Le big data est aussi (et d'abord ?) une question philosophique
Le numéro de septembre de Philosophie magazine pose la question de la prédictibilité des actions humaines à l'heure des algorithmes, du big data et des cookies.
Un numéro à la fois critique et informé, où l'on découvre que les Gafa sont aussi des "automates spirituels".
Le numéro de septembre du toujours pertinent Philosophie magazine s’interroge sur la question du déterminisme (et donc de la place laissée à la liberté) à l’heure des données reines. Titré "Sommes-nous prévisibles ?", le magazine propose un dossier très complet, convoquant les philosophes d’hier et d’aujourd’hui pour éclairer le monde qui vient. On découvre ainsi que Leibniz offre un éclairage pertinent sur notre monde prédictible en opposant le principe de contradiction et le principe de raison suffisante, que les promotteurs du big data confondent souvent.
Le premier est celui qui est à la base des sciences, c’est, par exemple, rappelle Alexandre Lacroix, la loi selon laquelle la somme des angles d’un triangle est de 180°. Selon le principe de raison suffisante, "il existe une raison pour laquelle une chose est telle qu’elle est, et non autrement : il y a une raison pour laquelle Untel est devenu ingénieur professeur ou viticulteur", poursuit le directeur de la rédaction, mais nous ne pouvons pas élucider cette cause. Seul Dieu le pourrait prévient Leibniz. Or, pour ne prendre qu’un exemple, tous les promoteurs du big data appliqué au recrutement promettent de pouvoir trouver les bonnes variables pour trouver le bon employé. Du côté démiurgique du projet scientifique. Aussi, pour qualifier le projet des algortihtmes des GAFA, Alexandre Lacroix invente la jolie expression d’ "automates spirituels".
Le cookie, ce paranoïaque impassible
Le dossier très riche comprend aussi une interview d’Ethan Zuckerman, l’inventeur de la pop-up publicitaire qui explique pourquoi il le regrette et condamne les cookies tiers. Sur cette question, le philosophe Maurizio Ferrais propose une stimulante ontologie du cookie : "comme un paranoïaque impassible, le Cookie étend son règne sur tout. Il tend un miroir sur votre vie."
Mais le dossier ne se limite pas à un constat et propose dans une seconde partie un manuel de survie dans les sociétés de contrôle, proposant cinq stratégies allant de la révolte technophile au contrôle de soi, mais aussi un dialogue entre la philosophe Chantal Jacquet et Magyd Cherfi, co-fondateur du groupe Zebda et auteur de "Ma part de Gaulois" aux éditions Actes Sud. Les deux s’interrogent sur le degré de liberté de nos vies, sur la part de déterminisme qui régit nos vies. "Pour tout individu, être soi-même, c’est assumer le décalage avec tout ce qui l’assigne à résidence au départ mais qui demeure lié, non par une chaîne mais pas un élastique", explique la philosophe. Les algorithmes peuvent-ils anticiper jusqu’où tirer sur l’élastique sans le rompre ?
Philosophie magazine n°102 septembre 2016 (5,90 euros, en vente chez les marchands de journaux). Pour commander d'anciens numéros c'est ici.
A lire sur un sujet voisin en ligne (pour les abonnés) ou en kiosque dans Le Monde daté du 17 septembre Sur Internet l’invisible propagande des algorithmes, un article où l’impact de la question de la recommandation sur le débat intellectuel et la façon dont se forgent les convictions est finement analysé.
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