La finance décentralisée, une matière comme une autre dans les formations en finance
La "DeFi", cette finance basée sur les outils de la blockchain, fait son entrée dans les cursus des grandes écoles de management et des généralistes de la finance. Loin de l'odeur de souffre qui flotte au-dessus des récents scandales de la crypto, on étudie désormais ses mécanismes de marché dans les amphis.
Dans la finance décentralisée, le code est roi. Bâtie sur la blockchain, elle est régie par des programmes qu'on appelle des smart contracts. C'est pourquoi ce moteur de transformation de la finance est un repère d'ingénieurs et d'informaticiens, autant que d'entrepreneurs opportunistes et d'anciens du monde de la "vieille" finance. Mais tout comme la finance de marché, trustée par les mathématiques appliquées puis les data scientists, n'a pas été abandonnée par les grandes écoles de management, particulièrement réputées pour leurs cursus de finance, la finance décentralisée fait désormais l'objet d'enseignements dans ces vénérables institutions.
Tout récemment, l'Université de Paris-Dauphine, concurrente publique des grandes écoles, a lancé de son côté une formation certifiante en finance décentralisée pour des étudiants en formation initiale et continue, destinée à "donner les clés de la compréhension de ces nouvelles activités en mêlant apports théoriques et mises en pratique", en partenariat avec l'Institut Louis Bachelier. Elle arrive après Polytechnique, qui avait déjà son programme certifiant en DeFi, mais seulement pour les professionnels (analyste financier, trader, gestionnaire d'actifs, développeur…) en formation continue.
Impossible de "faire l'impasse" sur la DeFi
"Une école de commerce ne peut pas faire l'impasse sur la finance 3.0 aujourd'hui, même si ce ne sont que des cours électifs", estime Laurence Daures, enseignante-chercheuse au département finance de l'Essec. La professeure de finance, qui observe que 30% de ses étudiants ont déjà investi dans les cryptos, donne des cours portant sur la blockchain et les cryptomonnaies depuis 2016 au sein des parcours grande école, master in finance et dans le master Essec-Centrale.
A HEC aussi, des modules de finance décentralisée se retrouvent dans les masters in finance, data science for business, ainsi qu'en formation continue.
Un potentiel à transformer
Avec les cryptomonnaies, la finance décentralisée constitue l'un des principaux cas d'usage de la blockchain. Depuis 2020, le développement du secteur a fortement accéléré, pour atteindre une valeur totale "verrouillée" dans les protocoles de 240 milliards en 2021, avant de retomber à 60 milliards du fait de la crise en 2022. Ses différentes applications – stablecoins, plateformes de trading décentralisées comme Uniswap, applications de prêt et d'emprunt telles que Aave et Compound, produits dérivés… - sont censées constituer une alternative à la finance traditionnelle, moins chère, sans intermédiaires et sans tiers de confiance.
Pour Laurence Daures, la finance décentralisée recèle "un grand potentiel de disruption". Elle se donne pour mission de faire comprendre à ses étudiants le fonctionnement, les avantages et les inconvénients de ces technologies et de ces mécanismes de marchés (CEX, DEX, automated market makers…), en veillant à ce qu'ils conservent un esprit critique. Quitte à les mettre en garde sur certains instruments financiers.
Une matière à la croisée de l'informatique et de l'économie
La prise de recul est plus compliquée lorsqu'une partie des cours est dispensée par des professionnels en activité, comme c'est le cas pour le certificat de Dauphine, qui travaille avec Atlendis, CrunchDAO et Doors3. Mais il est vrai qu'il est difficile de tenir à jour le savoir théorique et de l'articuler avec la pratique sans faire appel aux professionnels du "terrain", dans une industrie qui évolue si rapidement. "A ce jour, un master à part entière en DeFi pourrait manquer de contenu académique", juge d'ailleurs l'enseignante de l'Essec.
Le créateur du cursus de Paris Dauphine espère former 65 étudiants chaque année dans ses différents campus. Et les grandes écoles management vont continuer à développer leurs cursus, comme elles le font par ailleurs dans le domaine de la data et de l'intelligence artificielle.
Autant de contingents pour venir relever les "nombreux défis" de ce secteur de la finance décentralisée, qui à cette condition "a le potentiel de devenir à long terme une infrastructure de marché de référence", estime Jonathan Faye, directeur open innovation au sein de la banque Oddo BHF, cité dans une étude de l'Observatoire de la Fintech. Défis qui seront aussi relevés par le clan des informaticiens. L'Epita, par exemple, propose une mineure "Finance" dans le cadre de son diplôme d'ingénieur.