La fiscalité et le numérique : le cas de Google

Chaque semaine, les avocats Eric Caprioli, Pascal Agosti, Isabelle Cantero et Ilène Choukri se relaient pour décrypter les évolutions juridiques et judiciaires nées de la digitalisation. Aujourd'hui, Pascal Agosti revient sur le cas Google qui échappe au paiement en France d'un impôt de 1,1 milliard d'euros.

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La fiscalité et le numérique : le cas de Google

Google, un cas emblématique

S’il est un sujet à la fois consensuel (pour combattre les excès) et complexe, c’est bien la fiscalité de l’économie numérique. On l’a vu à de nombreuses reprises pour Google en France, en Italie ou ailleurs, les Etats cherchent constamment des moyens de ponctionner fiscalement les opérations effectuées sur le territoire national ou par des ressortissants français.

Mais tout cela est bien compliqué
Le montage fiscal des GAFAM est particulièrement complexe comme celui d’Amazon, d’Apple ou de Google et de son sandwich irlandais à la sauce hollandaise.

Pour ce dernier, au regard des pratiques connues de la fraude et de l'évasion fiscales internationales, ses techniques sont particulièrement nombreuses et brillamment combinées :

  • la domiciliation fiscale à l'étranger dans des pays ou territoires à fiscalité faible (comme l'Irlande) ou nulle (par exemple, les Bermudes) ;
  • la société écran (Google Netherlands BV en Europe), dont l'interposition a pour effet d'éviter toute retenue à la source sur les redevances versées à la société Google Ireland Holdings ;
  • la gestion des prix de transfert par le biais de la fixation du montant des redevances de marque intragroupe (entre la maison mère et l’Europe) ;
  • l'utilisation d'une société hybride avec la société Google Ireland Holdings, société tour à tour considérée comme irlandaise ou bermudienne ;
  • et le business structuring avec le statut de simple apporteur d'affaire des sociétés filiales européennes du groupe.

Les décisions du Tribunal administratif de Paris du 12 juillet 2017 : Google libérée, délivrée
En 2016, ce montage avait conduit l'administration fiscale française à infliger à Google un redressement d'un montant de plus d’un milliard d’euros fondé sur l'existence d'un établissement stable en France de la société Google Ireland Ltd pour l’ensemble de ses flux publicitaires français (pour une vision du marché publicitaire digital).

Le Tribunal administratif de Paris dans plusieurs décisions du 12 juillet 2017 a déchargé la Société Google Ireland Limited :

  • de la retenue à la source à laquelle elle était assujettie pour les exercices 2009 et 2010 ;
  • de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui a été assignée au titre de l’année 2010 ;
  • de la cotisation minimale de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 2009 ;
  • des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période correspondant aux années 2005 à 2010 ;
  • des cotisations d’impôt sur les sociétés, de contribution sur l’impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2005 à 2010.

Quelle argumentation ?
Le Tribunal a considéré que Google Irlande ne disposait pas d’un établissement stable au sens du droit fiscal : "pour l'application de ces stipulations, une personne résidente de France contrôlée par une société résidente d’Irlande ne peut constituer un établissement stable de cette dernière que si elle ne peut être considérée comme un agent indépendant de la société résidente d’Irlande et si elle exerce habituellement en France des pouvoirs lui permettant d'engager cette société dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant les activités propres de cette société".

Sauf que là, le juge a considéré à l’aune d’un contrat de prestations de services ("Marketing and Services Agreement") conclu entre la société américaine Google Inc., puis Google Ireland Ltd et la SARL Google France, "Une telle situation ne permet pas de regarder la SARL Google France comme juridiquement indépendante de la société Google Ireland Limited, nonobstant l’absence de liens capitalistiques directs entre les deux sociétés".

De plus, les activités de la SARL Google France objet du contrat en cause s’exercent exclusivement pour le compte de la société requérante. "La SARL Google France, à laquelle la société Google Ireland Limited a, au titre des années d’imposition en litige, remboursé l’intégralité de ses dépenses et versé en sus une marge de 8 %, n’a supporté, à raison même de ce mode de rémunération, aucun risque financier lié à son activité. Ainsi, la SARL Google France ne peut davantage être considérée comme économiquement indépendante de la société Google Ireland Limited".

Alors que faire ?
Le Ministre de l’Economie et des Finances a interjeté appel de cette décision mais la réponse se veut avant tout internationale comme par exemple l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) au niveau de l’OCDE faisant référence aux stratégies de planification fiscale exploitant les failles et les différences dans les règles fiscales, en vue de faire "disparaître" des bénéfices à des fins fiscales ou de les transférer dans des pays ou territoires où l’entreprise n’exerce guère d’activité réelle. Mais cette initiative résistera-t-elle au changement d’administration américaine ? La fiscalité des GAFAM risque de faire couler encore beaucoup d’encre…

Pascal AGOSTI, Avocat associé, Docteur en droit, Membre de JurisDefi

Les avis d'experts et points de vue sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction.

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