La France et 11 Etats membres européens injectent près de 7 milliards d'euros dans le cloud
La France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovénie, la République Tchèque annoncent leur intention de pré-notifier un PIIEC dédié au cloud à la Commission européenne. Près de 7 milliards d'euros sont sur la table avec plus de 60 projets impliquant 180 entreprises européennes. Le but : développer la prochaine génération de services et d'infrastructures cloud. Le chantier est titanesque car les acteurs européens du cloud sont très loin derrière les géants américains, Amazon en pôle position.
12 Etats membres de l'Union européenne, dont la France, unissent leurs forces pour développer la prochaine génération de services et d'infrastructures cloud. Ils ont publié le 7 février un manifeste commun pour annoncer leur volonté de pré-notifier à la Commission européenne un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) d'ici la fin mars 2022. Les premiers projets devraient être lancés au quatrième trimestre 2022.
L'annonce a été faite à l'occasion de la première journée de conférence, baptisée "Construire la souveraineté numérique de l'Europe", organisée par la France en tant que présidente du Conseil de l'Union européenne.
Une enveloppe de 7 milliards d'euros
Une enveloppe totale estimée à 7 milliards d'euros (co-financement public/privé) va être mise sur la table par la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Hongrie, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, la Slovénie et la République Tchèque. La France prévoit, de son côté, un investissement de 300 millions d'euros.
Pour rappel, un PIIEC est un mécanisme européen visant à promouvoir l'innovation dans les domaines industriels stratégiques et d'avenir au travers de projets européens transnationaux. Ce n'est pas un financement de l'Europe mais un groupe d'Etats qui notifie à Bruxelles son intention d'injecter collectivement des fonds dans un secteur stratégie, ici le cloud. Ce mécanisme est intéressant car il autorise les pouvoirs publics des Etats à financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d'aides d'Etat.
Créer de l'emploi, des champions...
Ce projet associera "des entreprises, des laboratoires et des académiques européens", détaille Cédric O, secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications électroniques, pour "créer de la valeur et de l'emploi dans l'Europe entière tout en soutenant l'émergence des champions technologiques français et européens du cloud". En pratique, plus de 60 projets impliquant 180 entreprises européennes seront financées par les 12 Etats participants. Le but : "créer un continuum de services du cloud à l'edge".
Ce nouveau PIIEC s'inscrit également dans une ambition européenne et fait avancer trois des six principales priorités stratégiques européennes, détaillent les Etats participants. Il s'agit du soutien à une nouvelle génération de technologies adaptées à l'ère numérique, la création d'un environnement d'investissement attractif et offrir à l'Europe une économie moderne et neutre vis-à-vis du climat. Il s'inscrit aussi pleinement dans la stratégie européenne des données. Le Governance Data Act ambitionne de créer un marché unique des données.
Un chantier collossal
"Cela va nous permettre d'avoir enfin un stockage de données qui soit véritablement souverain", a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, des finances et de la relance. Une ambition au cœur de la présidence française de l'Union européenne. Mais il ne faut pas se voiler la face : le chantier est colossal. Actuellement, les acteurs européens sont à la ramasse face aux entreprises américaines. Amazon (Amazon Web Services), Microsoft (Microsoft Azure) et Google (Google Cloud Plateform) captent à eux seuls 69% du marché européen, d'après une étude de Synergy Research Group publié en septembre 2021. Et leurs parts de marché continuent de croître grâce à des investissements colossaux. Près de 14 milliards d'euros ont ainsi été investis au cours des quatre derniers trimestres dans le but de mettre à niveau et étendre leur réseau régional de data centers hyperscale.
Parmi les acteurs européens, Deutsche Telekom fait la course en tête avec 2% des parts de marché. L'Allemand est suivi par des entreprises françaises comme OVHcloud et Orange, mais leurs parts de marché ont chuté entre le premier trimestre 2017 et le deuxième trimestre 2021.
Plus de Privacy Shield, et maintenant ?
L'invalidation du Privacy Shield par la Cour de justice de l'Union européenne a relancé le débat du cloud. Ce texte facilitait les transferts de données personnelles vers les Etats-Unis en reconnaissant que la législation américaine offre les garanties équivalentes à celles du Règlement général sur la protection des données (RGPD). C'est la faculté pour les autorités américaines de mettre la main sur les données des Européens en vertu du Cloud Act notamment qui a justifié cette invalidation.
Depuis cette décision, les régulateurs multiplient les annonces pour pousser les organismes publics et les entreprises à choisir des fournisseurs européens pour remplacer les services proposés par les entreprises américaines. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a ainsi recommandé de migrer vers des outils collaboratifs français à l'enseignement supérieur et de la recherche. Le directeur interministériel du numérique, Nadi Bou Hanna, a déclaré dans une circulaire publiée le 15 septembre 2021 que l'offre Microsoft 365 (anciennement Office 365) n'était pas conforme à la doctrine gouvernementale "Cloud au centre".
Or, pour répondre à ces appels, encore faut-il que le marché propose des solutions équivalentes qui répondent aux besoins des entreprises et des organismes publics. Il reste à savoir si cette enveloppe de 7 milliards d'euros suffira pour réussir ce challenge.
Des licences franco-américaines : un cheval de Troie ?
Le gouvernement français a prévu ce que l'on pourrait appeler une voie de secours. Les entreprises américaines pourront continuer à proposer leurs offres dans le cadre de licences accordées à des sociétés françaises. C'est ainsi que Google Cloud a signé un accord avec OVHcloud (dont on attend toujours des nouvelles), puis avec Thales en octobre 2021. Microsoft s'est quant à lui rapproché d'Orange et de Capgemini via une entité dédiée, baptisée "Bleu", dont la date de lancement n'est toujours pas connue à ce jour. Seul Amazon n'a pas encore annoncé de partenariat.
Ces entreprises promettent que leurs solutions hybrides auront le fameux label "SecNumCloud". A condition que les données soient véritablement hors de la portée des Etats-Unis, rappelle l'Anssi dans une nouvelle version de son référentiel publiée en septembre 2021. Elle contient des précisions sur "l’explicitation des critères d’immunité aux lois extracommunautaires". Sont notamment visées des "exigences techniques destinées à limiter l'accès à l'infrastructure technique du service par des tiers et les transferts non maîtrisés et d’exigences juridiques précises relatives au prestataire et à ses liens avec des tiers". En résumé : passé l'effet d'annonce, de vraies garanties devront être mises en place pour que ces solutions soient viables.
Pas de préférence européenne
Interrogé sur ce sujet par L'Usine Digitale, le secrétaire d'Etat Cédric O avait admis que la situation technico-juridique était particulièrement complexe. Il rappelait cependant qu'il n'existe pas de "préférence européenne" permettant d'obliger les entreprises à choisir des services proposés par des sociétés nationales plutôt que des géants américains. "Il revient aux grands groupes français de faire leur choix entre OVHcloud, Outscale ou de passer par une coentreprise de Microsoft, Capgemini et Orange. C’est leur décision", a indiqué le secrétaire d'Etat.
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