"L’identité numérique n’est jamais devenue aussi importante", Bill Gajda, SVP Innovation chez Visa
A l’occasion de MWC 2019 de Barcelone, Visa présentait une étude sur le futur des transports en partenariat avec l’université de Stanford. L’occasion de faire le point avec Bill Gajda, SVP Innovation et partenariats stratégiques chez Visa, sur la stratégie de l’entreprise de technologies de paiements.
Stéphanie Mundubeltz-Gendron
Visa révèle une étude menée avec l'Université de Stanford sur le futur du transport dans les grandes villes, pourquoi avoir mené cette enquête ?
Bill Gajda : Pour voir ce que ça change pour nous en termes de commerce... Le monde devient de plus en plus urbain. On va passer de 33 "mégacités" de plus de 10 millions de personnes à 50 "mégacités" d’ici à 2050. Avec cela, arrivent à la fois des challenges et des opportunités pour les transports. Car en termes de productivité, quand les transports ne fonctionnent pas, des milliards de dollars sont perdus sur la route. Cette étude fait ressortir des points très intéressants à propos des comportements des consommateurs, sur les points de friction et ce qu’ils recherchent en termes de transport.
Quels constats tirez-vous de cette étude ?
B. G. : Premièrement, il y a de plus en plus de solutions à trouver autour de la congestion, de la sécurité, du manque de transparence des prix et du manque de connectivité entre les modes de transports. Les gens recherchent une seule application et une seule expérience à travers différents types de transports. Pour cela, il est nécessaire que toutes les autorités rassemblent les points de vues de leurs utilisateurs.
Le second point concerne le paiement et le mobile. L’identité numérique n’est jamais devenue aussi importante. Notamment si vous voulez avoir une expérience multimodale. Dans le cas des voitures en auto-partage, par exemple, vous marchez jusqu’à une voiture, présentez votre mobile, ouvrez la porte, conduisez et laissez la place à quelqu’un d’autre. Cela nous oblige à vérifier que vous êtes bien la bonne personne, que vous avez un moyen de paiement vérifié, un permis de conduire valide, peut-être une assurance…
L’identité numérique ne va plus simplement permettre de payer.
Qu’est-ce que cela implique en termes d’authentification ?
B. G. : On est passé d’un monde du plastique où on mettait la carte dans la machine – cela créait un cryptogramme et on authentifiait la carte – à un monde digital. Lorsque vous intégrez votre carte bancaire dans votre téléphone ou dans la voiture ou le cloud ou une app…, on va authentifier l’utilisateur par l'appareil et la biométrie. Cela change la manière de valider les identifiants. Cela doit authentifier le fait que vous avez enregistré cette carte dans le "device", que vous êtes qui vous dites, que ce téléphone et que cette carte vous appartiennent. Et ainsi démontrer que c’est une transaction sécurisée.
Il existe encore une certaine réticence, notamment en France, à laisser tomber la carte bancaire "plastique". Comment changez-vous ces comportements ?
B. G. : C’est là où l’étude sur les transports est intéressante. Si vous regardez ce qu’il se passe au Royaume-Uni, de plus en plus de gens utilisent les outils mobiles ou ces cartes sans contact. Cela a commencé par les transports. Quand on est capable de faire du sans contact sur l’ensemble des transports de Londres (bus, métro…), cela change les comportements en matière de paiement. Car on ne fait pas le geste tous les 2 ou 3 jours mais 3 à 4 fois par jour. Lorsque les commerçants qui n’acceptaient pas la paiement sans contact par NFC ont vu cela, ils ont commencé à changer leurs terminaux autour des gares. Quand vous faites cela 6 à 7 fois par jour, cela devient une habitude.
Quand on est capable de faire du sans contact sur l’ensemble des transports de Londres (bus, métro…), cela change les comportements en matière de paiement.
Quels sont les grands axes de la stratégie innovation de Visa ?
B. G. : L’innovation chez Visa est basée sur trois piliers. Le premier est de travailler de manière de plus en plus proche avec les start-up et les fintech. Dans le cadre de notre Venture Program, nous avons des équipes autour du monde (Tel Aviv, Berlin, Londres, Stocholm, Paris…) qui regardent toutes les start-up que l’on peut accélérer, incuber ou dans lesquelles on peut investir…
Le deuxième porte sur des partenariats avec de grands acteurs du digital, comme Samsung, Google, Microsoft, Facebook, Uber, Paypal... Et enfin, nous avons nos centres d’innovation (à Londres, Berlin, San Francisco, Singapour, Dubaï...) où l’on développe de nouveaux produits et solutions en "co-création".
Quel type de start-up surveillez-vous ?
B. G. : Quand on parle de start-up, on surveille de près cinq catégories :
- Authentification et sécurité, ce qui inclut la biométrie, la géolocalisation, l’identité du device…
- Transformation du point de vente : on regarde de près les caisses mobiles avec des entreprises comme Square ou SumUp, ou des concepts comme Amazon Go où la caisse disparaît parce qu’ils utilisent le RFID, la microlocalisation, les capteurs…
- Data Analytics : Visa a un tas de données et on regarde comment valoriser cette donnée pour la fidélisation, la prédiction du comportement des consommateurs. Par exemple, on est en train de travailler sur une solution qui, en analysant les comportements des consommateurs dans le passé, permet de prédire quels seront leurs prochains achats.
- Plateformes verticales : un tas de start-up sont axées sur les marketplaces B2B. Beaucoup d’innovations étaient focalisées sur le consommateur final et, depuis 2 ou 3 ans, nous voyons de plus en plus d’innovations pour les TPE/PME, pour un meilleur support logistique, des paiements virtuels ou des paiement cross-border.
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La législation, et notamment le DSP2 en Europe : c’est un point de friction. On se focalise dessus de deux manières. Notre première priorité est l’authentification forte des consommateurs. Pour cela, on travaille avec les banques et les grands commerçants, avec qui on a notamment développé une liste blanche. On a aussi introduit le 3D Secure 2.0. Pour les quelques transactions qui nécessitent une authentification forte, nous devons offrir une expérience client sans couture.
Quelle est votre stratégie en matière de data ?
B. G. : On collecte les données de chaque transaction car nous utilisons la donnée en temps réel pour prévenir la fraude. Ce qui est important, c’est qu’on ne sait pas qui vous êtes. On connait seulement votre carte. On peut la traquer à travers vos comportements. On a un historique de la donnée stockée de 3 à 5 ans sur votre carte. C’est un jeu de données très riche. Cela vit dans nos data centers dont le plus gros est situé au Royaume Uni. Il est totalement conforme à la réglementation (RGPD, notamment, ndlr). Notre première priorité est de protéger toute cette donnée que nous utilisons pour la fraude.
Ensuite, on va utiliser cette donnée pour vous faire de meilleures recommandations, pour proposer des offres ou des segmentations… Cela passe absolument par permission du client. Et on doit le contacter régulièrement pour savoir s'il est êtes toujours OK que l’on utilise cette donnée.
On collecte les données de chaque transaction car nous utilisons la donnée en temps réel pour prévenir la fraude
Des exemples ?
B. G. : On a utilisé la data par le passé pour travailler avec des commerçants pour savoir où ils pouvaient construire leur prochain magasin. On est en effet capable de savoir en temps réel ce que les gens achètent, dans quelle catégorie, à quel moment de la journée, à quel endroit, et pour quel montant moyen.
On ne sait pas qui vous êtes mais on sait – de manière agrégée – ce qu’il se passe en termes de comportement d’achat. C’est d’ailleurs un point intéressant de notre étude sur les transports. Par exemple, à propos des parkings, on a remarqué que le vendredi est le jour où les gens se garent le plus longtemps parce qu’ils font du shopping Mode et accessoires ; et moins longtemps de dimanche, car ils font des courses alimentaires. Si l’on pense à cela, il est intéressant de travailler avec les gestionnaires de parkings autour de prix dynamiques, de l’augmentation ou de la réduction du nombre de places... Et ce n’est qu’un exemple.
Quelles sont les prochaines étapes en matière de biométrie ?
B. G. : La reconnaissance faciale ou l’empreinte digitale sont d’un usage commun aujourd’hui. Là où l’on passe beaucoup de temps, et où l’on va voir de plus en plus d’investissement, c’est sur la biométrie passive. Par exemple, Bio-Catch, une start-up en Israël, a identifié 200 manières d’utiliser son téléphone : en fonction du temps d’utilisation du pouce, du nombre de fois où je tourne mon téléphone, de l’angle que j’utilise, de la capacité moyenne de ma batterie… Ils sont capables de m’authentifier. D’autres entreprises regardent aussi la manière dont vous marchez.
Dans le futur, le paiement va se baser sur une authentification permanente en background, peut-être 10 fois par minutes. Tout cela, grâce au machine learning et au langage naturel. La voix est d’ailleurs sans doute la manière la plus fluide pour acheter quelque chose en ligne et on voit beaucoup d’investissements sur ces sujets. C’est vraiment fiable.
Là où l’on va voir de plus en plus d’investissements, c’est sur la biométrie passive.
Mais en France, les banques sont encore assez frileuses sur ce sujet de la voix…
B. G. : Toutes les banques françaises regardent cette technologie de près et savent que cela arrive. Mais les choses prennent du temps quand il s’agit de paiement. Lorsque vous utilisez la voix pour consulter la météo, ce n’est pas très grave si ça ne marche pas, mais quand il s’agit d’argent et de paiement, ça doit fonctionner.
Bagues de paiement, lunettes de soleil… Vous avez présenté de nombreuses innovations en termes d’IoT ces dernières années. Quelles sont vos ambitions sur ce secteur ?
B. G. : Toutes les entreprises qui développent des bijoux, des bracelets connectés et autres wearables peuvent utiliser nos standards pour intégrer le paiement. C’est ouvert et cela continue de progresser.
Mais ce vers quoi va l’IoT aujourd’hui, c’est surtout le marché de l’automobile, avec les voitures connectées et toute l’économie de partage. On travaille avec les grands constructeurs automobiles mais aussi avec certains fournisseurs de technologie et des équipementiers. Mais on ne développe pas notre propre plateforme multimodale. Nous ne sommes pas une entreprise BtoC. Nous mettons notre plateforme à disposition.
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