"Les DRH travaillent trop encore avec une informatique à l'ancienne", estime Jean-Michel Caye du BCG
Avec l'association des élèves de Sciences Po, SciencesPo Alumni, le Boston consulting group (BCG) a réalisé un baromètre sur la digitalisation des fonctions RH.
Jean-Michel Caye, associé et manager du bureau parisien, commente pour L'Usine Digitale les principaux résultats.
Les directions des ressources humaines doivent réagir et vite pour anticiper et préparer les changements consécutifs à la numérisation des entreprises.
L’Usine Digitale : Dans le baromètre sur la digitalisation de la fonction RH que vous avez réalisé avec Science Po Alumni, vous identifiez des Digital Leaders. Qu’est-ce qui les caractérise ?
Jean-Michel Caye : Dans la plupart de nos travaux, nous observons les facteurs qui évoluent parallèlement à la performance économique, même s’il n’est pas évident de mettre en évidence un facteur de causalité. Ainsi émergent de bonnes pratiques.
Avec ce baromètre, nous voyons que les entreprises qui sont les plus avancées dans leur digitalisation sont aussi les plus profitables, les plus innovantes, les plus à mêmes d’attirer les talents. Ce dernier point constitue un défi majeur, d’autant que les talents sont extrêmement mobiles. Dans le monde digital qui vient, l’expérience client, l’expérience talent seront cruciaux. Les entreprises sont devenues des maisons de verre, au sein desquelles chacun sait ce qui se passe.
Il ressort de votre baromètre que les fonctions RH ont l’air prêtes pour le saut digital. Ne se surestiment-elles pas un peu ?
Les entreprises les plus performantes l’ont fait, mais les autres beaucoup moins. Comme vous le sous-entendez dans votre question, j’observe un décalage, un écart important entre ce que les DRH déclarent et ce que j’observe au quotidien. Moins de 10% des entreprises du CAC 40 ont fait le nécessaire en matière de RH.
L’exemple du secteur bancaire est pour moi très symptomatique. Demain, tous les rôles et responsabilités changeront. Pourtant, cette question émerge tout juste chez les RH des banques. Actuellement, les DRH tendent à demander aux personnes du business ce qui va changer, or ils doivent rapidement prendre conscience que c’est à eux de conduire la transition pour assumer cette transformation massive. Les DRH doivent accepter d’assumer un rôle beaucoup plus stratégique, d’être davantage visionnaires.
Ils ont pris conscience de l’urgence d’attirer les meilleurs a minima, non ?
La question des moyens pour attirer les meilleures compétences est capitale. Les entreprises doivent diversifier les profils et recruter dans des viviers qu’elles ne connaissent pas du tout ou, dans le meilleur des cas, très mal. Tout le monde veut son designer de l’expérience client, son web designer, sans parler des compétences techniques pointues. Les entreprises ont commencé à tisser des liens avec les universités, les écoles, les laboratoires de recherche. Mais elles n’ont pas réfléchi au package, aux carrières qu’elles allaient offrir à ces nouveaux profils.
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Pour conquérir et garder un avantage, il faudra savoir fidéliser les talents qu’on a attirés. Avoir réussi à recruter quelques personnes n’est que le début du processus. Parfois j’ai l’impression que certains DRH pensent avoir fait le job quand ils ont réussi à embaucher quelques spécialistes. Or, du côté de ces talents numériques, il y a peu de raisons à rester dans le monde de l’entreprise. Nombre d’entre eux ont bien compris que leur intérêt était de devenir freelance, d'être une relation contractuelle. Cela veut donc dire que pour les entreprises il va falloir savoir attirer et travailler dans la durée avec les meilleurs travailleurs indépendants. Ceux qui y parviennent ont bâti le meilleur écosystème. L’expert numérique va se demander si c’est valorisant de travailler pour telle entreprise, si c’est bon pour son CV, si c’est revendable ailleurs.
Le problème qui va se poser aux entreprises est d’autant plus grand que les DRH n’ont pas l’habitude de gérer les indépendants. Leur métier est de s’occuper des salariés, les freelances sont plutôt gérés par les opérationnels.
Selon votre baromètre, la moitié des DRH déclarent qu’ils utilisent la technologie pour renforcer leur influence dans l’entreprise. Qu’en pensez-vous ?
Là encore, je les trouve très optimistes. Les directions des ressources humaines travaillent encore trop souvent avec une informatique à l’ancienne. Pour ce qui est des Mooc, de la réalité augmentée, qui sont les prochaines frontières de l’entreprise, cela reste balbutiant. Or, grâce à ces méthodes, il va devenir possible de former de façon vivante et innovante des milliers de personnes pour un coût très très faible, une fois l’investissement initial consenti. C’est un chantier stratégique.
Même si les choses évoluent, les RH viennent souvent de filières de type affaires sociales. L’urgence n’est-elle pas aussi de renouveler les profils pour éviter que les RH dépendent des spécialistes du big data ou des systèmes d’information ?
Faire évoluer le casting est une urgence. Le DRH doit s’entourer de bonnes personnes avec l’importance prise par des questions comme l’architecture des systèmes d’information, l’analyse des données ou encore les modèles prédictifs. De nouveaux outils très puissants apparaissent, qui vont renouveler la façon dont on appréhende le climat social ou la gestion des compétences. Mais pour les maîtriser il faut posséder des connaissances en big data.
De même, pour réussir à designer des formations intéressantes en réalité augmentée, il va falloir faire appel à des spécialistes venus des sciences cognitives. Toutes ces évolutions vont exiger de plus en plus que les DRH aient une vision stratégique globale. Le DRH du futur sera aussi un bon CEO, il aura la même vision d’ensemble, la même compréhension de l’image générale.
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