"Le fab lab est un outil pour faire bouger le management" explique Fabien Eychenne, spécialiste de l’innovation
Chef de projet à la FING (fondation Internet nouvelle génération), Fabien Eychenne est l’auteur de Fab Lab, "l’avant-garde de la nouvelle révolution industrielle" aux Editions Fyp. Il nous explique en quoi ces nouveaux modes de fabrication inventent aussi le management de demain. D’ores et déjà, de grandes entreprises industrielles s’en inspirent.
L’Usine Nouvelle - Pensez-vous que les fab labs soient l’usine nouvelle du futur ?
Fabien Eychenne - Je ne le pense pas. C’est un endroit où l’on peut faire un prototype. De là à devenir de véritables usines, en l’état actuel, je n’y crois pas. Pour cela, il faudrait un perfectionnement des machines. De plus, ces lieux de sont pas pensés pour de la production de masse. Il y a des expériences intéressantes comme Fab City à Barcelone, qui veut encourager la production locale, mais attendons de voir.
Qu’est-ce qui caractérise un fab lab aujourd’hui ?
L’ouverture avant tout. C’est un lieu ouvert. On y retrouve une partie de l’esprit du Net, avec de faibles barrières à l’innovation. Ensuite, ce qui compte c’est la communauté. Initialement, les gens étaient intéressés par les machines en libre-service pour ainsi dire. Peu à peu, les possibilités de rencontre et d’échange sont devenues essentielles.
Est-ce que ces caractéristiques ont des conséquences managériales ?
Tout d’abord, le mot fab lab recouvre des réalités différentes d’un endroit à l’autre. Généralement, ce sont des modes de travail inspirés d’Internet qui se développent : pratiques horizontales, travail entre pairs, fin du travail en silo. Le but est de favoriser toutes les formes de collaboration au sein d’un projet, mais aussi entre les projets.
Une autre singularité porte le nom américain de "Do-ocratie", du verbe to do (faire). Dans un fab lab, celui qui veut s’emparer d’une tâche peut le faire. Il n’y a pas de chasses réservées, de services. Si quelqu’un veut voir les choses changer, il le fait. C’est quelque chose qui vient du web, du monde de l’open source. Récemment je suivais une discussion sur un forum. A une personne qui disait "ce serait bien de faire ça, je vais m’en occuper", une autre a répondu que ce n’était pas l’urgence du moment. A ce moment-là, les autres contributeurs sont montés au créneau pour demander qu’on laisse faire celui qui s’est porté volontaire. C’est vraiment quelque chose de très important dans cette culture.
Y’a-t-il de la place pour des managers dans ces configurations ?
Pas au sens où il serait celui qui décide pour les autres. Historiquement, si je peux employer ce mot pour décrire un mouvement aussi jeune, les fab managers étaient ceux qui avaient les compétences pour faire fonctionner les machines présentes. Peu à peu, leur rôle s’est enrichi, développé. Ils sont devenus des sortes d’accompagnateurs de projets, de facilitateurs. Ceci étant, l’absence d’un manager ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles. Dans un fab lab au Pays-Bas, le prix d’accès est très bas. En revanche, il est demandé à chacun qu’il transmette ensuite gratuitement les compétences qu’il y a acquises.
A vous écouter, on a l’impression que c’est une sorte de monde idyllique. Il n’y a vraiment aucun problème ?
Comme dans toutes les entités sociales, il peut y avoir des tensions entre les personnes évidemment. Plus globalement, on n’a pas encore assez de recul. En France, le premier fab lab a 3 ans à peine. Il est trop tôt pour tirer des conclusions sur leur mode de fonctionnement. Les premiers travaux de recherche en management viennent de commencer. Ils étudient notamment leur contribution dans le processus d’innovations.
Qui va dans les fab labs ? Y trouve-t-on aussi des cadres de R&D ?
Oui, dans certains cas, leurs entreprises les poussent à le faire. Je pense à une très grosse entreprise qui possède pourtant des machines très puissantes pour faire des prototypes . Les process ne sont plus agiles. Au fab lab, les cadres apprennent d’autres façons de travailler. C’est la démarche de Ford à Detroit qui a souhaité que ses techniciens et ingénieurs rejoignent les techshops. L’entreprise souhaite ainsi que ces cadres se frottent à des personnes qui innovent autrement. Elles espèrent bien sûr bénéficier de ces nouvelles méthodes. Pour ces grosses entreprises industrielles, le fab lab est un moyen d’ouvrir, de sortir des process. Le directeur de l’innovation d’Airbus résumait cela d’une formule efficace : aujourd’hui on travaille sur les machines du XXIe siècle avec un management qui date au mieux des années 60.
Justement, que font les entreprises françaises dans ce domaine ?
Elles prennent conscience que les jeunes ingénieurs ne peuvent plus travailler comme ceux d’avant. Elles ont déjà connu ça, quand sont arrivées les jeunes générations habituées à travailler sur le net, de façon horizontale. Elles ont dû changer les systèmes d’information hyper verticaux. La même chose est en train de se produire dans la production. Le temps où un ingénieur électromécanicien passait sa vie ou presque à améliorer le fonctionnement d’un sous sous-système est révolu. Pour les attirer, puis pour les garder les entreprises savent qu’elles vont devoir s’ouvrir. Ce que les fab labs leur apprennent c’est qu’ils sont un outil pour faire bouger les modes de management et développer la transdisciplinarité.
Ainsi Renault a aujourd’hui un projet de fab lab interne. S’il n’est pas encore ouvert sur l’extérieur, il casse les silos. Le juriste passionné de voitures peut venir proposer des idées et s’il a envie de développer quelque chose, personne ne lui interdit en théorie. La logique à l’œuvre est de développer des pratiques multi-métiers. A terme, ils n’excluent pas de les ouvrir à des fournisseurs ou pourquoi pas à des utilisateurs experts. Aujourd’hui, on est encore au tout début d’une évolution qui pourrait bien être in fine une révolution.
Propos recueillis par Christophe Bys
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