"Le management ne peut pas se contenter de mettre une couche de numérique sur l'existant", estime Martine Le Boulaire d'Entreprise et Personnel

Chaque année, en janvier, Entreprise et personnel organise une université d'hiver. Pour l'édition 2016, le thème retenu est celui des adaptations nécessaires du management à l'aire et à l'ère numérique. Pour Martine Le Boulaire, directrice de projet, le numérique appelle de nouveaux modes d'organisation du travail, pour retrouver le plaisir de faire ensemble. Selon elle, il révèle les impasses d'un management qui s'est trop concentré sur les performances individuelles. 

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L'usine digitale : Pourquoi consacrer votre université d'hiver au thème du management dans l'aire et à l'ère digitale ?

Martine Le Boulaire : le sujet du numérique intéresse ou préoccupe, c'est selon, un nombre croissant d'entreprises, notamment parmi nos adhérents. Il était donc temps que nous organisions une journée de réflexion sur le sujet.

Nous sommes partis du constat qu'on avait jusqu'à présent beaucoup abordé la question par le prisme des outils, mais que l'on n'avait pas encore regardé en profondeur les impacts sur le management. Les salariés ont et auront de plus en plus accès à l'information, à la connaissance. Le vieux modèle de management qui reposait sur l'idée que le manager est celui qui sait devra s'amender fortement. Le manager de proximité aujourd'hui doit aussi faire face à une grande incertitude, sur l'environnement mais aussi sur la stratégie de son employeur. Donner du sens comme on lui demande à longueur de colloques et de réunions est loin d'être simple dans ces conditions.

Pour le dire autrement, il ne sera pas possible de se contenter de mettre une couche de numérique sur l'existant. Il va falloir revoir nos modes de fonctionnement en profondeur.

Quels peuvent être les changements ?

Le manager va devoir changer de posture. La question qui va se poser est de savoir comment on fait travailler les gens ensemble. Je vois encore trop d'entreprises qui mettent en place des outils sans trop savoir ce qu'elles vont en faire. Il faut reprendre la réflexion à partir de la nécessité de trouver de nouvelles façons de diriger.

Cela sera loin d'être facile, car parfois les entreprises ont des discours paradoxaux. D'un côté, elles veulent davantage d'organisations plates, de salariés qui prennent des initiatives. De l'autre, comme l'a très bien décrit François Dupuy, on n'est jamais allé aussi loin dans les reporting de toute sorte, dans des process qui encadrent le travail. Les salariés évoluent dans un univers où bureaucratie et exigence d'autonomie co existent.

Les nouveaux outils ne peuvent-ils pas favoriser le dépassement dialectique de cette contradiction, en automatisant les tâches bureaucratiques par exemple ?

Ils sont profondément ambigus. D'un côté, ils donnent des marges de manœuvre, je pense notamment à tout ce qui concerne le travail en réseau, le travail collaboratif. Mais d'un autre côté, il y a un vrai risque de "big brother", avec une surveillance des salariés comme on en a jamais vu. Si on va dans cette seconde voie, il n'est pas évident qu'ils se décident d'aller vers plus d'autonomie.

Une chose me frappe, qu'à très bien dite Michel Lallement, l'auteur de L'âge du faire, que nous avons invité à cette journée d'étude : nous devons nous souvenir que toutes ces technologies n'ont pas été inventées par des technologues. Il y a une histoire qui puise ses sources dans la contre-culture californienne des années 60. A l'origine, on trouve des gens qui voulaient d’abord se libérer de l'emprise du capitalisme et de la rhétorique de la performance. Ces technologies ont ensuite été récupérées par l'armée des Etats-Unis puis par des entrepreneurs de la Silicon Valley et sont présentes aujourd'hui dans le mouvement des hackerspaces et des fablab. Mais il ne faut pas oublier d'où tout cela vient.

Or, aujourd'hui, nous constatons dans nos entreprises que les salariés ne veulent pas des outils numériques parce qu'ils aimeraient Internet. Non, ce qu'ils veulent, c'est utiliser le numérique pour retrouver le plaisir de faire. Et nombreux sont ceux qui veulent retrouver le plaisir de faire ensemble. Cette dimension sociale que l'on avait oubliée revient en force. C'est une évolution majeure dans l'évolution du travail.

Le numérique c'est donc surtout un changement de culture, qui consiste finalement à remettre du plaisir collectif dans le travail ?

Non je ne le crois pas. Il faut un changement de posture comme je vous le disais au début de l'entretien. Les entreprises ne s'en sortiront pas en disant "on change de culture". Le travail de réflexion et de rénovation doit être plus profond. Le digital change et changera encore le travail. Ajoutez à cela l'évolution des attentes des jeunes.

Ne craignons pas le numérique mais utilisons le comme un formidable levier pour réinventer le travail et le management. Il est le révélateur que les vieux outils de management ne sont plus opérants.

Que faire alors ?

J'ai parfois l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, mais je crois qu'il faut revenir à de vieilles recettes. Je suis parfois surpris de lire ou d'entendre de "vieilles solutions" être présentées comme la pointe de l'innovation. Je pense au droit à l'erreur, à l'expérimentation, qui sont de bonnes idées qu'on avait fini par oublier. L'adaptation passera aussi par le décloisonnement des entreprises organisées en unités qui ne communiquent pas entre-elles, les fameux silos.

Fondamentalement il faut revenir à un management proche des gens, qui travaille autant voire plus la performance collective plutôt que la performance individuelle. Ce n'est pas révolutionnaire, plutôt un retour aux basiques.

Par exemple, une entreprise automobile, qui est intervenue à notre université d'hiver, a constaté que la sélection des managers fondée sur leurs qualités de leadership ne suffisait plus. Ils ne sont pas les seuls. On réalise que pour être manager de proximité c'était bien de connaître le travail des opérateurs de terrain, qu'un bon manager doit être capable de remplacer un salarié quand il est absent. Sinon le risque est qu'ils ne sont ni crédibles ni légitimes pour évaluer leurs équipes. C'est un retour de balancier assez classique.

Le programme complet peut être consulté ici

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