Israël veut s'imposer comme une plaque tournante de la "conduite intelligente"
Dix ans après sa création, l’écosystème EcoMotion qui vient de tenir sa conférence annuelle à Tel Aviv, est devenu une référence dans la mobilité et la conduite autonome. Reportage dans les coulisses de ce rendez-vous pas comme les autres où les start-up locales rêvent de connaître la trajectoire de Mobileye, racheté par Intel pour 15 milliards de dollars. Et voisinent avec les grands noms du secteur automobile à la pointe de "l'open innovation".
Nathalie Hamou, à Tel-Aviv
La scène se passe Mardi 23 mai dans l’enceinte du parc des Expositions de Tel-Aviv. Lors d’un panel affichant salle comble, Shai Agassi, ex-SAP et ancien fondateur de Better Place, présentait devant un public médusé le premier produit de sa dernière aventure, Makalu Optics.
Après avoir disparu des radars suite à la faillite spectaculaire de sa société de systèmes de rechargement pour véhicules électriques, qui avait Renault pour partenaire, et dont il a été évincé fin 2012, l’entrepreneur israélien faisait son grand come-back… Et ce, pour vanter les mérites de cette start-up fondée en 2019 par Sagie Tsadka (auparavant en charge de l’optique du centre israélien de recherche nucléaire de Soreq), qu’il a rejoint en tant que chairman, et dont le capteur Lidar en 4D devrait selon lui changer la donne pour les véhicules autonomes (voitures, drones, robots…).
"On nous avait promis un véhicule autonome pour 2020, a confié le charismatique surdoué de la tech israélienne lors de ce pitch très attendu. Or si le pilote informatisé est déjà au niveau d'un pilote de Formule 1, le problème, c'est qu'il a les yeux d'un pilote de 80 ans atteint de cataracte."
L'ambition d'un Lidar "next gen"
A en croire Agassi, les véhicules autonomes d'aujourd'hui s’appuient essentiellement sur des systèmes basés sur des caméras normales qui fournissent une image 3D, un Lidar lent qui renvoie une image granuleuse "comme un Atari des années 70", et un radar classique. Au final, tous les trois "argumentent entre eux" sur ce qu'ils voient exactement et il est possible d'arriver au cas statistique d’un accident sur un milliard de kilomètres. "Mais pour cela, les véhicules doivent suffisamment bien voir la route afin qu'un accident ne se produise qu’en raison d'une combinaison rare de circonstances."
D’où l’ambition de Makalu Optics : développer un Lidar qui tient dans la paume d’une main, et permettant "de voir le monde avec une qualité bien supérieure" en résolution 4K et à 50 images couleur par seconde. "Alors que le temps de décision pour freiner devant un piéton est de 0,4 seconde pour un conducteur humain, similaire au temps de réaction moyen des véhicules autonomes, a expliqué Agassi, notre capteur Lidar devrait réduire ce temps à 0,01 seconde."
Et ce serial entrepreneur de pointer sans sourciller que Makalu Optics n’a pas pour objectif de "marcher sur les plates-bandes d’entreprises comme Mobileye", le fabricant de systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS) de Jérusalem, racheté en 2017 par Intel pour 15 milliards de dollars. "Au contraire, nous sommes venus les aider à remplir leur mission : mieux voir. L'industrie n'a pas prêté suffisamment attention au fait qu'elle n'avait pas de capteurs assez bons jusqu'à présent. C'est comme si General Motors avait pris la bonne direction il y a 30 ans avec l'EV1 électrique, mais qu’il n'avait pas adopté les bonnes batteries pour réaliser cette vision !"
A moins de cent mètres de là, les visiteurs défilent en continu autour du stand Renault-Nissan-Mitsubishi Innovation Lab Tel Aviv. Ancien directeur du programme de véhicules électriques de Renault et père fondateur de la Zoé, Eric Feunteun ne cache pas son enthousiasme. Pour la seconde année consécutive, le Chief Operating Officer de la Software République pour la firme au losange, a fait le déplacement aux côtés d’autres représentants de cet écosystème collaboratif européen permettant "une mobilité sûre et durable", fondé par le constructeur automobile et cinq autres entreprises : Atos, Dassault Systèmes, Orange, STMicroelectronics et Thales.
"Ce rendez-vous professionnel est un véritable benchmark pour nous. Comparé au CES de Las Vegas, qui est plus généraliste et plus éloigné géographiquement, il nous permet de faire de l’open innovation de manière très efficace et ce, à un moment charnière", poursuit Eric Feutneun, alors que Renault et Valeo annonçaient précisément le même jour un accord de partenariat étendant leur collaboration au "Software Defined Vehicle". (véhicule défini par logiciel).
Israël reste une terre d’élection des acteurs du véhicule autonome
Bienvenue à EcoMotion, l’une des rencontres autour des solutions de mobilité les plus prisées de la planète automobile. Dans les allées de ce salon professionnel créé voilà dix ans, et reposant sur une communauté locale riche de quelques 600 start-up, les jeunes pousses de l’auto tech israélien rêvent de connaître la trajectoire de Mobileye. Elles voisinent avec les grands noms de l’industrie mondiale de l’automobile, constructeurs et équipementiers, les plus en pointe en matière d’open innovation. Malgré la crise qui secoue la high tech mondial, Israël reste une terre d’élection des acteurs du véhicule autonome…
Pour preuve, l’édition 2023 de la EcoMotion week a rassemblé 3600 participants sur trois jours, issus de 55 pays, dont 800 représentants de firmes internationales, parmi lesquels Gero Kempf, le vice-président de la division ADAS du groupe Audi, Joachim Mathes, le directeur technique de la branche Comfort and Driving Assistance de Valeo, George Kellerman, le directeur de Woven Capital, le fonds de Toyota, Peter Lehnardt, vice-président technologie et innovation de BMW, ou encore Heungsoo Kim, vice-président du groupe Hyundai Motor, venu signé un MOU avec l’Autorité de l’innovation israélienne.
De fait, l’engouement pour l’auto tech israélien ne fléchit pas. L’été dernier, le constructeur Volkswagen a annoncé qu’il allait équiper ses véhicules dotés de capacité de conduite autonome des Lidars et du logiciel de perception développés par la start-up israélienne Innoviz. Un partenariat noué avec Cariad, la filiale logicielle du constructeur, portant sur un carnet de commande prospectif de 4 milliards de dollars… De son côté, la jeune pousse de Tel-Aviv UVeye, qui développe des systèmes d’inspection automatisés pour les véhicules à partir d’une caméra alimentée par l’IA, vient de lever 100 millions de dollars auprès d’investisseurs, dont General Motors Co.
Capteurs, stockage d’énergie, cyber : la liste des pépites est longue
"La tourmente de la tech a évidemment un impact négatif. Nombre d’investisseurs ont été déçus par la mobilité intelligente. Mais le segment des capteurs (caméra, radar, ou Lidar) semble plus mature", avance Lisya Bahar Manoah, general partner chez Catalyst Funds, qui a récemment clôturé son 4ème fonds d’un montant de 150 millions de dollars. Dans le portefeuille de ce grand fonds d’investissement israélien, figurent notamment, figurent Mobileye, mais aussi d’autres pépites locales de l’auto tech telle ARBE Robotics, un fabricant de radars "fabless" pour véhicules autonomes coté depuis plus d’un an au Nasdaq et qui œuvre pour Valeo, Veoneer ainsi que Weifu ou encore Nexar, dont la solution s’appuie sur des caméras de tableau de bord.
Autre investissement récent de Catalyst Funds : Addionics, une start-up qui "présente l’avantage d’offrir une solution immédiate aux industriels soucieux d’optimiser le stockage d’énergie", pointe Lisya Bahar Manoah, en attendant l’arrivée des batteries à base de silicium. Fondée en 2017 par Moshiel Biton, un scientifique des matériaux passé par les rangs de l’Imperial College de Londres, Addionics développe une nouvelle technologie de batteries électriques permettant de réduire considérablement le temps de charge des véhicules ainsi que le réchauffement interne.
"On s’appuie sur une structure d’électrodes 3D intelligentes couplée à un algorithme d’optimisation de l’architecture de l’IA, précise Gilad Fisher, son directeur marketing, une solution économique qui améliore tout et à laquelle personne n’avait pensé". Totalisant sept collaborations avec constructeurs et équipementiers, la jeune pousse qui a levé au total 40 millions de dollars, codéveloppe depuis deux ans avec le groupe Saint-Gobain la prochaine génération de batteries lithium-ion solides.
Pour présenter sa solution contre les cyberattaques pour les véhicules autonomes et électroniques, la start-up C2A Security n’a, pour sa part, pas hésité à faire venir deux invités de marque lors du salon israélien : le hacker australien connu sous le pseudonyme "Sick Codes", qui avait réussi à s’introduire dans le terminal des tracteurs John Deer et aide l’industrie auto à détecter la vulnérabilité de ses software et hardware à toutes les étapes du développement de la production, à l’instar de C2A ; ainsi que Joe Cheng, product et marketing leader au sein du consortium Mobility in Harmony Open EV Alliance, initié par Foxconn, le sous-traitant taïwanais d’Apple pour l’iPhone, et nouvel acteur dans les véhicules électrique.
La société qui a levé au total 15 millions de dollars, espère surfer sur le partenariat noué voilà quelques mois avec Valeo pour sa plateforme DevSecOp d’automatisation et de gestion de la cybersécurité, dont Geoffrey Bouquot, CTO et vice-président en charge de la stratégie de l’équipementier, a fait l’éloge, lors du dernier CES de Las Vegas, en la désignant comme "le futur de la cybersécurité". C2A s’est également allié au groupe d’ingénierie français Segula Technologies afin de permettre aux constructeurs de tester la résistance de leurs véhicules aux cybermenaces et de répondre aux nouvelles réglementations et normes de sécurité automobile telles que le WP.29 ou l’ISO/SAE 21434. "De manière concomitante, notre offre apporte une réponse à la pénurie des ingénieurs cyber dans la filière automobile", souligne le PDG de la jeune pousse, Roy Fridman.
Même son de cloche du côté de la start-up Foretellix, qui développe une plateforme de test et de vérification pour les systèmes d’aide à la conduite et de conduite autonome, utilisée notamment par Daimler Truck. "Nous proposons des outils pour automatiser les tests de performance", explique son patron Ziv Benyamini, issu des rangs d’Intel comme un autre co-fondateur de la firme, qui a totalisé 93 millions de dollars de levée de fonds, le dernier tour de table associant le géant des puces américain Nvidia ainsi que Woven Capital, le fonds de croissance de Toyota.
Créée en 2016, par deux anciens pilotes d’avions de chasse F35 qui ont travaillé dans les coulisses du système antimissile israélien "Dôme de fer", GuardKnox veut également jouer sa partition en matière de conduite intelligente cyber-sécurisée : "un domaine très complexe pour l’industrie automobile, précise son directeur marketing, Yonatan Matz, qui nécessite d’écrire des centaines millions de lignes de code comparé à 'seulement' des dizaines de millions pour un avion de chasse". La société qui officie pour Daimler et Porsche, compte parmi ses investisseurs le groupe français Faurecia, désormais rebaptisé Forvia.
"GuardKnox, repérée grâce à notre plateforme technologique de Tel-Aviv, représente le partenaire idéal pour développer notre leadership en matière de sécurisation des expériences utilisateurs dans le cockpit du futur", avait indiqué Uri Pachter, directeur général de Faurecia Security Technologies au moment de l’annonce il y a tout juste quatre ans. Une chose est sûre : la liste des pépites israéliennes de l’auto tech est longue.
La bataille de l’open innovation bat son plein
"Nous allons faire venir l’une d’entre elles, Kardome, qui permet de 'spatialiser le son' dans le véhicule, lors du prochain VivaTech", annonce Eric Feunteun, du groupe Renault. La Software République y présentera, cette année, en première mondiale, sa vision de la mobilité du futur "à travers le concept-car collaboratif H1stvision (Human First Vision) intégrant plus de 20 innovations" et les expertises des entreprises partenaires.
"En outre, nous étudions une potentielle collaboration avec CorrActions, dont la technologie peut réduire les accidents liés à la consommation d’alcool ou aux problèmes d’endormissement au volant", poursuit le responsable de la marque au losange. Une jeune pousse de Jérusalem dont le logiciel d'intelligence artificielle (à partir de sources telles que les volants et les smartphones), vient tout juste de séduire un nouvel investisseur : le constructeur d'automobile suédois Volvo. Autant dire que dans la "Start-up Nation", la bataille de l’open innovation bat son plein.
Israël veut s'imposer comme une plaque tournante de la "conduite intelligente"
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir