’"ingénieur" se demandant comment le film allait réagir. Pour eux le passage au numérique s’est traduit par un changement de leur support sans qu’on leur donne les méthodologies pour comprendre. Bien sûr certains s’en sont très bien sortis.
Pour revenir à ce que vous disiez tout à l’heure. Aujourd’hui, vous travaillez seule avec un assistant. Le passage au numérique se résume-t-il à une réduction des effectifs ?
Pas forcément. Sur un petit plateau, ou sur certains tournages c’est le cas. Sur YouTube on a vu le premier long métrage réalisé par un jeune de quinze ans. J’ai travaillé sur des films que j’ai réalisés toute seule avec un appareil photo numérique avec une qualité d’image plus que satisfaisante !
Sur les très grands plateaux, la réalité est différente : les métiers ont changé, de nouveaux métiers sont apparus. Par exemple, aujourd’hui, sur le plateau, il y a les DIT (digital imaging technician) qui suivent en direct l’image. Ils voient ce qu’on appelait avant les rushs et décident des ajustements à faire pour obtenir le résultat final désiré. Avant c’était par principe impossible. Cela complexifie notablement le travail car il faut décider illico, on n’a plus de recul.
D’où vient cette complexité ?
Le numérique donne beaucoup plus de possibilités qu’auparavant, mais les contraintes techniques sont les mêmes. Davantage de possibilités c’est donc davantage de choix à faire et rapidement. L’autre grande source de complexité créée par le numérique est qu’un plus grand nombre de personnes se sent autorisé à intervenir. Avec la pellicule, le réalisateur et le chef opérateur décidait dans leur coin ce qu’ils voulaient leur faire. Ils faisaient leur sauce et les autres suivaient. Dans le numérique, vous avez le fameux what you see is what you get. Résultat : de nombreuses personnes sur le plateau se sentent légitimes pour donner leur avis.
Si je comprends bien, le métier de chef opérateur est aujourd’hui devenu un peu plus un métier de manager qui doit gérer une équipe ?
Exactement. Le métier de chef opérateur est devenu plus complexe. Avant, il était considéré comme un magicien qui transformait la pellicule dans le magasin de la caméra en lumière sur l’écran. Aujourd’hui, son métier est beaucoup plus politique. Il doit arbitrer, animer, convaincre.
On voit bien l’ampleur du changement. La situation est-elle stabilisée ? Ou de nouvelles mutations sont attendues ?
Une nouvelle mutation se prépare dans la lumière avec les projecteurs LED qui apparaissent actuellement, sur les plateaux de télévision. La même quantité d’électricité n’est plus nécessaire pour éclairer un film, et ces nouveaux projecteurs ont une très grande autonomie. C’est une révolution pour notre métier qui va changer la manière dont nous tournons. Quand je vais, comme cela m’arrive, tourner dans le désert, avoir de la lumière autonome va complètement changer les conditions et l’économie du tournage. Le travail va être simplifié aussi sur les grands plateaux.
Dans la photographie, on voit des jeunes formés au numérique prendre des cours d’argentique pour revenir en quelque sorte à l’essence de leur métier. Observe-t-on la même chose dans votre métier ?
Avec le numérique, l’image finale des films s’est standardisée. Ils ont tous la même qualité d’image, quand avec l’analogique on pouvait reconnaître la pâte d’un chef opérateur. Pour les jeunes, qui trouvent un métier pas très ouvert, passer par l’argentique peut être un moyen de trouver un "truc" pour se singulariser, pour développer leur personnalité. Donc, oui, certains travaillent l’argentique même s’ils sont des experts du numérique.
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