Inutile d’apprendre, tout est désormais intuitif !... nous dit-on
Julien Pouget, fondateur du cabinet spécialisé dans le recrutement et le développement des talents JP Associés, décode toutes les deux semaines pour L’Usine Digitale les enjeux de l’intégration d’une génération de digital natives dans le monde du travail.
Il s'interroge sur les conséquences du discours sur l'intuitivité des outils.
A force de laisser croire que tout est magique, que la prise en main se fait facilement, on oublie de former les salariés qui sous-utilisent les nouveaux outils et ne tirent pas tout le profit des innovations mises à leur disposition.
Au classement des expressions les plus utilisées pour vendre la transformation digitale et ses outils, l’adjectif "intuitif" et l’expression "plug and play" figurent en bonne place.
En pratique, les argumentaires commerciaux mettant en avant la simplicité d’utilisation sont utilisés par la plupart des acteurs de l’écosystème internet, de l’éditeur au consultant.
Plug and play ou remboursé
Ainsi, en appelant son réseau social professionnel Facebook at Work®, le géant californien laisse explicitement entendre aux futurs utilisateurs qu’ils ne seront pas dépaysés par le nouvel environnement.
En matière RH, la conséquence de ce positionnement est souvent l’absence de dispositif de formation. Si c’est intuitif, à quoi bon former les salariés ? Qu’il s’agisse d’un nouveau réseau social d'entreprise (RSE), d’une plateforme de stockage en ligne ou d’un service d’envoi de fichier, le salarié est censé appréhender par lui-même le potentiel et les fonctionnalités d’un outil qu’il ne connait pas.
Cette logique proche de la pensée positive pose plusieurs problèmes.
Les salariés oubliés
D’abord, elle met en difficulté les salariés "non-geeks". Ne maîtrisant pas les usages d’un outil présenté comme « intuitif », ces derniers hésiteront à poser des questions ou à demander une formation, de peur de paraître ridicules. A noter, cette catégorie inclue de nombreux dirigeants. Habitués à être assistés au quotidien pour des tâches courantes (envoi d’email, recherche, modification de documents, etc.), ils sont loin de maîtriser les us et coutumes du digital.
Promus "sponsors" de la transformation numérique, certains dirigeants doivent réaliser un numéro d’équilibriste pour inciter leur collaborateurs à utiliser des outils qu’ils ne comprennent ou ne maîtrisent que partiellement.
L’innovation en question
Ensuite, cette logique aboutit à une utilisation parcellaire des solutions. En l’absence de formation, de nombreux salariés préféreront limiter leur utilisation aux fonctionnalités qu’ils maîtrisent déjà, laissant de côté une grande partie du potentiel des outils. Innovation garantie… Sur ce point un grand écart existe entre l’aspect "révolutionnaire" des solutions vendues et le caractère "intuitif" associé à leur utilisation. Mais le paradoxe ne semble pas embarrasser outre mesure.
Enfin, et c’est le principal reproche qu’on peut lui faire, cette approche dévalorise l’effort d’apprentissage. En dépit des espoirs transhumanistes, apprendre requiert toujours un effort à ce jour : admettre que l’on ne sait pas, se confronter à une inconnue, faire des tentatives infructueuses, etc. Diffuser massivement l’idée qu’apprendre doit se faire sans effort, c’est prendre le risque de décourager les apprenants et de donner du crédit à ceux qui prétendent que les jeunes n’ont plus le goût de l’effort.
Julien Pouget est le fondateur de JP Associés
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