Hey, Elon Musk : avant de creuser des tunnels partout, creusons-nous plutôt la tête

Construire la ville sous la ville ? On en parle beaucoup, notamment grâce au retentissement médiatique de l'initiative "The Boring Company" d'Elon Musk. Mais attention, ont prévenu architectes, urbanistes et chercheurs lors du séminaire annuel de la Fabrique de la Cité : creuser, pourquoi pas, mais pas n'importe comment.

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Hey, Elon Musk : avant de creuser des tunnels partout, creusons-nous plutôt la tête
Godot, le premier tunnelier de The Boring Company.

Les nombreux projets futuristes du milliardaire Elon Musk, le fondateur de SpaceX et cofondateur de PayPal et Tesla, suscitent souvent la fascination du grand public et la perplexité des experts. C'est le cas de la société "The Boring Company", créée en 2016, dédiée à la construction de tunnels. L'entrepreneur d'origine sud-africaine a longtemps laissé planer le mystère sur les travaux de cette entité... et sur ses intentions réelles. Il a d'abord évoqué l'idée de créer des tunnels pour désengorger les villes, en faisant rouler des flots d'automobiles à haute vitesse sous terre, comme l'illustre cette vidéo.

Musk est rapidement passé de la théorie à la pratique, en faisant concevoir un prototype de puissant tunnelier low-cost (baptisé "Godot", en référence à la pièce de Samuel Beckett) puis en faisant creuser une première section de tunnel sous le parking de SpaceX. Puis, du jour au lendemain, l'homme d'affaires a annoncé sur Twitter disposer d'un "accord verbal" pour construire un Hyperloop souterrain entre New York City et Washington (ce qui a été démenti par les autorités des villes en question). Il a révélé ce faisant que ses fameux tunnels ne serviront finalement pas à des voitures mais au projet ferroviaire dans lequel il avait refusé de s'impliquer jusque-là (et ce malgré en avoir lancé l'idée d'origine).

creuser de façon maitrisée et concertée

Lors du congrès annuel du think tank "La Fabrique de la cité" à Lyon, en juillet 2017, plusieurs experts ont été interrogés sur la faisabilité et la pertinence d'un tel projet. Urbanistes, architectes et cityplanners ont d'abord salué la vision de Musk, celle de penser la ville en trois dimensions (y compris sous terre). "Il faut évidemment optimiser l'espace dans les villes où le prix du mètre carré explose" convient Michael Doyle, chercheur, architecte et leader du projet "Deep City".

"Les villes doivent se rendre compte que les espaces sous-terrain ne sont pas que des héritages du passé qui peuvent menacer les fondations de la ville d'aujourd'hui, mais des atouts à exploiter et valoriser de multiples façons", juge le néerlandais Han Admiraal, de l'ITA (International tunneling association). Mais il faut creuser de façon maitrisée et concertée, s'empresse-t-il d'ajouter. "On ne peut pas puiser dans le souterrain comme dans un réservoir : le sol est l'hôte de processus naturels, c'est le terreau de la vie à la surface. Il y a des enjeux d'hydrologie, de géologie… les interventions humaines doivent être maîtrisées", a-t-il insisté. Creuser des tunnels, c'est comme jardiner, a théorisé de son côté le conseiller municipal de Montréal (ville 3D par excellence, avec un vaste réseau de galeries et tunnels) Guillaume Lavoie : "impossible de planter sous la terre sans tenir compte de la surface".

enterrer pour mieux cacher ?

Or Musk semble faire fi de cette complexité et s'arroger le droit de creuser où bon lui semble. Et au-delà, la vision qu'il défend à travers The Boring Company est contestable, estime Han Admiraal. "Ce que fait Musk est plutôt dangereux : il fait croire que ce que l'on ne veut pas voir à la surface, on peut le mettre sous terre. C'était une pensée prédominante du siècle dernier, mais elle doit évoluer". Cette idée d'enterrer les choses que l'on veut faire disparaitre irrite la cityplanner Elisabeth Reynolds. "Cela entretient les peurs liées à l'environnement souterrain, la claustophobie. Il est éloquent de voir que sur les illustrations de The Boring Company, le sous-sol est une sorte de trou noir, entièrement vide". Un sous-sol complètement déconnecté de la surface. Beaucoup d'architectes plaident pour creuser la ville, abaisser le niveau des rues, créer du volume, plutôt que de creuser sous la ville.

à qui appartient le sous-sol ?

La démarche de Musk pose une autre question : celle du statut du sous-sol et des profondeurs. A qui appartient-il ? Un espace public, privé ? Quel contrôle, quelle régulation ? "On risque de se retrouver avec un patchwork de tunnels privés sans lien entre eux" craint Guillaume Lavoie, qui plaide pour une "intervention subtile" des autorités pour mettre de l'ordre et uniformiser le souterrain, sans pour autant brider l'innovation. Pour Elisabeth Reynolds, les projets souterrains doivent se construire collectivement, en mettant autour de la table architectes, urbanistes élus, géologues, avocats… C'est le sens de l'initiative Think Deep UK lancée outre-Manche. Au contraire, pour l'instant, Musk semble jouer en solo, sans se soucier des obstacles réglementaires et juridiques. Comme un Bruce Wayne qui creuserait sa Batcave.

Quelles données disponibles ?

Le numérique pourrait être l'outil clé pour créer le nécessaire dialogue autour de la conquête des sous-sols. "Il faut croiser les données disponibles sur les sols et les sous-sols (liées aux constructions souterraines, à l'eau, à l'énergie…) afin de créer des outils cartographiques pertinents, lance Michael Doyle. Nous devons aussi créer des méthodologies pour générer de la donnée et la partager là où n'en nous disposons pas". Qui créera le Google Maps ou l'Open Street Maps du sous-sol, où seraient versées toutes les données disponibles sur les différentes couches du sol ? C'est l'un des enjeux à relever pour donner vie à cette "deep city" rêvée par Musk.

En vidéo ici : le replay du débat "Construire la ville sous la ville" et de l'intervention de l'architecte Dominique Perrault lors du séminaire annuel de la Fabrique de la Cité.

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