"L'autopartage en boucle est le parent pauvre de la mobilité à Paris", selon Marco Viviani (Communauto)

Alors que la ville de Paris envisage de supprimer la moitié des 150 000 places de stationnement en voirie durant la mandature, nous nous sommes entretenus avec Marco Viviani, le vice-président de Communauto, la société québécoise pionnière de l’autopartage. L’occasion de confronter les réalités de ce marché des deux côtés de l’Atlantique.

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Sur le marché de l’autopartage parisien, il est aisé de reconnaître l’acteur québécois. Rien qu’à l’oreille, Communauto, avec son nom francophone, se démarque des Share Now, Getaround, Free2Move, Ubeeqo ou Zity - alors que ces trois derniers sont pourtant la propriété respectivement du Groupe PSA, d’Europcar et de Renault.

Il faut dire que la Belle Province représente encore une large part de l’activité de ce pionnier du secteur, fondé dès 1994 dans la ville de Québec par Benoit Robert, jeune étudiant en aménagement du territoire à l’époque, qui en est toujours le président aujourd’hui. Deux tiers des plus de 3 500 véhicules que compte sa flotte se situent en effet au Québec. À titre de comparaison, Communauto compte 200 voitures à Paris et… dix fois plus à Montréal !

Autopartage en boucle plutôt que free-floating
Tout un symbole : en septembre 2019, la société d’État Investissement Québec (l’équivalent de la BPI en France) a d’ailleurs remplacé au capital de Communauto le groupe PSA, qui y était entré trois ans plus tôt. La raison officielle ? Divergences d’objectifs à long terme, le constructeur français privilégiant l’autopartage en free-floating (sans station) tandis que le Québécois mise plus sur celui en boucle, avec un retour du véhicule au point de départ. À noter que RATP Capital Innovation, le fonds d’investissement de la RATP est, lui, toujours au capital de la filiale française de Communauto.

La société, présente dans 16 villes et 4 provinces au Canada, a d’ailleurs décidé d'accélérer en 2020 dans son pays d’origine en faisant l’acquisition de 700 véhicules supplémentaires et en lançant son service à Calgary (en Alberta). Un an et demi après Toronto (Ontario), la plus grande ville du pays. Et ce, malgré la pandémie.

"Nous ne sommes pas une alternative au transport en commun mais à la voiture individuelle. Notre cible, ce sont les personnes qui ont besoin d’une voiture pour des besoins essentiels, mais qui n’en possèdent pas. Nous avons donc moins été affectés par la situation," assure Marco Viviani, son vice-président (en photo ci-contre). Les bons chiffres de l’été (entre + 30 % et + 50 % d’activité par rapport à l’année précédente en France et au Québec), du fait de l’impossibilité de voyager à l’étranger, ont d’ailleurs en partie compensé les pertes du premier confinement selon lui.

Trajet moyen de six heures
Précisons également que Communauto a pleinement profité du départ d’Amérique du nord, en début d’année, de son principal concurrent, Car2Go, devenu depuis Share Now et propriété conjointe des constructeurs Daimler et BMW. Même si l’utilisation des Smart de l’entreprise allemande et des petites citadines ou des berlines de Communauto était bien différente, d'après Marco Viviani.

"À Toronto par exemple, le trajet moyen d’une Car2go était de 50 minutes, généralement pour des courts trajets vers le centre-ville, avec une moyenne de 120 usagers par véhicule. De notre côté, le trajet moyen est de six heures et il y a moins de 30 usagers par voiture. Autrement dit, ces derniers sont bien plus actifs et récurrents. Il y avait donc deux services similaires dans la même ville mais avec un fonctionnement et donc des usages différents."

Avec ses modèles de voitures basés sur la praticité et sa tarification dégressive, Communauto se destine en effet plutôt à des trajets de moyenne à longue distance, pour aller faire de grosses courses, aller rendre visite à des proches ou même… pour des week-end entiers. Cet été, trouver une Communauto disponible à Toronto ou Montréal pour une fin de semaine relevait d’ailleurs du miracle. "On a été pris de court à cause des retards de livraison des nouveaux véhicules…" confirme Marco Viviani. De fait, l’essor du télétravail n’est pas non plus vu comme une menace par cet affable Italien d’origine. Au contraire : "Les gens vont encore moins avoir besoin de leur voiture personnelle," estime-t-il.

Plus de difficultés à Paris
Si Communauto est globalement rentable, la société peine encore à Paris, où elle est pourtant présente depuis 2012, après le rachat de Mobizen, qui appartenait à l’époque au groupe Veolia-Transdev. "On a hérité d’une structure déficitaire et on l’a en partie redressée, justifie celui qui est aussi président de Communauto Paris. Mais le développement de l‘autopartage y est relativement lent…"

Un paradoxe quand on voit le nombre d’acteurs sur le marché, d’autant plus depuis le naufrage d’Autolib’, arrêté en juillet 2018. En plus des Zity (Renault), Share Now (Daimler-BMW) et Free2Move (PSA), présents sur le créneau du free-floating, quatre entreprises, réunies sous le label Mobilib, se sont vues attribuer en mai 2019 les anciens emplacements d’Autolib’ sur la voie publique : Ubeeqo (Europcar), qui a raflé l’essentiel des 1 210 places disponibles, Getaround, Ada et Communauto.

Les problèmes de Paris ? Les conditions urbanistiques et politiques ne sont pas optimales, à en croire Marco Viviani. Premièrement, la ville est très dense et la voiture est loin d’être le choix de déplacement le plus rationnel face au transport en commun, le vélo ou même la trottinette. "À Montréal, quand on est en retard, on prend un taxi. À Paris, si tu fais ça, tu arrives encore plus en retard !", rigole-t-il.

Deuxièmement, Autolib’ aurait doublement pénalisé le modèle de l’autopartage en boucle. D’une part, quand le service existait (de 2011 à 2018), car il aurait empêché le développement des autres réseaux en accaparant l’essentiel des espaces sur la voirie. Et aujourd’hui, car il semble avoir échaudé les responsables politiques sur la pertinence du modèle face à celui en free-floating.

"On est aujourd’hui très réticent à donner de l’espace à l’autopartage en station, comme s’il n’était pas glamour. Alors que, objectivement, il est bien plus utile et bon pour l’environnement à Paris que le free-floating. Même l’ADEME le dit. On est vraiment le parent pauvre de la mobilité," maugrée Marco Viviani.

Plus d’incivilités… mais du potentiel
Le dirigeant pointe aussi du doigt les incivilités, bien plus grandes à Paris qu’au Canada. "On voit en effet plus de vandalisme, mais le problème majeur reste nos places de stationnement qui sont régulièrement squattées par d’autres automobilistes. C’est rare à Montréal alors que c’est la norme à Paris. C’est une double peine pour nous : on perd de l’espace car les règles de la ville ne nous protègent pas assez contre cela, et on n’est pas capable de récupérer les contraventions que prennent nos abonnés quand ils se stationnent à côté car leur place est occupée."

Mais que fait donc Communauto dans cette galère, serait-on tenté de demander ? L’américain Zipcar, autre acteur du secteur et filiale du groupe Avis, n’a d’ailleurs pas hésité à jeter l’éponge en janvier 2019, moins de trois ans après son implantation. "Si on devait se retirer de Paris, on l’aurait fait il y a bien longtemps. Mais je crois sincèrement qu’on apporte de la valeur et qu’on a un rôle à jouer. Et Paris est une vitrine intéressante pour plusieurs marques", confie Marco Viviani. Ce dernier voit d’ailleurs un grand potentiel pour son service en 1ère couronne, où la circulation est moins dense et l’offre de transport en commun moins fournie. Même s’il doit se frotter, pour l'heure, à des villes encore réticentes.

En attendant bien entendu la décision de la Mairie de Paris à la suite des Assises du stationnement qui se tiennent actuellement. Les acteurs de l’autopartage espèrent en effet récupérer une partie des 70 000 places de stationnement qui seront supprimées d’ici les six prochaines années, afin d’atteindre une masse critique nécessaire à leur rentabilité.

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