J'ai visité la grande pyramide de Khéops en réalité virtuelle... et vu le futur des expos culturelles ?
Pour mettre en avant ses découvertes scientifiques, la mission ScanPyramids a mis au point une expérience de visite virtuelle de la pyramide de Khéops. Développée par le studio parisien Emissive, l'expérience combine un sujet archéologique fascinant et des technologies de pointe (réalité virtuelle multi-utilisateurs sur une très grande surface) pour esquisser le futur des expositions culturelles. Emissive a par ailleurs de grandes ambitions pour sa technologie, avec laquelle elle cherche à séduire les industriels.
Julien Bergounhoux
La mission ScanPyramids a annoncé le 2 novembre avoir découvert l'existence d'une importante cavité d'au moins 30 mètres de long dans la grande pyramide du plateau de Gizeh, construite il y a 4500 ans sur ordre du pharaon Khéops. Elle a confirmé son existence en utilisant différentes techniques de détection de muons, mises en œuvre par l'Université de Nagoya (Japon), le CEA (France) et le KEK, un laboratoire japonais de recherche sur les particules.
En parallèle, la mission scientifique a mis sur pied un prototype de visite virtuelle de la pyramide pour évangéliser son travail. Baptisé ScanPyramids VR, il est hébergé par la Cité de l'architecture à Paris. Il a été réalisé par le studio parisien Emissive et permet à une demi-douzaine de personnes de visiter l'exposition virtuelle simultanément. La visite dure une heure, et est guidée par l'un des membres de la mission, qui explique les découvertes effectuées par ScanPyramids depuis 2015.
Visiter la grande pyramide comme si on y était
L'expérience est le parfait exemple du potentiel de la réalité virtuelle pour le tourisme ou la culture. Elle permet de visiter une grande partie de la pyramide comme si on y était, y compris des salles fermées au public. Après s'être équipé du casque (Oculus Rift) et du sac à dos contenant l'ordinateur (MSI VR One), on apparaît à l'extérieur de la pyramide avec un point de vue de géant, ce qui permet d'en faire le tour et d'apprécier sa proximité par rapport à la ville du Caire. Puis un cercle au sol permet de se téléporter à l'entrée de la structure (le tunnel creusé par l'expédition du calife Al-Mamoun), à l'échelle 1:1. La reconstitution a été éffectuée par photogrammétrie, à partir de photos et mesures prises sur place. Elle est donc extrêmement fidèle à l'original, même si la qualité des textures est en deçà de ce qu'un amateur avisé pourrait espérer.
Au fil de l'expérience, les visiteurs sont transportés dans la chambre de la reine, dans le grand corridor, dans l'antichambre et dans la chambre du roi. Des ambiances sonores sont également mises à disposition, dont un morceau du musicien Nicolas Godin enregistré dans la chambre du roi afin de mettre en valeur son acoustique hors du commun. A noter que la chambre souterraine n'a pas été capturée car elle ne présente pas d'intérêt pour la mission ScanPyramids : elle est située trop profondément sous terre pour servir à la détection par muons.
On passe aussi à plusieurs reprises sur des plates-formes virtuelles qui permettent d'observer la structure des couloirs dans une pyramide virtuellement évidée. Cette visualisation "impossible" permet de mieux se rendre compte de l'alignement parfait des pièces et couloirs les uns au-dessus des autres, un point qui a son importance au regard des découvertes de la mission ScanPyramids. Car le segment de couloir découvert en octobre 2016 derrière les chevrons de l'entrée de la pyramide tout comme la grande cavité d'au moins 30 mètres dévoilées la semaine dernière sont eux aussi alignés avec le reste des chambres et corridors.
Difficile devant cette démonstration de douter qu'il s'agit d'une partie encore inviolée de l'édifice, le segment de couloir rejoignant probablement la cavité plus large qui vient d'être découverte. Aucune théorie quant à la nature de ces cavités n'est cependant avancée par la mission. ScanPyramids travaille actuellement avec l'Inria pour développer un petit robot qui pourrait explorer le segment de tunnel en restant le moins invasif possible.
De la réalité virtuelle en "warehouse scale"
Comme pour le précédent projet d'Emissive, The Enemy, l'exposition s'appuie sur un framework développé en interne qui permet de gérer de nombreux participants dans un même espace de grande taille. La salle mise à disposition est un espace rectangulaire d'environ 400 m2, dont 300 m2 sont trackés par 32 caméras Optitrack (seize Slim13E, douze Prime17W et quatre Prime13W). Le suivi des casques se fait à l'aide de coques équipées de balises actives de suivi conçues par Optitrack. Cette surface de tracking est aujourd'hui hors du commun, tout comme l'aspect multi-utilisateurs (nous étions 7 à vivre l'expérience simultanément lors de notre session, même si l'exiguité des couloirs rend préférable des groupes de 4 ou 5). On serait tenté de parler d'expérience "warehouse scale" (à l'échelle d'un entrepôt) par opposition à l'échelle "roomscale" (de 15 à 25 m2) possible avec un HTC Vive.
La pièce mise à disposition de ScanPyramids VR par la Cité de l'architecture
"The Enemy nous a permis de tester la technologie pour voir ce qui fonctionne ou pas, car rien ne remplace la mise en pratique, explique Emmanuel Guerriero, président d'Emissive. Ce processus se poursuit avec ScanPyramids VR grâce à l'espace que la Cité de l'architecture à mis à notre disposition. Nous travaillons sur le fond pour peaufiner notre système et pouvoir à terme industrialiser son déploiement."
démocratiser les expositions en réalité virtuelle
En effet, si le prototype tel qu'il nous a été présenté n'a pas vocation à être ouvert au grand public, Emissive et ScanPyramids espèrent obtenir un financement supplémentaire qui permettra de l'ouvrir au public en 2018. Cela veut dire, entre autres, pouvoir se passer du guide en le remplaçant par un "guide virtuel", créer de meilleurs avatars plus réalistes (ils sont aujourd'hui de simples silhouettes bleues) et pouvoir rapidement prendre en charge un éventuel visiteur se sentant mal. L'idée pour l'entreprise est d'automatiser au maximum les visites pour atteindre des sessions de 30 personnes, dont 20 personnes vivant l'expérience par petits groupes et 10 autres s'y préparant ou visualisant un contenu dérivé. Emissive a par exemple développé une petite expérience HoloLens pour ScanPyramids qui indique où ont été placés les équipements scientifiques sur la pyramide.
Emissive veut créer une plate-forme
Une grande partie du travail d'Emissive consiste à développer un système d'évaluation pour comprendre d'où viennent les "saccades" qui peuvent survenir lors d'une expérience : occlusion du champ de vision des caméras, coupure du réseau WiFi, calcul trop difficile pour le PC... Le framework inclut aussi toute une panoplie d'outil pour gérer les sessions et les participants, organiser et contrôler les scènes, voir les connexions et déconnexions, pouvoir subdiviser la surface disponible en deux espaces distincts, importer ou exporter les avatars, optimiser les niveaux de fidélités... Les scénarios pourraient aussi combiner participants locaux et distants, et les sessions pourraient être enregistrées pour être rejouées plus tard.
Le tableau de bord du framework d'Emissive
"On ne veut pas réinventer la roue en développant toutes les briques. On utilise par exemple VRWorks de Nvidia ou certaines technologies de son qui existent déjà, mais on veut assembler ces briques pour qu’elles fonctionnent bien ensemble et que le résultat soit cohérent." Enfin, l'un des points forts du framework d'Emissive est qu'il gère différents types d'équipements. Il supporte à la fois le système de tracking Lighthouse de Valve et un tracking pour de très grands espaces basé sur les caméras Optitrack (et utilisant des casques Oculus Rift). De quoi faciliter le développement sur de petits espaces avant de déployer en production. Seul le moteur 3D Unity est compatible pour le moment, mais Unreal le sera bientôt, d'après Emmanuel Guerriero.
Séduire les industriels avec le CAVE du futur
Au-delà de la mission ScanPyramids et de l'utilisation de sa technologie pour les expositions culturelles, Emissive cherche un partenaire afin d'investir un autre lieu pour s'attaquer cette fois-ci au monde de l'entreprise. "Nous cherchons à créer le CAVE du futur, déclare Emmanuel Guerriero. Des responsables de chez Thales et Dassault Systèmes sont venus voir nos travaux. Il y a un vrai intérêt de la part de l'industrie à pouvoir regrouper des personnes dans une expérience sans limite de qualité ou de place."
Les usages iraient de la formation aux séances de team building en passant bien évidemment par de la revue de conception. "L'idée est de pouvoir convaincre les ouvriers et les patrons, pas juste les ingénieurs. Et les industriels peuvent utiliser des hangars qu’ils ont déjà. Même si le système coûte 200 000 euros à mettre en place, c’est très vite rentabilisé au vu des coûts engagés actuellement pour ces cas d'usage." Le dirigeant cite plusieurs scénarios sur lesquels son entreprise a travaillé, dont un pour la formation des équipes SNCF intervenant sur les voies ou un autre pour un industriel de la défense sur une briefing room afin de faire de la gestion de crise. "Nous nous intéressons aussi de près à l'industrie de la mode et du luxe. Nous connaissons bien cet univers car nous avons déjà réalisé des projets évènementiels pour des grands noms comme Hermès ou Patek Philippe."
Vers une plate-forme ouverte
A plus long terme, Emissive voudrait mettre ce framework à disposition des développeurs sous forme d'offre SaaS (software as a service). "Nous voulons arriver à la version 1.0 d'ici environ un an, détaille le dirigeant. A terme, l’idée c’est une open platform, mais dans un premier temps nous ciblons de gros clients pour illustrer les usages possibles. La finalité est d'ouvrir le système aux développeurs au travers d'un kit de développement logiciel (SDK)".
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