Intel dévoile Loihi 2, sa nouvelle puce neuromorphique
Intel passe la seconde dans les processeurs neuromorphiques, dont l'architecture tente de répliquer celle du cerveau pour optimiser certains types de calculs. Sa nouvelle puce, baptisée Loihi 2, dispose d'un million de neurones programmables et d'une multitude d'améliorations aussi bien matérielles que logicielles qui la rapprochent petit à petit d'une potentielle commercialisation.
Julien Bergounhoux
Intel a présenté le résultat de ses efforts en matière de processeur neuromorphique le 30 septembre avec une nouvelle version de sa puce Loihi. Qu'est-ce qu'une puce neuromorphique exactement ? Cette approche consiste à dupliquer le fonctionnement du cerveau, en intégrant la mémoire directement aux unités de calcul et en faisant communiquer ces nombreux cœurs entre eux d'une façon similaire à celle des synapses.
C'est une architecture radicalement différente de celles des processeurs conventionnels, ce qui signifie entre autres que les transistors ne sont plus synchronisés en fonction d'une fréquence d'horloge, les circuits communiquant simplement entre eux pour transmettre une donnée dès qu'elle est prête. Outre le fait que les calculs s'effectuent en parallèle (comme sur un GPU), il s'agit aussi d'une architecture basée sur des évènements (event-based), avec des pics d'activité périodiques qui surviennent de façon hétérogène lorsqu'il y en a besoin. C'est là encore un concept tiré du fonctionnement des cerveaux biologiques.
Pourquoi chercher à répliquer la mécanique cellulaire du cerveau ? Tout simplement parce que c'est un organe extrêmement efficace, qui apprend très vite à partir de peu de données tout en consommant relativement peu d'énergie. Et on ne parle pas forcément de cerveau humain. Mike Davies, Senior Principal Engineer chez Intel et directeur du Neuromorphic Computing Lab, prend l'exemple d'un perroquet comparé à un petit drone récréatif. Les capacités de l'oiseau vont bien au-delà de celles de l'appareil, malgré une matière grise pesant 2,2 grammes et consommant 50 mW.
Plus concrètement, les puces neuromorphiques permettent aujourd'hui pour certains types de calculs d'obtenir des gains importants en matière de consommation énergétique, de latence et même parfois de quantité de données nécessaire. Elles ne sont pas prêtes à la commercialisation, mais Intel se montre confiant quant aux progrès réalisés. L'entreprise y voit un futur accélérateur pour des tâches spécifiques liées à l'intelligence artificielle, voire à certains calculs qui sont aujourd'hui réalisés sur des annealers quantiques.
"L'élément déterminant est que la quantité de données nécessaire pour l'entraînement des modèles d'IA augmente beaucoup plus vite aujourd'hui que ne le font les capacités de calcul conventionnelles, explique Mike Davies. C'est pourquoi nous explorons ces nouveaux paradigmes."
La première puce Loihi est sortie il y a maintenant trois ans. S'il s'agissait très clairement d'un composant limité à la recherche, il a permis de valider l'intérêt de l'approche neuromorphique dans plusieurs champs d'applications : la reconnaissance et l'apprentissage d'odeurs, le contrôle adaptatif d'un bras robotique, la compréhension de scènes basée sur la perception visuelle, la reconnaissance et l'apprentissage de gestes, l'optimisation combinatoire.
Cette dernière a notamment fait l'objet d'un partenariat avec Deutsche Bahn pour l'optimisation des horaires des trains. Les performances obtenues ont été 10 fois plus rapides qu'avec une solution cloud conventionnelle.
Loihi n'était évidemment pas sans limitations : les pics de calcul réduisaient parfois la précision, le modèle neuronal était peu flexible, les transferts de données entre différentes puces étaient limités et diminuaient la performance, et peu d'algorithmes étaient compatibles avec cette architecture.
Son successeur, Loihi 2, tente d'adresser chacun de ces points de friction. "La conception de base de la puce reste sensiblement la même, mais chaque circuit a été repensé de A à Z", détaille Mike Davies. Ces derniers sont entre deux et dix fois plus rapides qu'auparavant, et ont été optimisés pour obtenir des performances 10 fois supérieures pour certains type de calculs, comme l'inférence.
Les neurones sont désormais programmables par le biais d'instructions microcode, ce qui lui permettra de s'attaquer à des problèmes d'optimisation plus larges et complexes. Les pics d'activité sont désormais configurables à l'aide d'un nombre entier, ce qui augmente la précision des calculs. "C'est l'un des seuls points sur lequel nous nous écartons du biologique, indique Mike Davies. Mais ça ne coûte pas grand chose à ajouter à notre architecture et cela permet de résoudre certains problèmes en utilisant beaucoup moins de ressources."
La puce est deux fois plus petite et utilise le procédé de fabrication Intel 4 (en pré-production), basé sur la lithographie à ultraviolets extrêmes (EUV). Elle contient 1 million de neurones synthétiques, soit huit fois plus que Loihi 1, et leur interconnexion synaptique est 80 fois meilleure. Sa gestion des interfaces d'entrée et sortie est également améliorée avec une bande passante quatre fois supérieure et une plus grande compression des données pour les interfaces standards.
Sa consommation énergétique "n'est pas encore caractérisée", d'après Mike Davies, mais elle restera similaire à celle de Loihi 1, soit environ 1 W maximum par puce, avec 100 mW de consommation en moyenne. "Les gains dans ce domaine étaient tellement élevés avec Loihi 1 que ça n'a pas été une priorité", confie l'ingénieur.
Deux systèmes ont été annoncés : Oheo Gulch, une carte dotée d'une seule puce utilisée pour l'évaluation et le cloud, et Kapoho Point, un système de 10 x 10 cm comportant huit puces et communiquant via une interface Ethernet. D'autres systèmes seront lancés dans un second temps.
Outre la nouvelle puce, Intel s'est aussi penché sur la compatibilité logicielle, qui est évidemment essentielle pour que le composant serve à quelque chose. L'état des lieux ne lui est pas très favorable étant donné que les frameworks les plus populaires pour les calculs liés à l'intelligence artificielle, comme PyTorch ou TensorFlow, ne sont pas compatibles avec les architectures neuromorphiques. La réponse d'Intel est Lava, un framework de recherche conçu spécifiquement pour Loihi 2, mais également compatible avec les architectures conventionnelles.
Intel le présente comme "ouvert, modulaire et extensible", ce qui en ferait un cadre idéal pour permettre aux chercheurs et aux développeurs d'applications de converger ensemble vers des applications, méthodes et bibliothèques communes.
Loihi 2 reste dédiée à la recherche et n'a pas de visée commerciale pour le moment. "La commercialisation de ces technologies se fera plus probablement par le biais de versions plus spécialisées de la puce, intégrées au sein d'un System-on-Chip, révèle Mike Davies. Elles pourraient faire partie du portfolio d'Intel Foundry Services. Mais nous voulons vraiment à terme les généraliser pour pouvoir traiter de nouvelles charges de travail. Elles pourraient servir je pense pour l'intelligent edge ou pour des lunettes de réalité augmentée."
Parmi les applications auxquelles se frottera Loihi 2, Intel met en avant le traitement de signaux sonores et visuels (avec des performances dix fois supérieures à Loihi 1 pour dix fois moins d'énergie consommée), la prise en charge de l'entraînement de modèles de rétropropagation (algorithme phare du deep learning) pour la détection de mots-clés ou la réduction de bruit, et une meilleure gestion des problèmes d'optimisation (à la fois plus larges, plus complexes et plus généraux).
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