Le sauvetage d’Alcatel-Lucent passe-t-il par la préférence nationale ?
Arnaud Montebourg en appelle à la solidarité nationale des opérateurs pour sauver Alcatel-Lucent et réduire l’impact de son plan social. Une requête à double tranchant.
Emmanuelle Delsol
Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg en tête de pont, escorté par le Premier ministre et le président de la République en personnes, exhortent Alcatel-Lucent à réduire l’impact social de son plan Shift en France. Sur les 10 000 emplois menacés dans le monde, 900 le sont en France. Un lourd tribut à payer pour les salariés. Mais pour aider Alcatel-Lucent, Arnaud Montebourg en appelle aussi à la "solidarité nationale" des opérateurs télécoms français, qui devraient donc préférer leur compatriote aux autres équipementiers.
Attention au retour de bâton en Europe et en Chine
De quoi, pour commencer, s’exposer à un nouveau rappel à l’ordre européen sur le respect de la libre concurrence. Mais pas seulement. Les chinois, Huawei en tête, ne sont pas les seuls à marcher sur les plates-bandes d’Alcatel-Lucent. Le français se retrouve souvent face au numéro un mondial suédois, Ericsson, et au finlandais Nokia (ex NSN). Quid alors, du patriotisme télécoms européen ?
Par ailleurs, fin septembre, China Mobile, l’opérateur télécoms chinois qui est aussi le premier dans le monde, a accordé à Alcatel-Lucent 13% du contrat d’équipement de son futur réseau 4G. Et une part équivalente aux deux autres équipementiers européens cités plus haut. Un contrat dont on dit depuis le début de l’été qu’il serait le résultat de négociations entre l’Empire du Milieu et la vieille Europe - sans que cela soit vérifié -. La Chine accorderait quelques centaines de millions de dollars de ses déploiements 4G aux équipementiers européens contre un peu de tranquillité pour ses propres acteurs - Huawei, en premier lieu - sur les marchés européens. Le chiffre d'affaires d’Alcatel-Lucent en Chine dépassait d’ailleurs déjà un milliard d’euros l’an dernier.
Une requête lourde pour les opérateurs français
Autre problème. C’est à des opérateurs télécoms français déjà sous pression qu’Arnaud Montebourg demande de donner un coup de pouce à Alcatel-Lucent. Pour leurs réseaux 4G, ils ont effectivement opté pour la concurrence européenne, pas forcément chinoise. Pas uniquement pour des questions de prix bas comme le sous-entend Arnaud Montebourg, mais parce qu’Alcatel-Lucent ne proposait pas les stations de base compatibles 2G, 3G et 4G, qui leur permettent d’assurer une migration souple de leurs réseaux. Non seulement, la préférence nationale ne sauverait sans doute pas à elle-seule Alcatel-Lucent, mais elle pourrait aussi menacer l’équilibre fragile de l’écosystème télécoms français global, opérateurs en tête.
Le vrai défi : le reclassement !
Reste le coup de massue qui s’est abattu, mardi 8 octobre, sur la tête des salariés d’Alcatel-Lucent. A l’occasion des manifestations de l’an dernier contre le plan précédent, les ingénieurs télécoms d’Alcatel-Lucent, souvent seniors, anticipaient de grandes difficultés à se reconvertir et à retrouver un poste.
Depuis un an, qui plus est, la situation de l’emploi dans le secteur a plutôt empiré. " Il faut surtout ne pas interdire aux entreprises de s'adapter à la mondialisation, " a exhorté Pierre Gattaz, président du Medef, ce 9 octobre, sur i-Télé, avant d’ajouter " il faut faire en sorte que les salariés d'Alcatel-Lucent retrouvent du travail ". Une incantation qui a sans doute fait sourire amèrement les salariés de l’équipementier télécoms. Les syndicats avaient jusque-là soutenu le nouveau DG Michel Combes dont le plan stratégique les avaient séduits par son ambition industrielle. Mais les conséquences sociales sont imposantes.
Et pour anticiper la demande du gouvernement qui exige des négociations, l’entreprise a déjà engagé avec eux des discussions qui continueront dans les jours à venir. Elle a aussi planifié pour sa filiale française, conformément à la loi de sécurisation de l’emploi, une série de conférences sociales qui débuteront le 23 octobre. Il faudra donc attendre au moins la fin de l’année pour connaitre le véritable bilan social du plan Shift. Gageons que face aux enjeux concrets, la préférence nationale y prendra peu de place.
Emmanuelle Delsol
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