Le statut des lanceurs d’alertes dans la Loi Sapin II

Informatique, cybersécurité, protection des données, respect de la vie privée... Chaque lundi, les avocats Eric Caprioli, Pascal Agosti, Isabelle Cantero et Ilène Choukri se relaient pour décrypter les évolutions juridiques et judiciaires nées de la digitalisation. Cette semaine, Eric Caprioli fait le point sur les lanceurs d'alerte et leur statut juridique.

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Le statut des lanceurs d’alertes dans la Loi Sapin II

Le lanceur d’alerte s’inscrit dans la cadre de la lutte contre la corruption et les pratiques illicites ; "c’est une personne qui, dans le contexte de sa relation de travail, signale un fait illégal, illicite et dangereux, touchant à l’intérêt général, aux personnes ou aux instances ayant le pouvoir d’y mettre fin (Transparency international)". Ces lanceurs d’alerte ne sont pas une nouveauté, notamment depuis la loi Sarbanes-Oxley pour les entreprises françaises cotées aux USA. Mais le système juridique français n’est pas en reste, il reconnaît également des protections des salariés en matière de signalement de faits de corruption, de risques graves pour la santé publique ou d’environnement ou de transparence dans la vie publique comme l’a magistralement étudié le Conseil d’Etat. S’agissant des lanceurs d’alerte de sécurité, la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a précisé le cadre légal de leurs actions.

Après les dernières affaires des scandales Luxleaks au Luxembourg et Panama Papers, le sujet méritait une attention particulière du législateur.

La loi Sapin II du 9 décembre 2016 consacre un chapitre 2, composé de 11 articles (6 à 16), à la définition et à la protection des lanceurs d’alerte en général et dans le secteur bancaire et financier (art. 16).

Définition du lanceur d’alerte

En vertu de l’article 6 de la loi : "Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance". Dès lors, seules les personnes physiques sont visées, les associations et les ONG sont exclues du statut. Concernant la bonne foi, elle implique que le lanceur d’alerte ne poursuive pas un but personnel et qu’il agisse dans l’intérêt général par ses révélations.

Dans la pratique, les critères à remplir posent un certain nombre de difficultés, du type : la personne qui signale a-t-elle elle-même découvert les faits ou peut-elle en avoir eu connaissance par l’entremise d’un tiers, ou bien est-elle elle-même être l’auteur des faits qu’elle signale ou encore en avoir eu connaissance par des moyens frauduleux ?
En revanche, sont exclus du nouveau régime : "Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client." Il en va de même du secret des affaires conformément à la directive 2016/943 du 8 juin 2016, comme l’indique le considérant 20 (sous réserve de sa transposition à venir en droit français).

Quel cadre juridique pour le signalement ?

Pour le signalement d’une alerte, l’article 8 prévoit un système par étape jusqu’à ce qu’il devienne public. Tout d’abord, l’alerte doit être portée à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. Si ce dernier ne fait pas les diligences nécessaires dans un délai raisonnable, le signalement "est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels". Dès lors que le signalement n’a pas été traité dans un délai de trois mois, il peut être rendu public. Dans l’hypothèse où il existerait un danger grave et imminent ou un risque de dommage irréversible, le lanceur d’alerte peut se dispenser de la première étape.

Les procédures ainsi mises en place garantissent la confidentialité de l’identité de l’auteur et des personnes visées par l’alerte. La divulgation des informations est réprimée par deux ans de prison et 30.000 euros d’amende.

Le lanceur d’alerte ne peut être tenu pénalement responsable de ses révélations dès lors qu’il a respecté les procédures définies à l’article 8 (art. 122-9 code pénal). De même, il ne pourra pas être sanctionné par des mesures disciplinaires, qu’il soit salarié ou fonctionnaire.

Mise en œuvre du nouveau dispositif

Les procédures de recueil du signalement pour de nombreuses entités visées seront précisées par un décret en Conseil d’état. Néanmoins, indépendamment de ce décret, la mise en place d’un dispositif d’alerte professionnelle reste soumis aux règles du droit du travail (information des salariés et consultation des instances représentatives du personnel). De plus, en termes de conformité, il est également important de rappeler que les dispositions de la loi informatique et libertés selon lesquelles les dispositif d’alerte concernant le signalement de problèmes relatifs aux domaines bancaire et financier, comptable, aux discrimination et harcèlement au travail, à la santé, l’hygiène et la sécurité au travail ainsi qu’à la protection de l’environnement, sont soumis à autorisation (Délibération n° 2014-042 du 30 janvier 2014 modifiant l’autorisation unique n°2005-305 du 8 décembre 2005 n°AU-004 relative aux traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre dans le cadre de dispositifs d’alerte professionnelle).

Si l’on peut constater que l’étau se resserre autour des auteurs de pratiques illicites, on pouvait craindre que les nouvelles dispositions ne soient interprétées comme une incitation à la délation. Il n’en est rien, étant donné que les signalements sont strictement encadrés et qu’ils feront sans aucun doute l’objet d’une jurisprudence nourrie. Tout arrive à point pour qui sait attendre (certes, un temps certain). Désormais, la loi marche avec les lanceurs d’alerte !

Eric A. Caprioli, Docteur en droit, Avocat à la Cour de Paris
Membre de la délégation française aux Nations Unies
Membre du Réseau JurisDéfi

Les avis d'experts et points de vue sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n’engagent en rien la rédaction.

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