"Le bore-out produit une souffrance incroyable", estime l'économiste Christian Bourion

Professeur à l'ICN business school Nancy Metz, Christian Bourion vient de publier Le bore-out system aux éditions Albin Michel. Par cet anglicisme il désigne toutes les situations où une personne s'ennuie sur son lieu de travail par manque d'activité. Dans ce livre comportant de nombreux témoignages éloquents, l'auteur analyse les causes, décortique les effets et s'inquiète des conséquences à moyen terme de ce phénoùène relativement peu connu. Il a répondu à nos questions. L'ennui est destructeur, assure-t-il, et c'est d'autant plus inquiétant que le phénomène est appelé à se dévélopper si rien ne change. 

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L’usine digitale : Comment est né ce livre sur le bore-out syndrom, que l’on peut résumer comme étant l’ennui au travail ?

Christian Bourion : C’est la sérendipité qui est à l’origine de tout. Comme d’autres, je travaillais sur le burn-out. Pour cela, j’utilise des bases de données sur mon ordinateur. Et puis un jour, j’ai trouvé des verbatims de gens qui disaient souffrir de n’avoir rien à faire. Leur problème n’était pas, comme je m’y attendais, d’avoir trop de travail mais pas assez voire pas du tout. Une faute de frappe m’a conduit à la notion de bore-out. Dans la base documentaire que j’utilise, il n’y avait alors que 7 références, toutes en Allemagne. C’était il y a cinq ans environ. Aujourd’hui, sur ce même terme, il y en a 100 000.

Le sujet prend vraiment de l’importance. Je le vois bien avec l’intérêt de vos confrères pour ce livre. Je reçois de nombreux appels, des demandes d’interviews. Pour moi, ce problème va ronger peu à peu la société.

Comment l’expliquez-vous ?

Les gens se représentent la situation actuelle avec d’un côté des gens qui n’ont pas d’emploi, qui sont au chômage et de l’autre des chômeurs. Or la réalité que j’ai peu à peu découverte est tout autre. On peut être au chômage et faire un burn-out, parce qu’on travaille d’une façon ou d’une autre. A l’inverse, environ un tiers de la population s’ennuie au travail parce qu’elle n’a pas assez à faire. Ce chiffre est corroboré par plusieurs études européennes. En outre, on considère que de nombreuses personnes travaillent deux heures par jour, même si elles sont présentes bien plus longtemps.

Comment définiriez-vous précisément le bore-out ?

C’est l’émergence d’un panel de souffrances différentes liées à l’absorption d’inactivités, qu’il faut supporter. Autrement dit, ne rien faire mobilise des ressources.

Mais n’y a-t-il pas des professions où c’est la norme, que l’on pense au policier en faction qui surveille ou au commerçant qui attend le client ?

Le degré d’inactivité attendue varie beaucoup d’un métier à l’autre, selon les secteurs… Observez ce qui se passe actuellement dans la police. Il y a une plainte qui monte des organisations syndicales en raison des opérations de surveillance qui durent dans le contexte actuel. Rester à observer sans rien faire en fait souffrir plus d’un. D’ailleurs, dès qu’il y a de l’action, ils se sentent libérés, leur souffrance tombe. De tels métiers vont se développer dans les années qui viennent, autant l’anticiper.

Et dans les autres métiers, qu’est ce qui explique cette montée de l’ennuie, voire du bore-out ?

Avec l’informatique, le numérique, des secteurs entiers sont en train de se transformer. Avant, si j’envoyai un courrier, il me fallait au mieux trois ou quatre jours avant d’obtenir une réponse. Aujourd’hui, vous pouvez l’avoir en moins de dix minutes. C’est une formidable contraction du temps. Dans mon cas, cette réduction du temps nécessaire, je peux l’utiliser pour faire plus d’études. Mais dans d’autres métiers, les gens n’ont pas le choix. J’étais invité sur RTL il y a quelques jours. Un auditeur témoignait qu’il avait fait en deux jours le travail que son n+1 lui donnait pour la semaine. Quand je lui ai demandé ce qu’en pensait ce dernier, l’auditeur a répondu que pour le n+1 ce qui comptait c’était que le travail soit fait. Ce genre de situation provoque une souffrance incroyable.

Pourtant, les entreprises optimisent leur gestion. Comment expliquez-vous alors cette situation où des dirigeants sous la pression des marchés acceptent de ne payer des gens qui ne travailleraient qu’un tiers de leur temps ?

Je ne me l’explique pas vraiment. Mon hypothèse est que les dirigeants ne le savent pas forcément. Dans certaines situations que nous avons observé, les salariés n’identifient pas le problème, ils ne sont pas bien, ils souffrent, mais ils ne savent pas de quoi. Pourquoi leur direction le saurait mieux qu’elles ?

En outre, on a verrouillé le marché du travail en multipliant les protections, pour qu’il soit plus difficile de se séparer d’un salarié. Mais quand on ferme une porte, on empêche la sortie et l’entrée. Celui qui s’ennuie peut hésiter à partir car il n’est pas sûr de retrouver ailleurs.

Dans votre livre vous mettez en accusation le droit du travail.

Le droit du travail est légitime, il est là pour protéger et c’est très bien. On oublie juste qu’il a été construit pendant les trente glorieuses. Il est inadapté dans les trente piteuses qui ont suivi, où le volume d’activités décroît. Nous connaissons tous des cas où un employeur préfère embaucher une deuxième personne plutôt que de se séparer d’une personne qui ne convient plus.

Réformer le droit du travail serait donc suffisant ?

Cela améliorerait certaines situations. Globalement, je suis persuadé qu’une transformation du droit du travail favoriserait l’émergence de nouveaux secteurs économiques, tandis que d’autres disparaîtront. Pour ces derniers ce n’est pas simple, et il faut bien gérer cet entre-deux. Nous allons vers une transformation importante. Dans quelques années, la personne qui aura un burn-out sera exceptionnelle.

Il va falloir apprendre à vivre avec le bore-out. C’est beaucoup plus grave. Si vous me permettrez une image approximative : le burn-out c’est comme une indigestion quand le bore out s’apparente à une famine. Quand le bore out dure, il est terriblement destructeur. Car ce n’est pas la personne qui fait le travail, mais le travail qui fait la personne. Quand le travail disparaît, les gens perdent beaucoup plus qu’un revenu et un moyen de s’occuper.

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