Incertitude concernant l'avenir d'HoloLens au sein de Microsoft
Une enquête de Business Insider fait état de sérieuses tensions au sein de l'équipe de Microsoft chargée des sujets liés à la réalité virtuelle et augmentée. En cause : l'arrêt du projet qui aurait dû produire l'HoloLens 3, la prochaine version de son casque de réalité augmentée. Microsoft se serait rabattu sur un partenariat avec Samsung autour d'un casque de réalité mixte similaire aux projets de Meta et d'Apple.
Julien Bergounhoux
Microsoft avait frappé fort en janvier 2015 en dévoilant HoloLens, un casque de réalité augmentée dont les performances étaient à l'époque remarquables. Son successeur, le très attendu HoloLens 2, avait été annoncé en février 2019 et avait su s'imposer face au Magic Leap One. Malgré ces premiers succès, l'avenir du produit semble aujourd'hui bien incertain au sein de Microsoft.
Une enquête de Business Insider publiée le 2 février fait état de dissensions internes et même de l'annulation du projet (baptisé Calypso) qui devait conduire à HoloLens 3. Elle s'appuie sur les témoignages de trois collaborateurs impliqués dans le projet. L'Usine Digitale peut corroborer cette information qu'elle a également obtenu d'une source interne il y a plusieurs mois.
Un démenti qui n'en est pas un
Microsoft s'est empressé de réagir par le biais de son VP of Communications, Frank Shaw, et d'Alex Kipman, qui dirige les équipes travaillant sur l'AR/VR. Ils insistent sur le fait que Microsoft poursuit ses efforts en matière de "métavers" et qu'HoloLens en fait partie. Evidemment, ils ne contredisent pas directement le fait qu'un projet de développement d'HoloLens 3 a été annulé en 2021. Une technique classique consistant à "démentir sans démentir" pour rassurer les clients et partenaires.
Ainsi, il est tout à fait possible que l'entreprise sorte à l'avenir un produit nommé HoloLens 3 mais qu'il soit différent du projet Calypso auquel Microsoft a mis un terme à la mi-2021. Ce dernier tournait sous une version modifiée de Windows, comme les deux premiers HoloLens, et était conçu pour être plus résistant, pour pouvoir être utilisé en extérieur (HoloLens 2 ne fonctionne pas dans un environnement trop lumineux) et pour avoir une meilleure autonomie sur batterie.
Il est probable que le développement du projet Calypso ait été lié aux besoins du programme IVAS de l'Armée de terre des Etats-Unis, pour laquelle Microsoft a remporté un juteux contrat de 22 milliards de dollars (essentiellement pour des services cloud) mais qui subit depuis d'importants délais.
Il y a trois semaines, le Wall Street Journal pointait d'ailleurs du doigt le fait qu'une centaine d'ingénieurs ont quitté la division "mixed reality" de Microsoft en 2021 (elle compte environ 1500 personnes au total). Près de la moitié d'entre eux sont partis chez Meta, tandis que d'autres ont rejoint Google ou Apple. Beaucoup étaient des vétérans de l'entreprise, et tous travaillaient sur le prochain HoloLens.
Cul de sac technologique
Quant aux raisons de son arrêt, elles trouvent peut-être leurs sources dans les problèmes inhérents à l'HoloLens 2. Nous étions à son lancement au Mobile World Congress 2019, et les promesses faites sur scènes étaient enthousiasmantes, notamment concernant le champ de vision grandement étendu par rapport au premier modèle. Il s'est cependant vite avéré que la qualité d'affichage avait fortement pâti de cette augmentation de la superficie, qui n'était par ailleurs pas aussi importante qu'annoncée.
En cause : la technologie d'affichage de Laser Beam Scanning (LBS) choisie pour obtenir ce champ de vision plus large. Outre une résolution moins élevée que sur le premier HoloLens, nos nombreuses utilisations du casque se sont fréquemment accompagnées d'aberration chromatiques gênantes, l'image devenant par exemple presque monochromatique dans certains cas. Si Microsoft s'est entêté dans cette direction, il est possible qu'un échec à faire progresser cette technologie soit au cœur de l'abandon du projet.
Un partenariat avec Samsung
Si Microsoft a mis un terme à Calypso, l'entreprise n'abandonne pas le marché pour autant. Toujours d'après Business Insider, les ressources auraient été redirigées vers le projet Bondi, lancé mi-2021, qui repose sur un partenariat avec Samsung. Il s'agirait d'un appareil très différent dont le principe est similaire à celui du projet Cambria de Meta et du futur casque d'Apple.
Plutôt que de projeter des images sur un verre transparent (par guide d'ondes), il utiliserait des caméras sur le devant du casque pour capturer l'environnement puis le retransmettre sur des écrans. Il s'agirait donc d'un casque de réalité virtuelle capable de faire de la réalité augmentée. Le terme consacré dans l'industrie pour ces appareils à double usage est "réalité mixte", mais (et cela prête souvent à confusion) Microsoft l'emploie depuis le départ pour parler d'HoloLens. Un usage abusif, tout comme celui du terme "hologramme" d'ailleurs.
Samsung et Microsoft ont déjà collaboré dans la VR avec les casques Odyssey. A noter que la puissance de calcul ne serait pas intégrée au casque mais fournie par un smartphone Samsung. Un autre projet, encore au stade embryonnaire, consisterait en un casque fonctionnant en se connectant au cloud. En résumé, avec l'abandon du projet Calypso, Microsoft semble avoir tiré un trait sur l'idée d'un appareil tout-en-un tournant sous Windows. Cela signifie entre autres que les applications développées pour HoloLens 2 risquent de ne pas être compatibles avec les prochains appareils.
Incertitudes sur la stratégie
Conséquence de ces revirements, le moral des équipes serait au plus bas, d'après une vingtaine d'employés et ex-employés que Business Insider a interrogé. Ils décrivent une confusion et incertitude générale sur la stratégie à suivre, d'autant que des factions s'affrontent sur la conduite à tenir. Certains voudraient persister à développer leur propre hardware en interne, tandis que d'autres pensent qu'il vaut mieux se concentrer sur le software pour créer les outils de référence du métavers (comme Mesh, qui est loin d'être mature). Satya Nadella, le CEO de Microsoft, pencherait pour cette deuxième option.
L'abandon d'HoloLens en faveur d'un partenartiat avec Samsung ne fait en tout cas pas que des heureux, d'où les démissions. Le marché visé est aussi source de conflit entre ceux qui pensent qu'il faut se concentrer sur les usages professionnels (et militaires) et ceux qui voudraient plutôt s'attaquer au grand public. Ce serait notamment le cas de Rubén Caballero, un ancien d'Apple recruté en 2020 pour gérer l'ingénierie hardware sous Alex Kipman. En résumé, malgré les mentions récurrentes de l'importance du métavers dans les plans de l'entreprise, Microsoft n'aurait pas de feuille de route claire en la matière. Alex Kipman est mis en cause sur ce point par les témoignages recueillis par BI.
Une grande vision... et une mauvaise exécution
Ce constat peu rassurant donne une impression de gâchis car HoloLens a été réellement impressionnant lors de sa sortie et a su convaincre des clients prestigieux au fil des ans. Malheureusement, ce schéma est aussi un grand classique de Microsoft : se positionner très en amont sur une technologie de rupture avec une vision ambitieuse et souvent un prototype ou premier produit imparfait mais prometteur... puis échouer à parfaire la proposition de valeur et finir par se faire doubler.
On l'a vu dans les "tablet PC", dans les proto-smartphones sous Windows Mobile, avec Zune et Kin, avec Kinect... Les exemples ne manquent pas, jusqu'au fiasco du regretté Windows Phone ou même des récents Surface Duo, sans oublier bien sûr Windows on ARM. Et que dire de l'environnement Windows Mixed Reality, intégré par défaut à Windows 10 mais avec lequel rien n'a été fait ? Microsoft semble là encore incapable de transformer l'essai.
C'est anecdotique, mais nous avions eu cette même conversation avec un membre de l'équipe HoloLens au sein de Microsoft après la sortie du second modèle. La personne a depuis quitté l'équipe en question.
des investissements à long terme
L'une des grandes difficultés des technologies de réalité virtuelle et augmentée est que les contraintes technologiques restent encore très fortes aujourd'hui. Le secteur tout entier est tiré vers l'avant depuis cinq ans par Meta, qui y mise tout son avenir et dépense sans compter pour s'assurer d'y être un leader. Il faut dire qu'il n'a pas vraiment le choix : pour s'affranchir du joug d'Apple et de Google, qui règnent sur les smartphones, il faut leur couper l'herbe sous le pied sur le prochain changement de paradigme.
Microsoft est dans une situation relativement similaire : ancien roi de l'informatique personnelle du temps des PC, il s'est laissé débordé dans les smartphones et son activité Windows n'est plus aujourd'hui le moteur de sa croissance. Cependant il n'est pas prêt à investir massivement comme Meta, la tentation étant de se concentrer sur les activités qui génèrent déjà de l'argent, comme le cloud, et dont la croissance et la pérennité sont assurées.
Une logique raisonnable mais à double tranchant, car un demi-effort ne produit en général pas de grands résultats dans ce milieu. Google souffre un peu du même problème, avec un projet de casque de réalité mixte dont il est impossible de dire aujourd'hui s'il verra bien le jour, et qui risque dans tous les cas d'arriver en retard face à Meta et Apple. Difficile donc d'avoir confiance dans les projets de Microsoft en la matière jusqu'à nouvel ordre. Au passage, cette débâcle représente une opportunité pour Magic Leap, qui pourrait s'imposer sous la nouvelle direction de Peggy Johnson, ancienne cadre dirigeante de chez Microsoft.
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