L'activité circuits numériques de STMicroelectronics en suspens : trois scénarios passés au crible

Le fabricant franco-italien de semi-conducteurs STMicroelectronics s’apprête à faire un point d’étape sur sa stratégie dans les circuits numériques avancés. Comment va-t-il mettre fin aux pertes chroniques de cette activité ? Passage en revue des trois options envisageables.

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L'activité circuits numériques de STMicroelectronics en suspens : trois scénarios passés au crible

Le suspense est à son comble chez STMicroelectronics. Les 3 000 personnes de la division DPG (Digital Product Group) attendent d’être fixées sur leur sort. La direction s’apprête à faire un point d’étape sur le dossier à l’occasion de la présentation des résultats du troisième trimestre le 29 octobre 2015. Quelles sont les options explorées pour mettre fin aux pertes chroniques dans cette activité ?

Statu-quo intenable

Les syndicats demandent le maintien en l’état de l’activité et la poursuite jusqu’à son terme du plan de redressement en trois ans lancé il y a un an. "Cette option serait intenable surtout si ST continue à perdre du chiffre d’affaires, ce qui est probable compte tenu de la tendance à la contraction du marché des décodeurs, estime Jean-Christophe Eloy, PDG de Yole Développement, un cabinet français spécialisé en électronique. On a de moins en moins besoin de décodeurs pour connecter la maison. On peut le faire avec des services sur Internet comme Netflix."

Carlo Bozotti, PDG de STMicroelectronics, s’est engagé en mai 2015 devant les investisseurs à régler le problème. "Il est maintenant obligé de faire quelque chose, note Jean-Christophe Eloy. Sans quoi il perdrait sa crédibilité devant les marchés financiers et son autorité à la tête du groupe."

la Coentreprise : vouée à l'échec

La division DPG regroupe trois familles de puces : les circuits pour décodeurs et passerelles télécoms, les Asic (circuits à la demande), et les composants spécifiques d’imagerie et de photonique. La troisième famille semble épargnée. Seules les deux premières font l’objet de remise en cause. Et si STMicoelectronics les combinait avec celles d’un partenaire au sein d’une coentreprise spécialement créée pour l’occasion ? "Ce n’est pas une option viable, tranche Jean-Christophe Eloy. Ce ne serait que reporter le problème à plus tard. Or ST semble décidé à le résoudre une fois pour toute." D’autant que le groupe garde de mauvais souvenirs des coentreprises créées dans les mémoires flash avec Intel et les circuits pour mobiles avec Ericsson. Elles toutes ont échoué et fini par être soit vendue (Numonyx dans les mémoires), soit démantelée (ST-Ericsson dans les puces pour mobiles).

Selon Yole Développement, il ne reste que trois options envisageables : cession, spin-off ou fermeture.

1 : Cession à certaines conditions

C’est une option réaliste. A en croire le cabinet, il y trois types de repreneurs potentiels. D’abord, des grands acteurs comme Qualcomm, Broadcom ou Samsung qui souhaitent étendre leurs capacités de conception en Europe pour mieux répondre au marché local. Ensuite des acteurs comme les fabricants chinois qui veulent récupérer des compétences de haut niveau dans les circuits numériques avancés. Enfin, des constructeurs de décodeurs qui, pour gagner en compétitivité, décident de se mettre à concevoir leurs propres puces à l’instar d’Apple et de Samsung dans les smartphones.

La France compte deux grands industriels dans le secteur : Technicolor et Sagemcom. Le premier a racheté les décodeurs de Cisco, devenant le numéro deux du marché dans le monde, derrière l’américain Arris. Il pourrait saisir l’opportunité de développer une stratégie d’intégration verticale en rachetant également les équipes de conception des circuits à STMicroelectronics.

La vente impose un détourage précis de l’activité à céder. "C’est simple à faire pour les circuits dédiés aux décodeurs, note Jean-Christophe Eloy. Les lieux, où se trouvent les équipes de conception de ces produits sont bien identifiés : Grenoble, Crolles, Paris, Le Mans et Rennes. C’est plus compliqué pour les Asic, une activité fortement imbriquée avec les autres."

Le scénario d'une cession pose deux problèmes à STMicroelectronics : le maintien d’un gisement de compétences en numérique, indispensable pour l’avenir de ses activités, et l’accès à un volume suffisant de fabrication de circuits numériques pour conserver ses deux usines de Crolles. Car si les circuits pour décodeurs, des produits à grands volumes, s’en vont, leur production s’en ira aussi, ce qui mettrait en danger les usines Crolles I et II.

"Toute est une affaires de négociation, rassure Jean-Christophe Eloy. ST peut accepter un prix de cession faible, voire payer le repreneur comme IBM l’a fait pour le transfert de ses semi-conducteurs à GlobalFoundries. En contrepartie, il négocie un accès aux compétences en conception de circuits numériques et la fabrication des puces en sous-traitance dans ses usines pendant quelques années, le temps de se retourner"

Le repreneur peut-il être non français ? "Absolument, répond t-il. Comme pour le rachat d’Alstom par General Electric ou d’Alcatel-Lucent par Nokia, ST peu rassurer l’Etat-actionnaire français en négociant le maintien en France de l’activité". C’est l’option qui sert le mieux les intérêts de STMicroelectronics.

Yole Développement lui attribue une probabilité de réalisation de 60%.

2 : Spin-off avec le concours d’investisseurs

Cette option consiste à détacher l’activité Asic et puces pour décodeurs en une société autonome spécialisée dans les services de conception de circuits numériques avancés. Pour financer le développement de cette filiale, STMicroelectronics y ferait entrer des investisseurs, dont Bpifrance. La mission de cette entité serait de concevoir des circuits pour la maison mère mais aussi pour d’autres clients de façon à mutualiser les moyens et réduire les coûts.

Le groupe franco-italien sauverait ainsi sa présence sur le marché des décodeurs, passerelles télécoms et Asic, et conserverait la fabrication des composants correspondants, garantissant la pérennité de ses deux usines à Crolles. Il pourrait convenir avec la nouvelle société d’avoir un accès privilégié à son savoir-faire en conception de circuits numériques et de fabriquer les puces qu’elle crée pour d’autres clients.

Sur le papier, cette option paraît particulièrement intéressante pour STMicroelectronics. "Mais sa réalisation suppose deux conditions : trouver un leader capable de mobiliser et motiver les équipes, et séduire les investisseurs, ce qui est possible si le projet est bien ficelé, explique Jean-Christophe Eloy. Mais l’opération reste risquée."

C’est pourquoi Yole Développement lui attribue une probabilité de réalisation de 20%.

3 : fermeture, faute de mieux

C’est l’option de dernier recours. "Hélas, l’arrêt brutal de l’activité n’est pas à exclure, note Jean-Christophe Eloy. ST l’a déjà fait dans le passé. Mais il ne le ferait que si aucune autre solution n’aura été trouvée."

STMicroelectronics a toujours eu le souci de limiter l’impact social de ses arrêts d’activités. Mais si le groupe est acculé à fermer cette activité, il ne peut empêcher des licenciements. Jusqu’à 1 000 personnes seraient alors touchées en France, principalement à Grenoble et Crolles.

"ST perdrait alors sur tous les plans, conclut Jean-Christophe Eloy : une activité, qui représente le moteur technologique du groupe, des compétences de haut niveau en numérique essentielles au reste de ses activités, et des volumes de fabrication conséquents indispensables à la survie de ses deux usines à Crolles. Son parler de l’impact négatif sur son image dans les régions où il est implanté." Ce serait également un désastre sur ses relations avec les politiques. Dans le cadre du programme R&D Nano 2017, que le groupe pilote à Crolles, l’Etat français, l’Union européenne et les collectivités locales ont promis de contribuer à hauteur de 1,1 milliard d’euros. Pas sûr, en cas de casse sociale, qu’ils continuent de le faire.

Yole Développement attribue une probabilité de réalisation de cette option de 20%.

Laquelle de ces trois options sera choisie par Carlo Bozotti ? Il faudra attendre le 29 octobre pour le savoir. A moins qu’il ne réserve une autre solution surprise.

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