[Les experts du numérique] Les robots dans nos vies : un impensé juridique
Alors que l'intelligence artificielle obsède le débat économique, notamment pour son effet sur l'emploi, le droit semble silencieux sur la question. Or, l'irruption massive de ces technologiques pose de très nombreuses questions. Faudra-t-il changer le Droit, pour que les robots aient aussi des devoirs ? Ou élargir les droits des humains pour les protéger des robots ? Jérémie Giniaux-Kats et Jérôme Giusti, avocats au cabinet Metalaw esquissent une réponse.
Soyons irréligieux. L’innovation est neutre. La même invention peut sauver l’humanité et la faire disparaître toute entière. Telle machine détruire des emplois et par ailleurs, en créer. Soyons agnostiques. Le droit est neutre : ce qu’une loi peut aujourd’hui faire, une autre loi, demain, peut la défaire. Seules comptent, en vérité, la volonté commune de faire société et la direction que nous voulons donner à notre monde. Les juristes sont généralement absents de ce débat. Muets ou inaudibles. Nous sommes des juristes atterrés. Atterrés de constater l’impensée juridique en matière d’innovation technologique.
Prenons deux exemples, liés à la possible robotisation de nos vies. Le terme robot est ici entendu dans son acceptation la plus large, incluant tout processus, notamment algorithmique, pouvant effectuer une tâche autrement confiée à l’homme. La robotisation impose un déplacement de la valeur ajoutée de tous les métiers. Ce phénomène nécessite de nouvelles compétences et, à terme, une mutation profonde du monde du travail et des travailleurs eux-mêmes.
Un robot à la place des artistes
L’intelligence artificielle arrive ainsi en force dans le domaine de l’industrie créative. Le robot pourrait-il remplacer un jour l’artiste ? Pour créer une intelligence artificielle dans le domaine musical, il faut collecter des milliers de titres de musique et entraîner la machine à les reconnaître. A force de reconnaître des milliers de musiques, la machine renforce progressivement sa stratégie et peut, de fil en aiguille, composer elle-même des mélodies, des musiques et des chansons.
Or, parmi les multiples données traitées par la machine, figurent donc des contenus protégés par des droits de propriété intellectuelle. Les concepteurs d’intelligence artificielle s’interrogent aujourd’hui sur le fait de savoir s’ils doivent requérir, pour ce faire, une autorisation auprès des auteurs ou leurs ayants droit alors qu’ils ne diffusent pas en public les morceaux de musique et se contentent de faire apprendre par leur machine, dans le secret de leurs laboratoires, des partitions en masse.
Si la loi les y oblige, les concepteurs se demandent encore comment pourraient-ils le faire en pratique, alors que ce sont des milliers de musique que leur machine dévore ? Faudra-t-il demander à tous une autorisation ? Le droit est hésitant sur ce point. Mais la réponse est sans appel : veut-on vraiment une musique sans auteurs qui des auteurs, aura tout appris ? Et si oui, comment cette musique, sans auteur et donc, sans droit d’auteur, se protégera elle-même contre la copie ? Les robots ne tuent pas les droits d’auteur. Pour mieux exister, ils doivent les renforcer. L’intelligence artificielle a résolument besoin de la propriété intellectuelle pour vivre.
Comment négocier avec un robot ?
Un autre exemple cristallise à merveille les peurs de notre temps : celui du robot se substituant au salarié et privant, de fait, toute une population active de son revenu. Exosquelette décuplant les forces d’un manutentionnaire ou algorithme dictant des investissements à la nanoseconde, le robot œuvre déjà tantôt comme simple outil, tantôt comme un supérieur hiérarchique invisible dans l’entreprise.
De fait, il peut exercer un pouvoir de direction. Relativement plus neutre qu’un supérieur humain (qui l’aura néanmoins paramétré), il semble plus à même de déterminer qui est éligible à telle prime ou telle promotion ou encore, à surveiller l’utilisation des heures supplémentaires et forfaits jours au sein d’une équipe. Quelle place néanmoins pour la négociation avec une machine, quand, la négociation est au cœur de la relation de travail ?
Nous vivons la première phase de cette cohabitation, qui nous voit robotiser l’humain : nous adoptons par nous-mêmes ce que nous pensons être le mode opératoire de la machine pour interagir avec elle. L’humain augmenté en est l’aboutissement. Faudra-t-il envisager l’équivalent d’une clause de dédit-formation lorsque l’employeur aura financé une augmentation permanente d’un salarié ? Autrement dit, le salarié devra-t-il jurer fidélité à son employeur en échange d’un implant ou d’une prothèse ?
Renforcer le droit social plutôt que créer un droit des robots
La seconde étape de cette évolution consistera à rapprocher le robot de l’humain. L’employeur aura la responsabilité de l’apprentissage par le robot de la sensibilité adéquate à son milieu professionnel. Car le robot sera avant tout ce que l’on en fera. Il pourra libérer un salarié de tâches ingrates comme il pourra devenir harceleur, discriminant, ignorant de la santé physique et psychique de ses collègues.
Avant de chercher un responsable pour une faute hypothétique, il est essentiel de rappeler le rôle de l’employeur : fournir un travail et une rémunération à ses collaborateurs, protéger et former, notamment au monde du travail de demain et bien sûr, encadrer et manager des robots.
Tous appellent un droit des robots, notamment pour régir la responsabilité de ces nouvelles entités.L’urgence n’est pas de créer un droit des robots mais de renforcer notre droit social pour accompagner et protéger les humains contre les possibles dérives « transhumanistes » et « technodéistes » d’un employeur augmenté par la machine.
Jérémie Giniaux-Kats, avocat Cabinet Metalaw et Jérôme Giusti, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication
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