Gina Gullà-Menez (SheLeadsTech) : "On ne peut rien faire sans une position claire du gouvernement"
Lancé il y a deux ans pour documenter et alerter sur les disparités de genre qui subsistent dans la tech, le dernier baromètre de SheLeadsTech réalisé auprès d'entreprises françaises montre que le secteur doit encore faire beaucoup d'efforts pour mieux intégrer les profils féminins, et ce à plusieurs niveaux.
Après avoir occupé pendant près de quinze ans des postes à haute responsabilité dans les systèmes d'information de Sanofi, Gina Gullà Menez a fait de la féminisation du secteur de la technologie son cheval de bataille. En plus d'être aujourd'hui responsable du master Systèmes d’information de l’entreprise étendue de l'université Paris-Dauphine, elle dirige le programme SheLeadsTech, créé en 2017 au sein de l'association ISACA-AFAI.
L'Usine Digitale : Votre dernier baromètre montre que le secteur de la technologie, en particulier certains postes et métiers, est face à un processus de féminisation qui s'est enrayé. À quels niveaux se situent les freins aujourd'hui ?
Gina Gullà-Menez : L'un des soucis, c'est qu'on fonctionne en réseau dans ce secteur. Récemment, à l'occasion d'une conférence plutôt technique, orientée sur la cybersécurité, j'ai constaté qu'il y avait une seule femme sur l'estrade parmi dix hommes. Et quand je l'ai signalé, on m'a répondu : "On n'en a pas trouvé, il n'y en a pas en fait." Et c'est en partie vrai : si je remonte à l'origine du problème, dans le vivier d'étudiants, je remarque de façon mécanique que les étudiantes ne sont pas présentes sur ces sujets-là. Et malheureusement, la récente réforme du bac sur les choix d'options n'a pas amélioré les choses. Ce qui fait qu'on a un problème ensuite pour recruter des femmes.
Il y a quand même des profils féminins dans ce secteur mais vous dites qu'ils ont tendance à y rester moins longtemps que leurs homologues masculins.
On se rend compte en effet que quand elles rentrent dans l'espèce de tuyau percé, quand elles rentrent dans des entreprises sur ces postes-là, elles n'y restent pas. Et il y a beaucoup de raisons à cela. Je me suis retrouvée récemment dans la DSI (direction des systèmes d'information) d'une banque où les réflexions sexistes fusaient en permanence. C'est malheureusement d'abord un problème culturel. J'ai moi-même interrogé certaines entreprises dans le cadre du baromètre, et les hommes qui ont répondu à l'enquête n'avaient aucune idée des problèmes que cela pouvait représenter.
La question de l'écart de salaires et d'accès aux postes à responsabilité se pose aussi tant les disparités de genre peuvent écœurer les femmes. Quel constat fait SheLeadsTech à ce propos ?
La mission première du programme est d'aider les femmes dans le cadre de la direction, du management de la tech. On a montré avec ce baromètre que les difficultés se situent sur ces postes et que cela n'évolue pas beaucoup. Les écarts de salaire entre les femmes et les hommes dans la tech ne se manifestent d'ailleurs pas de manière aussi flagrante en dehors des postes de direction. On a pratiquement 20 à 25% de différence. Certaines entreprises favorisent encore la promotion, y compris au niveau de la rémunération, d'hommes plutôt que de femmes. Et c'est décourageant.
Selon vous, que peuvent faire les femmes qui évoluent dans ce secteur pour se sortir de ce carcan et que peut faire SheLeadsTech pour les y aider ?
D'abord, il faut que l'ensemble des initiatives qui existent aujourd'hui travaillent ensemble. Avec SheLeadsTech, nous collaborons avec le réseau Femmes@Numérique et avec notre marraine Elisabeth Moreno, qui a elle créé une autre association, La puissance du lien. Dans ces initiatives, il y a notamment des formations, du tutorat, du mentoring, qui sont développés pour aider les femmes souhaitant monter une entreprise ou étant déjà actives dans le secteur à améliorer leur confiance en elles.
C'est un constat malheureusement universel, mais les femmes manquent beaucoup de confiance lorsqu'elles répondent à une offre d'emploi, surtout sur les postes direction. Elles vont sous-estimer leurs compétences plutôt que favoriser et promouvoir ce qu'elles savent faire, là où un homme va plutôt appuyer sur ses points forts voire les surestimer. Cette différence joue énormément. Donc on sait vers quoi il faut les orienter, sur quoi elles doivent travailler en fonction des entreprises dans lesquelles elles sont où qu'elles veulent lancer. Et, avec le baromètre qui a aussi pour objectif de valoriser les bonnes pratiques du secteur, on peut aussi les orienter vers des entreprises qui favorisent ce genre de discours et dans lesquelles elles rencontreront moins de difficultés.
Justement, vous fournissez avec votre baromètre annuel des bonnes pratiques à destination des entreprises. Comment les accompagnez-vous ? Sentez-vous une certaine frilosité de leur part ?
Je les sens plutôt désarmées que frileuses. Elles ne savent pas comment faire, en réalité. Et il y a aussi celles qui font des plans de communication et de marketing magistraux alors que l'effet d'annonce ne se matérialise pas vraiment dans les faits.
Avec SheLeadsTech, on considère que le baromètre est une première étape et que, maintenant qu'on connaît mieux ces différences, on va proposer, je pense, d'ici la fin de l'année, une sorte de méthodologie pour évaluer l'avancée de l'entreprise sur le sujet, dans son contexte particulier, et proposer une roadmap pour qu'elle améliore tel axe, peut-être avant tel autre, etc.
L'Etat doit-il avoir un rôle, mener des politiques de rééquilibrage ambitieuses pour le secteur français de la tech ?
Personnellement, je cite beaucoup Simone Veil et les mesures de discrimination positive auxquelles je suis complètement favorable. Pour les conseils d'administration, il y a eu la loi, mais si on n'a pas ça pour réduire les inégalités notamment de rémunération, je ne crois pas que cela puisse fonctionner.
On ne peut rien faire, du moins c'est plus compliqué d'avancer, sans avoir une position extrêmement claire du gouvernement à laquelle se référer à ce sujet. Une position qu'il commence à avoir, certes il y a des projets en cours, un vrai travail qui est fait, mais l'Etat n'a malheureusement pas complètement concrétisé ce projet par du budget.
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