" Il est plus rapide de changer une technologie que les pratiques de collaboration"
Depuis 8 ans, le cabinet Lecko réalise une étude sur la pénétration des réseaux sociaux d'entreprise et leurs usages. Arnaud Rayrole, le pdg, revient pour nous sur la dimension managériale de ces réseaux internes. Il pointe que l'enjeu principal n'est pas tant technologique qu'organisationnel et managérial. Sans culture adéquat, le meilleur réseau du monde ne sera pas utilisé. Pourtant, rien n'est perdu.
L'Usine Digitale : Depuis 8 ans que vous étudiez l'implémentation des réseaux sociaux d'entreprise, qu'est ce qui a le plus changé ?
Arnaud Rayrole : Incontestablement, c'est la culture, l'état d'esprit. Quand on a commencé à travailler sur ces outils, il y a avait beaucoup de scepticisme sur la possibilité de laisser un collaborateur s'exprimer. La première question qui venait le plus souvent concernait la modération des propos. Il n'était pas envisageable d'imaginer une liberté d'expression sans contrôle.
De même, les entreprises n'imaginaient pas du tout que les collaborateurs accepteraient de mettre leur photo en ligne sur un profil de réseau social d'entreprise ! La plupart d'entre elles avaient vécu une sorte de calvaire pour convaincre les salariés de le faire sur l'Intranet. Ces deux exemples montrent bien à quel point les attitudes, les attentes ont changé.
Sur la modération, plus aucune entreprise ne vous en parle aujourd'hui ?
Si, mais ce n'est plus du tout de la même façon. On en parle comme d'un filet de sécurité en cas de gros dérapage et surtout on passe vite à autre chose. Même dans les entreprises qui sont au tout début de leur réflexion, ce n'est plus un sujet de préoccupation majeure.
Qui dit réseau social d'entreprise dit meilleure collaboration. N'y a-t-il pas eu des changements en la matière ? Les attentes ont-elles évolué au cours du temps ?
Avant on parlait de la collaboration comme d'une méthode de travail. Désormais, on comprend mieux que la collaboration est une culture à installer, culture qui aura un effet de levier sur la structure des entreprises. Ces dernières sont à la recherche de nouvelles façon de manager.
Comment cela se manifeste-t-il ?
Il y a huit ans, la collaboration était une question de méthodologie, d'outillage pour que les salariés travaillent mieux, mais ça ne modifiait pas en profondeur le réseau de personnes avec lesquelles chacun travaillait.
Aujourd'hui, avec la collaboration comme culture et comme mode opératoire, il s'agit de mettre en réseau les personnes, de créer des liens avec les autres, de faire circuler les uns et les autres et de créer une capacité de mobilisation. Avant l'apparition des réseaux sociaux d'entreprise, cela n'était même pas envisageable. On était contraint. Leur apparition, puis leur développement, multiplie les possibilités. Mais la notion s'est déployée peu à peu durant les huit dernières années.
Quel rôle joue le réseau social d'entreprise dans les transformations d'entreprises ?
C'est un outil pour catalyser les programmes de transformation. Si, malgré cela, "ça ne prend pas", l'entreprise a vraisemblablement un problème dans l'émergence d'une culture collaborative. C'est sur cela qu'elle doit travailler.
Je parle d'entreprise, mais c'est plus complexe. Dans un même groupe, il peut y avoir une entité qui a un problème et pas une autre, ou un métier qui va résister et pas un autre. Cette question est loin d'être simple, car l'observation et l'expérience indiquent qu'il n'existe pas un métier, une classe d'âge ou une catégorie quelconque qui par nature serait moins collaborative que d'autres. C'est très variable.
Pour faciliter l'émergence d'une culture collaborative, il est possible de mettre en place des dispositifs pour encourager l'utilisation des réseaux. Cela requiert de donner du sens aux nouveaux usages, pour que chacun puisse s'investir et réussir son initiative. C'est très important que celui qui veut utiliser le réseau social puisse devenir un mini entrepreneur interne.
Comment ça ?
Ce sont des choses très concrètes. Imaginez une entreprise où le système de réservation de salles ne fonctionne pas, n'est pas efficient. Et bien, on peut imaginer que quelqu'un localement va avoir envie de le faire sur le réseau social interne. Il ne faut pas alors qu'on le bride au nom des process existants.
Un autre exemple ? Imaginez un commercial qui sur le terrain voit qu'un concurrent a du succès. Il va prendre son produit en photo et le montrer sur le réseau social d'entreprise. Ce qui est important c'est que le processus n'est pas prédéfini, c'est la personne qui a l'initiative de l'usage au départ. Pour que cela marche, il faut que le salarié ne soit pas un consommateur passif. Il a l'initiative. Et ce ne sont que deux exemples, les situations pouvant être traitées par le réseau social d'entreprise sont infinies.
Les résultats de la huitième édition montrent le rôle capital de salariés qui deviennent des leaders. Quel est leur rôle ?
Ils sont les moteurs du changement. C'est le juriste qui va avoir une idée pour améliorer la veille et qui va réussir à mobiliser ses pairs, qui vont le suivre. Il ne va pas simplement créer un groupe. Il va essayer de fédérer des personnes clés, les convaincre de l'intérêt de l'intérêt de la démarche participative pour qu'ils adhèrent et le soutiennent.
Ce qui est très intéressant, c'est que 9 leaders sur 10 restent engagés même s'ils changent de sujet. Une fois le cap franchi, le leader continue. Ainsi, l'entreprise se constitue un capital de personnes susceptibles de porter la transformation.
Comment les faire émerger ?
Il suffit de créer un terrain favorable. Pour cela, La première des choses est d'expliquer pourquoi les pratiques actuelles de gestion et de management de l'information ont atteint une limite. Ensuite, il faut légitimer la création de liens transverses, au delà des hiérarchies formelles. La direction doit aussi être bienveillante, il faut accepter que certains essais soient des échecs. Elle doit aussi encourager ceux qui veulent se lancer.
Surtout, il faut être patient. Il est plus rapide de changer une technologie que les pratiques de collaboration. Il faut 9 à 12 mois pour obtenir les premiers effets. Une technologie peut se changer en quelques heures, voire quelques jours.
Quelles résistances peut-on anticiper ?
Je me répète, mais elles sont culturelles. Les managers sont, en moyenne, les moins dans la mise en pratique des outils collaboratifs. Je ne les blâme pas. Ils ont adopté les codes de l'entreprise, ils ont été promus par le système, et on leur dit que ces codes là vont changer. C'est humain de résister pour rester dans un système où l'on est dans sa zone de confiance.
Le résultat est qu'ils vont avoir du mal à partager l'information, à laisser les subordonnées travailler sur des sujets transversaux.
La réussite passe par un changement de la façon de manager. Pour l'obtenir, le mieux est d'avoir un sponsor dans l'entreprise qui valorise la prise de risque. Il faut légitimer celui qui fait différemment, l'encourager, même s'il n'y arrive pas du premier coup. Toutes les petites réussites doivent-elles être mises en avant. Il ne faut pas non plus hésiter à voir çe qui marche dans d'autres entreprises.
Télécharger l'intégralité de l'étude RSE équiper et stimuler son organisation pour se transformer c'est ici
SUR LE MÊME SUJET
- "La quête de sens des jeunes générations lance un défi aux entreprises classiques" prévient Jean-Michel Caye du BCG
- "Le management ne peut pas se contenter de mettre une couche de numérique sur l'existant", estime Martine Le Boulaire d'Entreprise et Personnel
- "Le bore-out produit une souffrance incroyable", estime l'économiste Christian Bourion
" Il est plus rapide de changer une technologie que les pratiques de collaboration"
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir