Les États-Unis vont-ils vraiment donner un coup fatal à la neutralité du Net ?

On pourrait croire à un énième épisode de la saga politico-économique sur la neutralité du Net qui fait débat depuis bientôt deux décennies aux États-Unis. Mais au vu du dernier communiqué publié par l'autorité américaine de régulation des télécoms (FCC), la fin de la neutralité du Net est proche. Jusqu’à ce que les Démocrates reviennent à la Maison Blanche ?

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Les États-Unis vont-ils vraiment donner un coup fatal à la neutralité du Net ?
Ajit Pai, président de la FCC

“Restaurer la liberté d’Internet”. C’est le titre de l’ordonnance du 22 novembre 2017, dévoilée par la Federal Communications Commission (FCC), l’autorité américaine qui régule les télécoms. Et par "liberté", Ajit Pai, le président républicain de la FCC, entend surtout "dérégulation". À l’issue d’un vote planifié le 14 décembre prochain, le gendarme des télécoms devrait mettre fin à l’obligation faite aux fournisseurs d’accès de respecter la neutralité du Net, comme il l’a fait en mars dernier, pour la vie privée en ligne des Américains.

C’EST QUOI LA NEUTRALITÉ DU NET ?

La neutralité du Net (Net Neutrality) est un principe fondateur d’Internet. Il oblige les fournisseurs d’accès à internet (FAI) à traiter les données circulant sur Internet de manière égale. C’est-à-dire à la même vitesse, sans discriminer l'expéditeur, la nature des données (mail, photos...) et leur destinataire. Ce terme a été popularisé en 2003, par Tim Wu, un professeur de Droit de l'université new-yorkaise Columbia, dans un article intitulé "Network Neutrality, Broadband Discrimination".

En 1994, Al Gore, vice-président des États-Unis de 1993 à 2001, décrivait les réseaux d’Internet comme des “Information Superhighways” (les autoroutes de l’information, en français). Si on prend cette expression au pied de la lettre, supprimer la neutralité du Net reviendrait à autoriser certains véhicules à rouler sur des voies rapides, tandis que d’autres seraient condamnés à emprunter des petites routes où la vitesse est limitée.

DU PRINCIPE À LA LOI

Le débat autour de la neutralité du Net ne date pas d’hier. Une des premières briques de la neutralité du Net a été posée en février 2004, par Michael Powell. Président de la FCC à l’époque, il définit les Four Internet Freedoms (les quatre libertés d’internet) que “l’industrie du haut-débit est censée respecter”. Puis, en septembre 2005, son successeur Kevin Martin, fait une déclaration de principe sur la neutralité du Net : "Les utilisateurs doivent pouvoir accéder au contenu légal de leur choix sur internet".

Suite à plusieurs bras de fer juridiques avec les FAI américains (Comcast, Verizon…), la FCC a émis, en mai 2014, l’éventualité que les opérateurs puissent instaurer "un traitement préférentiel" pour l’accès à certains contenus. Ces derniers se plaignaient - et se plaignent toujours - que les plates-formes vidéo, par exemple, consomment de plus en plus de bande passante sans contribuer aux investissements des infrastructures.


Quasiment un an après, l’énorme mobilisation de la Toile et le positionnement de Barack Obama en faveur de la neutralité du Net, ont eu raison de cette pré-mesure. Le 26 février 2015, la FACC a requalifié l’internet haut débit comme “service d'utilité publique”, au même titre que l'électricité ou encore le réseau téléphonique. Depuis, ce cadre réglementaire oblige les fournisseurs d’accès à respecter ce principe, sous peine de sanctions.

LES ARTISANS DE LA DÉRÉGULATION

Le 14 décembre, l’administration Trump pourrait bien détricoter cette réglementation adoptée sous l’ère Obama. L’administration Trump ? Oui, car Ajit Pai, le gendarme en chef de la FCC a été nommé, en mars dernier, par... Donald Trump lui-même. Membre du Parti Républicain et ancien avocat du groupe de télécoms Verizon, il affiche depuis des mois son hostilité à la neutralité du Net. Dans une tribune publiée dans The Wall Street Journal, le gendarme en chef des télécoms explique vouloir "empêcher le gouvernement de micromanager Internet" en mettant fin à une gestion des FAI digne “des années 1930”. Selon lui, le rôle de la FCC doit être uniquement de "forcer les fournisseurs d’accès à être transparents afin que les utilisateurs puissent choisir les offres qui leur conviennent le mieux".

Sur les cinq commissaires chargés du vote : trois Républicains contre deux Démocrates. Le résultat du scrutin penchera certainement vers la dérégulation défendue depuis des lustres par le Parti républicain. L’un des commissaires, un certain Brendan Carr, a d’ailleurs collaboré avec certains FAI, tels que AT&T et Verizon, qu’il est censé réguler aujourd’hui.

Les principaux FAI américains tels que Comcast ou encore Verizon applaudissent cette dérégulation des deux mains. Pour eux, la mise à mort de la neutralité du Net est une véritable aubaine : ils pourraient établir des accords commerciaux avec des services en ligne et ainsi ralentir certains flux pour en accélérer d'autres.

LES PARTISANS DE LA NEUTRALITÉ DU NET

En face, on retrouve les défenseurs historiques de la neutralité du Net, dont le papa du web Tim Berners-Lee qui dénonce la création d’un “internet à deux vitesses” (two-tiered model). Du côté du camp démocrate, de nombreux élus, tels que Bernie Sanders, Elizabeth Warren ou encore Maria Cantwell, s’opposent à cette dérégulation. Même son de cloche du côté de la Silicon Valley où les entreprises, petites et grandes, défendent le principe de la neutralité du Net.

Et depuis 2011, Fight for the Future, une organisation à but non lucratif oeuvre dans ce sens. Sur la plateforme Battle for the Net, l’American Civil Liberties Union (ACLU) et l’Electronic Frontier Foundation (EFF) ainsi que des géants de la tech tels que Netflix, Reddit ou encore Mozilla, invitent les internautes à écrire au Congrès pour stopper le futur vote de la FCC.

QUELLES CONSÉQUENCES SUR LES UTILISATEURS ?

Qu’un Américain paie son forfait Internet 30 ou 60 dollars, il a accès aussi rapidement à une série sur Netflix ou aux photos postées sur Instagram. Voilà précisément ce qu’il pourrait changer si la FCC vote en faveur d’une déréglementation. Fin octobre, le Représentant de Californie Ro Khanna l’a illustré dans un tweet, en prenant l’exemple du Portugal et de l’opérateur MEO.

Après avoir souscrit à un abonnement de base, l’utilisateur doit payer des packages supplémentaires suivant les services (Facebook, Spotify, Gmail…) auxquels il souhaite avoir accès. L’opérateur Vodafone a le même fonctionnement au Royaume-Uni, rapporte le Los Angeles Times.

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