"La question du respect de la vie privée devrait davantage inquiéter le monde" estime l'écrivain Iain Levison

Ils savent tout de vous, tel est le titre du roman de Iain Levison qui vient de paraître aux éditions Liana Levi. Ils savent tout, mais que savons-nous d'eux ? Sont-ce les deux télépathes héros du roman ? Ou les services de police qui, à l'aide des outils qu'offre la technologie, les pistent pas à pas ? Qui de l'homme ou de la machine est le plus fort ? De passage à Paris pour la sortie mondiale de ce nouveau roman, Ian Levison a répondu à nos questions. Où il apparaît que l'auteur de comédie n'est pas technophobe et qu'il sait utiliser la technologie pour tisser des histoires hilarantes et originales. Chapeau l'artiste !

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Ian levison porte un regard amusé sur la façon dont les technologies nous transforment.

L’usine digitale : Comment est née l’idée de ce roman ?

Iain Levison : Je vivais à l’époque en Chine et quand j’allais sur Internet j'étais en permanence écouté, enregistré, suivi. A la longue, cela me gonflait sérieusement. J’ai donc eu envie d’écrire sur ce sujet, d’autant que mes amis ou certains lecteurs me demandaient d’écrire mon roman chinois. Alors même si l’action de Ils savent tout de vous se passe aux Etats-Unis, il est marqué par ma vie asiatique.

Dans votre roman, il y a deux super télépathes qui savent tout des pensées des gens qu’ils croisent. Comment vous est venue cette idée ?

J’avais l’impression qu’il existait une sorte d’entité télépathique qui savait tout de mes pensées, d’être fliqué en permanence. Je vivais à l’époque en Chine où la navigation sur Internet est quelque peu observée de près. C’est quelque chose de très quotidien que vous ressentez très vite. Si vous consultez un site interdit par les autorités, on vous coupe purement et simplement l’accès au web.

Peu à peu, j’ai eu la conviction que si j’avais ou que si vous aviez la possibilité de regarder les cent derniers sites consultés par une personne, vous en saviez plus sur elle qu’en discutant une heure. Je suis conscient que beaucoup de personnes pensent que tout cela n’est pas grave, qu’ils n’ont rien à cacher. Vivre en Chine m’a convaincu du contraire.

A partir de cette idée, j’ai construit une histoire où deux super télépathes qui n’auraient jamais dû se rencontrer se croisent et fuient. Même si l’histoire se déroule aux Etats-Unis, c’est mon roman chinois !

Justement la Chine n’est pas les Etats-Unis !

Bien sûr, je fais la différence entre vivre dans un état totalitaire et dans un pays supposé libre. Toutefois, vu le pouvoir de certaines entreprises, la question des données personnelles est très importante. Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée : un jour, dans un mail avec mon éditeur on parlait de Sebastian Rotella, un auteur américain qu'il venait de publier. Peu de temps après, je me suis ouvert un compte Amazon et le premier livre qu'on m'a recommandé était celui de Rotella. Un mot avait été traqué.

Ce qui est très réussi dans votre livre, c’est qu’on est tellement surpris par les pouvoirs des deux télépathes fuyards qu’on ne réalise pas les moyens dont disposent leurs poursuivants. Or, ce que montre votre roman c’est la puissance détenue par ceux qui ont les données.

Oui cela m’amusait d’imaginer ce qui se passerait si un jour un individu avait un tel pouvoir. Quelle serait alors la réaction du pouvoir en place ? Après cela m’amusait beaucoup d’imaginer cette poursuite, qui est absurde. Tout le monde court sans savoir vraiment pourquoi.

Depuis le début de l’entretien, nous parlons très sérieusement mais votre livre est très drôle. Avez-vous choisi la forme de la comédie pour être accessible à un plus large public ?

C’est comme ça que je vois le monde, il y a quelque chose d’absurde, qui m’amuse. Il y a des aspects très rigolos de cette dérive. Si le sujet est sombre, je ne suis pas aussi sérieux que ça, même si je pense que la question du respect de la vie privée devrait davantage inquiéter le monde. Nous avons tous besoin d’une vie privée, d’un quant-à-soi. C’est de là que viennent les idées, la création. Si cela venait à disparaître, les élites économiques et sociales pourraient contrôler les idées. En attendant que cela arrive, mieux vaut en rire.

Un des deux personnages évoque le cinéaste Franck Capra, un brave américain, le type réglo. C’est un policier qui fait bien son boulot dans l’intérêt de tous. Quand il commence à devenir télépathe, il découvre avec effroi l’horreur d’entendre les pensées des autres, parce qu’elles sont souvent très ennuyeuses. Pensez-vous que le silence est le privilège ultime ?

Oui, mais j’ai l’impression d’être un peu le seul, ou, du moins, que peu de monde a envie de silence. Tout le monde autour de moi vit dans une frénésie, en étant hyper connecté, à chercher du Wi-Fi dès qu’ils s’assoient quelque part.


Un de mes plus grands plaisirs quand j’avais 20 ans était de prendre le train, de m’assoir à une fenêtre et de regarder le paysage en rêvant. J’étais content d’être là. Aujourd’hui, quand je monte dans un train, tout le monde regarde sa tablette, l’écran de son téléphone. Je ne dis pas que c’est bien ou c’est mal. C’est comme ça.

Vous n’aimez pas Internet ? En France, l’écrivain Antoine Bello vient de donner un an de droit d’auteur à Wikipedia. Qu’en pensez-vous ?

Wikipedia a une présence très positive que je soutiens. Le fait qu’ils aient régulièrement besoin d’argent prouve que ce sont d’honnêtes gens. Au départ, Google aussi a été très positif, mais ils ont commencé à collecter les données personnelles ce qui pose un vrai problème.

Pourtant, j’aime bien Google et je vais vous raconter un secret sur la façon dont j’ai écrit ce livre. Toutes les descriptions que vous y trouvez proviennent de ce que j’ai vu dans Google earth, puisqu’au moment de l’écriture j’étais en Chine. Quand un des personnages s’échappe du bureau des Nations unies, c’est en surfant sur Google earth que j’ai vu un van et un taxi et cela m’a donné l’idée de la scène que j’ai ensuite écrite (p 77). Alors, oui j’adore Internet, mais je reste prudent.

Ils savent tout de vous : une comédie sur un sujet grave.
Un brave type comme vous et moi, à ceci près que c’est un policier américain plus vrai que nature se découvre un jour un super pouvoir : il entend ce que les gens autour de lui pensent. Comme c’est un brave gars comme on en voit dans les films de Capra ou de Spielberg, il est bien embêté, parce que ce n’est pas très honnête de pirater les pensées des autres. A quelques milliers de kilomètres de là dans le couloir de la mort, une mystérieuse femme investi de pouvoirs qui laissent supposer une proximité avec les services secrets des USA fait libérer un condamné à mort qui lui aussi lit les pensées comme d’autres un tabloïd le matin au petit déjeuner. But : l’emmener au siège des Nations-Unies pour aider le gouvernement dans une négociation délicate. Etape suivante : le cimetière pour le criminel.

Sauf que tout déraille et que le flic bien sous tous rapports se retrouve à cavaler après le criminel échapper, l’un pouvant savoir ce que pense l’autre. A partir de cette situation hors norme, le talentueux Ian Levison (né en Ecosse mais résidant aux Etats-Unis depuis qu’il a 8 ans) raconte une hilarante course poursuite entre les mégatélépathes d’un côté et les forces de sécurité aidées par tous les outils modernes, à commencer par les outils de géolocalisation. Qui de l’homme augmenté (on ne dira pas comment ces deux-là sont devenus de super télépathes) ou de la police high tech gagnera in fine ?

Ian Levison réussit à être drôle en abordant un sujet plus que grave : l’avenir de la vie privée à l’heure de l’hyperconnexion. Ainsi, alors qu’on pourrait imaginer que connaître les pensées de l’autre est un super moyen de bien draguer, il redonne dans une scène désopilante toute sa place à l’Humanité dans ce qu’elle a de plus irréductible : le bafouillage, la maladresse, le manque d’assurance.

Empruntant aussi bien à la comédie de poursuite qu’au film d’action (certaines sont écrites comme des scènes de films d’action comme l’évasion dans un ascenseur ou la poursuite finale) le roman de Ian Levison en possède la qualité essentielle : un sens du rythme aussi imparable qu’un rock chanté par Elvis. On ne s’ennuie jamais, on tourne les pages, on suit les uns et les autres, en finissant par ne plus savoir qui est coupable et qui est innocent. Qu’importe après tout ! Les super héros ne sont pas tant ceux qui ont des super pouvoirs que ceux qui finalement ont une âme pure. Chez Levison, le cynisme n’a pas de place. L’idéalisme made in USA ne cède rien à une forme de bons sentiments niais.

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