Microsoft / Activision : pourquoi faut-il mettre tous les États d'accord pour valider le rachat ?
Le veto du Royaume-Uni, dont Microsoft a fait appel, menace son projet d'acquisition d'Activision-Blizzard, bien que l'UE et de nombreux pays aient donné leur feu vert. Malheureusement, il n'y a pas moyen de contourner cet obstacle, et Microsoft n'est pas le seul à en avoir fait l'amère expérience. Les explications de Benoit Le Bret, avocat au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel à Bruxelles.
Après le veto de l'autorité de la concurrence britannique, le feu vert de l'Europe et en attendant l'issue de la procédure de justice aux États-Unis, Microsoft a fait appel le 24 mai de la décision de la CMA.
Au-delà des difficultés que représente le veto britannique pour Microsoft, l'opération n'ayant désormais que peu de chances d'aboutir, l'émission de signaux contraires venant des différentes autorités antitrust pose question sur les procédures au niveau international. Dans un discours le 25 mai, la commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager a tenu à préciser que "malgré une issue divergente, la coopération avec les autres autorités dans le monde sur dossier Microsoft/Activision a été excellente". Elle a ajouté que les "résultats divergents demeuraient exceptionnels", et "qu'il y avait généralement un large consensus avec nos vieux amis de la CMA", rappelant que dans l'affaire Nvidia/Arm, les deux entités avaient accepté les mêmes remèdes.
Nous avons sollicité l'éclairage de Benoit Le Bret, avocat associé au bureau de Bruxelles du cabinet Gide Loyrette Nouel, pour bien comprendre les enjeux du dossier Microsoft et pourquoi le fait que l'autorité britannique n'ait pas accordé son feu vert risque de mettre fin au projet d'acquisition d'Activision-Blizzard.
L'Usine Digitale : Que se passe-t-il pour une opération de fusion-acquisition lorsque les différentes autorités de la concurrence émettent des décisions contradictoires ?
Benoit Le Bret : La logique, c'est que cela tue le deal. Il est en effet très difficile de circonscrire réellement l'effet ou l'absence d'effet sur le marché sur lequel il est interdit. Sur des marchés mondiaux à la production et/ou à la vente, il existe toujours des effets de bord transfrontaliers. Le détourage dans une économie globalisée est très compliqué, et la capacité de riposte de l'autorité reste possible dans le cas où il y aurait le moindre effet dans le pays concerné. En ce qui concerne Microsoft et Activision, c'est encore plus vrai, le cloud étant par définition un marché transfrontalier.
Comment analysez-vous la décision des autorités européenne et britannique ?
La Commission européenne a gardé la tête froide, et malgré les allégations d'abus de position dominante de Microsoft dans d'autres domaines, elle a regardé les remèdes proposés pour ce qu'ils étaient. La CMA a opté pour une posture plus dure, de même que les États-Unis. Pourtant, après avoir adopté un discours agressif et un champ de griefs plus large, la CMA en a abandonné l'essentiel en cours de procédure et on aurait pu croire légitimement qu'elle allait autoriser la fusion. Elle s'est finalement drapée dans une posture de concurrence pure, faisant dire à Microsoft que "le Royaume-Uni a fermé ses frontières au business". Là où la CMA n'a pas tort, c'est que le vrai sujet, pour l'avenir du jeu et en général, c'est le cloud.
Qu'est-ce que le veto de la CMA nous dit des relations entre Bruxelles et Londres ?
Je pense que c'est le paroxysme de l'illusion d'une île dans un monde globalisé. Le Brexit a ranimé cette illusion. La CMA seule contre le reste du monde, malgré l'impact macro-économique.
La situation vécue par Microsoft fait-elle figure d'exception ?
Les deals qui n'obtiennent pas de feu vert sont ultra minoritaires à l'échelle de l'ensemble des opérations de fusions-acquisitions, mais pas forcément à l'échelle d'un marché. Par exemple, dans les bourses, un marché très globalisé, les tentatives de fusion entre ensembles géographiques échouent fréquemment (Deutsche Börse avec NYSE Euronext, Deutsche Börse et LSE…).
Par ailleurs, même si ça reste rare, ce n'est pas la première fois que plusieurs autorités antitrust rendent des conclusions différentes. En 2001, l'Union européenne avait interdit la fusion entre General Electric et Honeywell par exemple, alors que les États-Unis l'avaient autorisée (comme 11 autres juridictions). En conséquence cette fusion n'a pas eu lieu.
Dans une économie mondialisée, les opérations de fusion-acquisition doivent-elles être validées par tous les pays du monde ? Et n'importe quel pays peut les bloquer ?
Dans la plupart des juridictions du monde, il existe une obligation de notification à partir de certains seuils seulement, et la saisine est suspensive jusqu'à l'obtention de l'autorisation formelle, dans des délais relativement compatibles avec les affaires. En Europe, selon la taille de l'acheteur, de la cible, de l'ensemble et le nombre de pays concernés, c'est la Commission européenne ou les États membres qui prennent en charge le dossier. Aux États-Unis, la procédure est différente. C'est l'autorité de concurrence (la FTC) qui se plaint et un procureur qui décide de poursuivre (le département de la Justice), et tant qu'il n'a pas gagné on peut en principe y aller.
Un petit pays, tout aussi souverain que l'UE ou les États-Unis, peut très bien faire capoter une opération de grande envergure. C'est arrivé qu'une opération soit interdite pour des raisons politiques par un pays dans lequel l'entreprise n'avait quasiment aucune part de marché. Par ailleurs, certains pays n'appliquent pas scrupuleusement de deadlines, comme la Slovénie. Une absence de décision peut ainsi faire échouer un deal pourtant autorisé chez les voisins.
Les décisions contradictoires des autorités montrent bien que l'antitrust n'est pas une science exacte et objective…
Bien sûr, des aspects politiques entrent en ligne de compte, comme on l'a vu pour l'opération entre Alstom et Siemens. Quand Volvo a voulu épouser Scania, cela ne semblait pas soulever de problème dans le reste du monde mais il y a eu un gros lobbying régional en Scandinavie, et la Commission a opposé son veto, au motif qu'il existait un sous-marché nordique dans les camions en raison des contraintes de climat, et la fusion aurait créé un monopole du camion nordique. L'arme des autorités de la concurrence dans ce cas-là, c'est souvent la segmentation de la définition de marché.
On a aussi vu la Commission se saisir du dossier Illumina / Grail, qui en théorie n'aurait pas dû être examiné vu que l'opération était sous les seuils et n'était pas notifiable. Mais la Commission a utilisé une nouvelle interprétation d'un article du règlement sur les fusions, qui lui permet de se pencher à la demande des autorités des Etats sur les "killer acquisitions" sous les seuils, qu'on retrouve ici dans la biotech mais qui peuvent aussi se produire dans l'économie numérique quand une grande entreprise rachète une start-up.
Quelle peut être l'issue de l'appel de Microsoft ?
Je crains que d'un point de vue business ce ne soit pas le sujet. Ce qu'on peut rappeler, c'est par exemple l'affaire de la fusion Schneider / Legrand. La Commission européenne avait mis son veto, puis sa décision avait été cassée. Mais le temps d'obtenir gain de cause, le mariage n'a jamais été consommé.
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