L'intelligence artificielle perce les mystères du sarcome d'Ewing, un cancer rare de l'enfant

Grâce à l’intelligence artificielle, deux équipes de chercheurs de l’Institut Curie ont pu passer au peigne fin un cancer rare de l’enfant, le sarcome d’Ewing. Ces travaux colossaux révèlent les mécanismes de développement et de métastase de la maladie.

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L'intelligence artificielle perce les mystères du sarcome d'Ewing, un cancer rare de l'enfant
Sarcome d'Ewing après une coloration PAS vu au travers d'un microscope avec un fort agrandissement.

Il est moins répandu et moins connu que certains autres types de cancer. Le sarcome d’Ewing, un cancer pédiatrique rare, touche environ 70 enfants par an en France. Il se localise sur les os et comporte un risque important de métastases. Pour essayer de mieux comprendre pourquoi certains enfants en rémission rechutent, l’Institut Curie, spécialisé dans la lutte contre le cancer, s’est penché sur le patrimoine génétique des tumeurs, en analysant leurs cellules une à une. Une technique avec un fort potentiel, à condition de disposer d’un algorithme capable d’analyser l’immense masse de données qu’elle génère.

"Malgré le faible nombre de mutations présentes dans le sarcome d’Ewing, il présente des tumeurs très agressives, avec une forte propension à progresser, métastaser et à résister aux traitements, ce qui suppose une capacité d’adaptation des cellules cancéreuses", explique l’étude publiée dans la revue spécialisée Cell Reports. Ces mécanismes d’adaptation pourraient s’expliquer par le biais de l’épigénétique. Cette discipline étudie comment chaque cellule exprime un gène ou non, et ses répercussions sur l’organisme.

"On sait que les sarcomes d’Ewing font partie des tumeurs les plus stables sur le plan génétique. Elles possèdent une mutation majeure, appelée EWSR1-FLI1, du nom de deux gènes qui ont fusionné", explique Andrei Zinovyev, co-directeur de l’équipe "Biologie des systèmes de cancer" à l’Institut Curie. Les chercheurs ont essayé de voir si une expression plus ou moins forte de ce gène dans une cellule pouvait entraîner l’apparition de métastases dans le reste du corps. Il s’agit de comprendre comment les cellules appliquent ou non le "programme" inscrit dans leur ADN et les répercussions que cela entraîne.

Une analyse cellule après cellule

Les cellules qui composent les tumeurs expriment-t-elles toutes la mutation à un même degré, ou sont-elles très différentes sur le plan épigénétique ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont utilisé une technique appelée "single cell sequencing". Cette approche novatrice dans le domaine du cancer consiste à aller regarder, cellule par cellule, les gènes exprimés. Un moyen d’identifier des groupes de population de cellules qui pourraient résister au traitement, entraîner la prolifération du cancer et donc des rechutes. En analysant les tumeurs à un degré moins précis, il serait impossible de mettre le doigt sur les groupes de cellules responsables des rechutes.

Biologistes et bio-informaticiens travaillent alors de concert. Car le séquençage de cellule unique génère une masse de données colossale, que seuls des traitement automatisés à l'aide de techniques d'intelligence artificielle peuvent exploiter sans que cela ne prenne des dizaines d’années. Les chercheurs ont commencé par analyser des cellules en culture, afin de voir comment la mutation EWSR1-FLI1 influence l’expression des gènes. Après avoir repéré les différentes manières dont la cellule est programmée, ils sont partis à la recherche de ces différentes voies dans de véritables tumeurs.

"Nous avons pu observer le niveau d’activation de cet oncogène dans chaque cellule tumorale. Le résultat est surprenant. Chaque niveau d’activité de EWSR1-FLI1 entraîne des caractéristiques particulières des cellules. Dans le cas d’une forte activité de l’oncogène, les cellules prolifèrent et se multiplient entre elles. Dans le cas d’un plus faible niveau d’activité de l'oncogène, elles ont tendance à migrer et à métastaser", expliquent les auteurs de l’étude.

Deux réactions qui aggravent l’avancée du cancer, et dont la découverte ouvre la voie à d’éventuels traitements. "Si demain on trouve un traitement pour inhiber l’activité de cet oncogène et ainsi arrêter la prolifération, il faudra probablement y associer des molécules qui empêchent la migration cellulaire. Cela permettrait d’éviter que des cellules dans lesquelles se trouvent encore un taux très bas de EWSR1-FLI1 ne migrent silencieusement pour aller former des métastases", explique le Dr Olivier Delattre, directeur de l’équipe "Cancer, hétérogénéité, instabilité, plasticité" de l’Institut Curie.

L’intelligence artificielle devenue indispensable

Impossible, sans l’intelligence artificielle, d’arriver à des conclusions aussi précises. Le machine learning, qui permet "d'apprendre à partir de données", s’applique aussi bien aux données biologiques qu’à d’autres secteurs comme la reconnaissance d’images, la cybersécurité ou l’analyse financière, pour lesquels elle est plus connue. "La bio-informatique donne une toute autre dimension à ce type de travaux car elle permet de traiter l’immense quantité de données générées par l’étude des cellules. Elle permet de les analyser en utilisant des outils statistiques innovants", souligne Andrei Zinovyev.

Des avancées récentes qui changent la donne en matière de recherche contre le cancer. "Il y a dix ans, on ne faisait pas ce type d’études à cause, entre autres, de la quantité de données à traiter. A l’époque, chaque tumeur dans son ensemble correspondait à un profil moléculaire. Aujourd’hui, les milliers de cellules qui se trouvent dans les tumeurs ont chacune un profil différent", explique Olivier Mirabeau, bio-informaticien et coauteur de l’étude. Un changement d’échelle qui donne un tout autre degré de précision à la recherche scientifique. Cette immense masse de données regorge d’informations sur les caractéristiques de la maladie.

Pour tirer tout le bénéfice de l’intelligence artificielle dans la recherche contre le cancer, l’Institut Curie s’est doté d’une plate-forme de bio-informatique composée de trente bio-informaticiens, statisticiens et ingénieurs informatiques. Ils épaulent chercheurs et médecins hospitaliers dans l’analyse et la gestion de données, le développement de logiciels et le calcul haute performance. "La plate-forme dispose d’une importante infrastructure informatique, gérée par l’équipe IT de l’Institut Curie : un système de stockage de 5 pétaoctets [5 millions de gigaoctets], un cluster de calcul avec 3000 processeurs et différents postes de travail de bio-informatique", explique l’Institut Curie. Une infrastructure qui permet d’adapter les technologies du big data et de l'apprentissage automatique à la recherche en santé.

Comment souvent dans la recherche médicale, une seule étude ne suffit pas à trouver comment traiter la maladie. De plus amples études sont nécessaires. "Toutes ces différentes populations de cellules peuvent avoir un impact fort sur la réponse au traitement et il serait intéressant de suivre leur évolution in vivo pour voir leur comportement. De plus amples études, en particulier celles utilisant des tumeurs primaires [les premières tumeurs qui apparaissent dans un cancer avant les métastases, ndlr], seront nécessaires pour déterminer si la composition des tumeurs a une influence sur le pronostic du patient ou non", précise les auteurs de l’étude. Toutefois, ces travaux sont cruciaux pour comprendre comment fonctionne ce rare cancer de l’enfant. Ils posent les jalons pour espérer, un jour, limiter la prolifération de cette maladie.

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