"L'ubérisation part toujours d'un point d'inefficience dont profitent de nouveaux acteurs", selon Claude Imauven de Saint-Gobain

Numéro 2 de Saint-Gobain en charge de la transformation digitale depuis novembre 2015, Claude Imauven livre à L'Usine Digitale sa vision de l'avenir de l'entreprise.

Selon lui, le géant français des matériaux de construction doit mettre l'accent sur deux chantiers : la digitalisation des RH et le digital manufacturing.

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Claude Imauven, numéro 2 de Saint-Gobain, en charge de l’innovation, de la transformation digitale, de l’excellence opérationnelle et du développement international.

L'Usine Digitale - Vous avez été nommé, en novembre, numéro 2 de Saint-Gobain, en charge de l’innovation, de la transformation digitale, de l’excellence opérationnelle et du développement international. Pourquoi pas numéro 2 chargé de la transformation digitale à plein temps?

Claude Imauven - Le digital n'a pas commencé à Saint-Gobain avec ma nomination. Il existe de nombreuses initiatives depuis longtemps, au niveau national, régional et dans les métiers. Ma mission, c'est d'accélérer, en mutualisant les projets, en créant des synergies, en m'assurant que ceux qui sont à la traine rattrapent le peloton et que les meilleures initiatives se propagent dans l'ensemble du groupe. Le numérique est partout, cela a du sens d'intégrer cette fonction au COO (chief operating officer).

Y'a-t-il des directeurs du digital dans chacune des marques du groupe ?

Nous n'avons aucun poste labellisé chief digital officer, car on considère que le sujet est transversal et doit être investi par tous les directeurs généraux. Le numérique fournit des outils et un langage communs à des fonctions qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble comme la R&D, le marketing et l'IT. Mais chaque responsable de business unit a des objectifs et des bonus liés au numérique.

Par exemple ?

Faire progresser le chiffre d'affaire des ventes en ligne, développer un nombre donné d'API dans l'année, mettre au point un nouveau programme de réalité augmentée qui va aider à vendre certains produits... Ce sont des objectifs très concrets et précis, différents pour chaque branche, car nos métiers sont variés.

Chaque business est autonome dans sa gestion, dans sa stratégie, mais chacun doit se poser la question de savoir comment son business model peut être mis en péril par de nouveaux entrants. Car ce que l'on nomme "ubérisation" part toujours d'un petit point d'inefficience dans lesquels peuvent s'engouffrer de nouveaux acteurs pour créer des business… Il nous faut identifier ces points d'amélioration et voir s'il est plus pertinent de les traiter nous-mêmes, en interne, ou de faire appel à des start-up.

En avez-vous déjà identifié sur le marché de la construction ?

Le taux de satisfaction des gens ayant fait réaliser des travaux est inférieur à 50%. Il y a donc un créneau à prendre. On a identifié des niches dans le domaine du conseil énergétique. Cela ne veut pas dire que nous le ferons nous-mêmes. La maquette numérique est aussi un sujet sur lequel on travaille beaucoup car elle introduit un nouvel espace collaboratif dans lequel tout le monde peut trouver son compte. L'enjeu, c'est d'y être référencé.

Saint-Gobain, dans les Tesla et les bâtiments intelligents
De par la diversité de ses activités, Saint-Gobain, spécialiste des matériaux innovants, des produits pour la construction et de la distribution dans le bâtiment, est de plus en plus confronté directement ou indirectement aux GAFA et NATU. Le verre électrochrome de la marque Securit, avec caméra intégré et affichage tête haute, équipera le Model 3 de Tesla. Et qui sait, lorsque Google s'aventurera réellement sur le terrain de l'habitat connecté et de la smart city, Saint-Gobain s'imposera comme un possible partenaire… ou concurrent. "Nos matériaux sont dans tous les bâtiments, ou presque. L'enjeu est de les rendre intelligents", résume Claude Imauven.
L'accès à la donnée sera la clé du bâtiment connecté dans lequel Saint-Gobain entend jouer un rôle. L'entreprise développe d'ailleurs un objet connecté de mesure du confort domestique, le MC 350, qui capture des paramètres comme la chaleur, l'humidité, la température, le bruit, la lumière… Saint-Gobain a distribué ce capteur à ses salariés pour un beta test grandeur nature.

Comment identifiez-vous les start-up avec lesquelles vous pourriez collaborer ?

C'est le rôle de Nova, notre structure d'investissement et de partenariats, qui hume l'innovation à l'extérieur du groupe. Autour de la table, il y a les patrons de tous nos business. A chaque fois que l'on choisit d'investir dans une start-up ou de la soutenir (en achetant un brevet, des produits…), il y a toujours un patron d'unité qui la suit en tant que sponsor. Si les projets sont trop en amont et trop transversaux, je me les réserve pour m'assurer qu'ils sont bien suivis.

On ne se s'empêche pas de prendre des tickets dans des start-up, mais ce n'est pas une fin en soi, plutôt une manière de rendre plus agile notre façon de fonctionner, d'aller vers de nouveaux produits, services et business.

Plus largement, quels sont vos grands chantiers, votre feuille de route ?

Il y en a quatre: le parcours client, le parcours fournisseur, l'usine du futur et les processus RH.


Le sujet le plus mûr est le parcours fournisseur : nous avons centralisé et automatisé la direction des achats, organisé le suivi de l'e-réputation des fournisseurs… La digitalisation du parcours client est elle aussi une priorité, pour une meilleure connaissance client grâce aux outils numériques.


L'énorme chantier, celui qui conditionne tous les autres, est celui des ressources humaines. Nous avons un travail à mener sur la formation, l'e-learning, les MOOCs, l'introduction du travail en communauté, l'utilisation des réseaux sociaux et des communautés internes, la numérisation du recrutement et la fidélisation des salariés, l'intrapreuneuriat…


Le chantier sur lequel nous avons le plus de travail, c'est le digital manufacturing. Nos usines génèrent beaucoup de données mais nous ne savons pas encore quoi en faire. Un meilleur traitement de ces téraoctets de data issus de nos machines va nous permettre de faire des progrès majeurs en matière de maintenance préventive. Sur un four verrier cela peut faire des millions d'euros économisés en six mois ou un an.

Vous dotez-vous de nouveaux profils liés à la transformation numérique ?

Bien sûr. Nous avons par exemple une équipe d'une dizaine de data scientists qui agissent à la demande des métiers pour leur donner un coup de main sur les projets. Ils peuvent aider telle ou telle activité à se servir de l'open source pour arriver à faire des corrélations auxquelles on ne penserait pas et qui vont les aider, par exemple, à façonner leur page web de façon plus performante… L'idée est de passer d'un marketing au "doigt mouillé" à un véritable data management, en particulier dans la distribution. On cherche notamment à mesurer le risque client à travers le traitement des données, pour voir à quel moment le consommateur risque de nous abandonner, pour mieux envisager les actions spécifiques qui peuvent être mises en place pour les garder.

Avez-vous du mal à attirer les jeunes talents, comme le sous-entendait le classement des entreprises préférées des jeunes Français, auquel vous avez répondu avec humour ?

Pas vraiment, non. La notoriété de Saint-Gobain notamment à l'international - la marque est plus connue en Inde qu'en France ! - et la variété de nos métiers nous rendent attractif vis à vis des candidats. Peut-être pas les purs développeurs, mais des gens attirés par les technologies et qui veulent les appliquer. Ce sont des denrées très recherchées, nous fidélisons nos recrues en leur donnant la possibilité de ne pas rester cantonnés dans un rôle de spécialistes du numérique, mais de passer ensuite au marketing, à la production...

Le numérique est-il la plus grande révolution vécue par Saint-Gobain depuis 350 ans ? Va-t-il bouleverser votre cœur de métier ?

Cela ne bouleversera pas notre cœur de métier, mais la manière dont on le fera : notre organisation interne et la manière de toucher le client final. Je vois cette vague davantage comme une opportunité que comme une menace. Cela nous rapproche de manière évidente du client final, alors qu'avant nous étions très B2B.

Propos recueillis par Charles Foucault et Sylvain Arnulf

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