"Gardez la maîtrise de vos données !", lance Thierry Breton, PDG d'Atos

Le PDG d’Atos, Thierry Breton, décrit un espace informationnel en pleine mutation face aux tsunamis de données. Un espace qui reste à réguler et dans lequel l’intelligence artificielle sera omniprésente.

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La "raison d’être" d’Atos que vous allez proposer le 30 avril aux actionnaires, devançant ainsi la loi Pacte, commence par : "Notre mission est de contribuer à façonner l’espace informationnel." Qu’entendez-vous par là ?

Thierry Breton - L’espace informationnel, c’est l’espace dans lequel les données circulent, sont stockées et sont traitées. Il vient s’ajouter aux espaces territoriaux, maritimes et aériens dans lesquels l’activité humaine s’est successivement déployée en les modelant à travers l’histoire. Cet espace informationnel, c’est celui où Atos opère depuis plus de soixante ans. Nous disons simplement aujourd’hui que notre mission est de contribuer à le façonner. Nous affirmons aussi que nous entendons permettre au plus grand nombre de vivre, travailler et progresser durablement et en toute confiance dans cet espace. Comme cela a été fait pour les trois précédents espaces, il faut donc le structurer et le réguler.

La data, au cœur de cet espace informationnel, est devenue le nouvel or noir. En quoi cette primauté de la data transforme-t-elle la relation d’Atos avec ses clients ?

Il nous faut comprendre intimement toute la chaîne de création de valeur de nos clients à travers les données qu’ils génèrent. Atos évolue d’une entreprise qui était avant tout centrée sur les technologies et les services à une entreprise de plus en plus orientée vers la transformation par le numérique des métiers de ses clients. Ce faisant, nous portons un message fort : "Gardez la maîtrise de vos données ! Elles sont votre propriété et ont de la valeur dans l’espace informationnel. Ce sont elles qui feront votre R & D de demain et vos produits et services d’après-demain." Notre métier, c’est bien d’aider nos clients à analyser leurs données, à les garder en toute sécurité et à les valoriser.

Comment voyez-vous l’évolution de la vague de la data ?

Le déferlement auquel nous sommes confrontés n’est rien par rapport aux tsunamis qui s’annoncent. En 2020, ce sont 40 zetta-informations qui auront été créées par l’activité humaine. C’est-à-dire 40 mille milliards de milliards de données ! Autant que le nombre d’étoiles dans l’Univers ou de grains de sable sur la Terre… Et bien entendu, ce volume va continuer à augmenter exponentiellement, année après année, en particulier avec l’internet des objets. Cette croissance posera d’énormes défis, notamment en termes de bande passante et d’énergie. Prenons le simple cas d’une voiture autonome qui générera quelque 30 peta–octets de données par jour. Les traiter toutes exigerait plus d’électricité que pour faire avancer la voiture ! Voilà bien le monde dans lequel nous entrons.

Quelles vont être les conséquences de cette augmentation exponentielle de la masse de données ?

Un changement de paradigme va s’opérer dans les cinq à dix années à venir. Aujourd’hui, 90 % des données de nos clients sont traitées et stockées dans un datacenter ou un cloud. Dans moins de cinq ans, 75 % des données seront au contraire opérées en dehors des datacenters et du cloud, volume qui atteindra 90 % en 2025. Cette bascule massive est simplement liée à l’impossibilité de transmettre toutes les données. Il n’y aura jamais la bande passante disponible pour cela. La 10G n’y suffirait pas ! Seule une partie des informations pertinentes seront transmises, les autres étant traitées localement, par exemple dans le cas d’un véhicule autonome afin d’assurer la réactivité indispensable de son pilotage. Bien qu’un aller-retour dans le cloud ne prenne qu’une fraction de seconde, ce temps peut se révéler trop long pour éviter un accident.

Nous entrons donc dans l’ère du edge computing...

Oui. Le edge computing peut se comprendre comme le traitement informatique des données en périphérie. En ce qui nous concerne, nous allons opérer un changement radical : de gestionnaires d’infrastructures et de données, couplées à des applicatifs, nous passerons à la gestion de nuages d’infrastructures qui supporteront eux-mêmes les nuages de données de nos clients. Les capacités de traitement seront en grande partie décentralisées en aval et devront être compatibles avec les processeurs qui géreront l’amont, dans le cloud.

Quel sera le rôle de l’intelligence artificielle dans cette nouvelle architecture ?

L’intelligence artificielle sera partout. Que ce soit d’abord dans la première phase d’apprentissage automatique avec les réseaux de neurones, le machine learning. Et plus généralement, à tous les niveaux de la chaîne numérique, où nous aurons des algorithmes spécifiques d’IA qui s’enrichiront continuellement sur des machines décentralisées à partir des données locales. Tous les secteurs seront concernés : la grande distribution, la banque, l’énergie, les transports… Ce changement de paradigme va avoir des conséquences majeures en matière de cybersécurité. Concrètement, on passe de la protection d’environnements fermés à la protection de systèmes distribués et ouverts. La menace devient totalement pervasive et, là aussi, l’IA aura un rôle essentiel dans cette nouvelle architecture, permettant d’anticiper les attaques en détectant, par apprentissages successifs, les signaux faibles.

Cette vulnérabilité supplémentaire des systèmes ouverts est inquiétante, alors que les attaques contre les entreprises se sont multipliées…

Il y a une relation de proportionnalité entre les menaces et la surface de risque. Dans l’espace informationnel, la surface de risque, c’est le nombre d’informations que vous exposez. Dans l’informatique traditionnelle, les entreprises géraient essentiellement des informations pour leur propre compte et avaient une surface de risque informationnel limitée. Avec le digital, elles gèrent les données au plus près de leurs clients, par exemple en mobilité ; leur surface de risque va donc augmenter de façon exponentielle et les menaces d’autant. Nous travaillons déjà sur les nouveaux algorithmes d’intelligence artificielle pour nous prémunir contre ces nouveaux risques.

Estimez-vous qu’Atos est bien positionné pour faire face à ces défis ?

Le rachat de Bull, il y a cinq ans, et de ses technologies de supercalcul, de big data et de cybersécurité anticipait précisément ces évolutions. La maîtrise de certaines technologies clés est cruciale pour gérer les nuages d’infrastructures et développer les couches d’IA des systèmes décentralisés. Par exemple, il devient impératif que les puces des systèmes déportés soient compatibles avec les puces des serveurs centraux. C’est dans ce contexte que nous avons été choisis par l’Union européenne pour piloter le consortium créé pour concevoir le processeur des futurs supercalculateurs européens mais aussi celui, jumeau, des systèmes embarqués. Avec notre division big data et cybersécurité, nous sommes le numéro un des services de cybersécurité en Europe. Il s’agit d’une très belle activité qui réalise près de 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 15 % de marge et 10 % de croissance. À l’image de ce que nous avons fait avec succès pour notre filiale de paiement électronique Worldline, cette activité, appelée à grandir, pourrait être cotée minoritairement en Bourse pour lui permettre de réaliser des acquisitions en payant par titres, afin de lui donner les moyens d’accélérer son développement et de répondre à tous ces défis.

Vous êtes l’un des rares champions du numérique européen. Comment l’Europe peut-elle en créer plus ?

Si aujourd’hui les plus grands acteurs mondiaux du numérique sont aux États-Unis et en Chine, c’est aussi parce que ces deux pays possèdent chacun un marché unique de la donnée, à la fois gigantesque et unifié. La corrélation est claire entre la taille, la qualité du marché et la valeur que l’on peut en tirer. C’est pourquoi, avec d’autres, je milite depuis plus de cinq ans pour que l’Europe s’organise en un marché harmonisé de la donnée et qu’elle impose que les données des Européens soient traitées, stockées et processées en Europe par défaut.

Que pensez-vous des initiatives récentes de l’Europe comme le RGPD ?

Le RGPD va dans le bon sens, même s’il faut sans doute aller plus loin et vraiment l’harmoniser dans toute l’Europe. Car chaque pays peut encore décider comment s’y adapter pour plus de protection, ce qui peut produire des disparités entre Européens. Il était important de limiter l’utilisation incontrôlée des données personnelles. Il y a encore beaucoup à faire. Par exemple, quand vous tapez une requête sur un moteur de recherche, vous laissez des traces informationnelles qui sont votre prolongement numérique et dont vous devriez pouvoir maîtriser les usages ultérieurs. Ce n’est pas le cas. Il faut que chacun comprenne la valeur des données qu’il émet et qu’il puisse les contrôler et éventuellement en partager la valeur avec d’autres, selon des modalités à définir contractuellement.

La fiscalité des Gafa est largement débattue en Europe. Quelle est votre position ?

La question de la fiscalité de l’espace informationnel est aujourd’hui abordée essentiellement à travers le cas des Gafa, sûrement le plus frappant aux yeux de l’opinion, mais il faut élargir le sujet. Taxer la création de valeur dans l’espace informationnel est nécessaire. Certains s’en offusquent alors que c’est pourtant une démarche tout à fait légitime. Comme ce fut le cas pour les espaces territoriaux, maritimes et aériens, les entreprises actives dans l’espace informationnel doivent contribuer au coût de l’organisation de cet espace et l’impôt en est le moyen.

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