"L’Homme n’est pas un ordinateur qu’on allume le matin et qu’on éteint le soir", rappelle Beatriz Arantes, chercheuse pour Steelcase

Beatriz Arantes est chercheuse pour Steelcase.

Elle vient de réaliser une étude portant sur les connaissances apportées par les neurosciences sur l'attention au travail dans lequel, on vérifie ce que l'on pressentait tous intuitivement : l'idée d'un travail continu est une aberration.

Pour bien fonctionner, être efficace et créatif, le cerveau a besoin de plages de repos et de détente.

Commencez par fermer toutes les fenêtres sur votre ordinateur et concentrez-vous sur cette interview.

Plus rien ne sera jamais pareil après.

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Beatriz Arantes est chercheuse senior et psychologue pour Steelcase.

L’Usine Digitale : Votre dernière étude porte sur les liens existants entre neurosciences et manière de travailler. Comment une idée pareille vous est-elle venue ?

Beatriz Arantes : Notre but était de faire le point sur l’état de l’art dans les neurosciences, en matière d’attention. Nous voulions comprendre l’impact que cela peut avoir sur le travail afin de trouver des solutions en matière d’espace et de solution d’aménagement. Nous pressentions qu’il y avait quelque chose d’intéressant à étudier car nous voyons tous de nouveaux comportements émerger avec les technologies. Par exemple, aujourd’hui, tout le monde consulte en permanence ou presque son téléphone portable ou ses mails. Au cours de mon travail, j’ai découvert que les neurosciences balayaient bien des idées reçues sur la façon dont fonctionne notre cerveau.

La première d’entre elle remet en cause l’idée selon laquelle il faudrait travailler plus pour produire davantage. En quoi est-ce infondé ?

C’est une idée culturellement forte, très inscrite dans nos manières de faire. Or, les neurosciences l’invalident en raison de la façon de fonctionner de notre cerveau. Ce dernier est un organe énergivore. Imaginez, il représente 2% du poids total du corps mais 20% de la consommation d’énergie. Le cerveau peut donc être mobilisé à certains moments, mais il faut aussi savoir se reposer. Il n’est pas vrai qu’on peut toute la journée être productif en restant devant un écran. Ceux qui le prétendent se trompent lourdement. De la même façon qu’on a besoin de dormir 8 heures par nuit, nous avons besoin de moments de repos dans la journée. Il est indispensable de repenser la journée de travail afin d’intégrer ces cycles. L’Homme n’est pas un ordinateur qu’on allume le matin et qu’on éteint le soir.

En attendant, comment peut-on faire pour respecter les besoins de son cerveau ?

Adapter les tâches à accomplir en fonction des moments de la journée. Il importe aussi de savoir dresser des priorités, de décider à qui ou à quoi on donne son attention, ce qu’on met en second plan... Il faut être capable de dire "non ça je ne peux pas le faire maintenant, je le ferai plus tard."

C’est la deuxième idée reçue que vous combattez : nous ne sommes pas capables de faire plusieurs choses à la fois.

Oui. Pour être plus précise, je dirai que les neurosciences établissent que faire plusieurs choses à la fois ne fait pas gagner du temps. C’est fondamentalement une source d’inefficacité. Les mails, les sollicitations perpétuelles des collègues qui viennent nous poser une question perturbent notre manière de travailler. On essaie de tout gérer au fur et à mesure, de tout faire en même temps, on se laisse emporter par les demandes. Or, nous ne sommes pas multitâches. C’est un mythe. Etre en réunion et répondre à des mails, basculer d’une fenêtre à l’autre de son ordinateur (en moyenne les gens ont 8 fenêtres ouvertes simultanément) n’apporte aucun surplus de productivité. Cela perturbe notre concentration. On ne peut pas apporter toute son attention à plusieurs sujets à la fois. Des études ont montré que se placer dans ces situations revient à perdre quinze point de QI, que cela amène à faire 50% d’erreurs en plus.

Pour bien travailler et être bien concentré, il faut avoir une concentration de qualité, c’est-à-dire s’éloigner des distractions et des bruits extérieurs. L’individu doit aussi développer une discipline initme. Quand l’esprit s’évade, il faut essayer de se reconnecter au plus vite.

Ou alors prendre une pause. C’est la troisième idée reçue que vous combattez. A vous lire, prendre une pause, c’est travailler ?

Travailler je ne sais pas, mais prendre une pause ce n’est pas ne rien faire. L’idée reçue que les neurosciences invalide c’est que prendre une pause ce n’est pas perdre du temps. Pour bien fonctionner, pour donner le meilleur de ses capacités, le cerveau alterne des périodes de concentration et de repos. Faire une pause est très important pour redémarrer dans une meilleure forme.

Pour les gens qui doivent être créatifs, le temps de pause est très important. C’est là que peuvent naître de nouvelles idées, des associations inattendues entre des choses existantes. Mettre en relation deux éléments distincts c’est souvent la base de la créativité. La distraction est bien souvent la source de l’inspiration. Il faut arrêter d’avoir une image négative de la distraction qui ouvre sur des idées nouvelles.

Autrement dit, les moments de productivité dans une journée ne sont pas tous devant l’ordinateur. Au fond, nous le savons tous bien. Combien d’entre-nous ont eu une idée intéressante le matin sous leur douche ? Pour les entreprises, cela veut dire qu’il faut dans l’organisation du travail réserver des plages plus libres, moins structurés.

C’est la même chose pour l’espace qui reste le métier de Steelcase ?

Idéalement, les entreprises devraient diversifier les espaces, en créant des lieux pour la concentration, d’autres pour la détente. On ne peut pas faire le travail de réflexion et de partage au même endroit, car on risque alors de ne faire ni l’un ni l’autre correctement.

Ce que vous décrivez ressemble beaucoup à ce que font les entreprises de la Sillicon Valley. On pense notamment à Google qui a tant dépensé pour faire connaître comment on y travaille différemment qu’ils méritent d’être cités.

Je ne suis pas certaine qu’ils se sont appuyés sur les connaissances scientifiques pour organiser leur espace. Ils ont poussé à l’extrême des idées qui étaient dans l’air du temps. Aujourd’hui, la nouveauté vient du fait que l’on est capable de mesurer certains phénomènes. On peut dire que tel comportement n’est pas bénéfique et on peut dire pourquoi, voire combien cela fera perdre d’argent.

Votre étude n'est-elle valide que pour les postes de décision, de création ou pour tout le monde ? Autrement dit, les problèmes que vous soulignez concernent-ils aussi le téléopérateur ou le comptable ?

Ce qui peut être différent entre les métiers est le degré de routine du travail. Je pense que plus le travail est routinier, plus on peut éteindre une partie de son cerveau, celle qui est liée à la réflexion. On fait, on répète, un peu comme quand on conduit une voiture sur un chemin habituel et qu’arrivé à destination on ne se souvient plus des endroits traversés. Alors que quand vous faites un chemin pour la première fois vous êtes beaucoup plus attentif au trajet.

Ceci dit, mais dans un centre d’appel, il y a plusieurs façons d’organiser le travail. On peut décider de faire un lieu hyper "processé" ou au contraire donner de la liberté aux opérateurs comme l’a fait Zappos en obtenant d’excellents résultats. Tout le monde utilise son cerveau au travail, donc tout le monde est concerné par ces résultats.


Pour lire l'intégralité de l'étude "un cerveau haute performance, c'est ici

Respectez votre cerveau : à chaque heure sa tâche.

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