"Nous avons créé les conditions de succès de notre stratégie d'innovation", Yves Tyrode, Groupe BPCE
Doté d’une nouvelle direction Innovation, Data et Digital, le Groupe BPCE (Banque Populaire – Caisse d’Epargne) planche sur son futur plan stratégique, qui sera dévoilé dans six mois. Yves Tyrode, en charge de ces questions, revient pour L’Usine Digitale sur la transformation digitale de la banque de détail, qui s’avère payante.
L’Usine Digitale : Vous annoncez la création d’une direction de l’Innovation. Quel constat vous a amené à cette nouvelle organisation ?
Yves Tyrode : La création d’une nouvelle direction Innovation, Data et Digital s’inscrit dans la préparation du prochain plan stratégique du groupe et elle a pour objectif de concentrer les investissements et les ressources dans les projets porteurs de valeur pour les clients, et en tout premier lieu les clients des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne.
Il s’agit pour nous de la mise en œuvre d’une troisième phase. La première étape était de mettre en place tous les outils digitaux créés par les banques en ligne. C’était une phase de structuration et de remise à niveau par rapport à l’offre des pure player. Le digital n’était pas la priorité des grandes banques, qui se concentraient sur leurs produits et agences. Notre objectif était de créer une véritable équipe, avec des experts de l’e-commerce. Le groupe a également mis au point la plateforme 89C3 Factory, qui rassemble les initiatives tech, digitales et data du groupe. Autrement dit, nous avons créé les conditions de succès de notre stratégie d’innovation.
Il y a deux ans, une deuxième phase a commencé, qui a coïncidé l'arrivée de Laurent Mignon, nouveau président du directoire du Groupe BPCE. Parce qu’on ne voulait pas que le digital soit l’affaire d’un seul homme, le groupe a lancé le programme Digital Inside, que je mène en binôme avec Christine Fabresse, DG Banque de Proximité et Assurance, pour créer un dispositif digital opérationnel, arrimé à l’ensemble des métiers bancaires et diffusé partout au sein du groupe. Nous considérons le digital comme un produit bancaire interne.
La naissance d’une Direction de l’innovation ne veut pas forcément dire que l’organisation se transforme. Comment avez-vous choisi de diffuser cette mutation en interne ?
Ma conviction est qu’il ne faut pas mettre tous les experts digitaux au même endroit ! Quand on innove en matière de crédit, tout doit être fait en lien avec ceux qui travaillent sur le sujet et en fonction de la croissance des usages. Quand on monte une équipe qui est trop en décalage sur ces deux points, on reste superficiel, on ne traite pas les vrais sujets.
Alors que si on dispose d’une équipe d’experts qui est au service des métiers, on est alors en mesure d’aller au cœur des processus. Cette équipe doit bien sûr travailler ensemble et ne pas être dispersée, mais l’innovation est un sujet collectif, qui concerne les équipes IT et les équipes du pôle Banque de Proximité et Assurance.
Au cours de ces deux étapes, quels chantiers principaux ont été menés ?
Nous avons fait un énorme travail sur les applications mobiles, créé une division expérience utilisateur (UX), introduit la logique de Product Owner, et transformé les parcours de vente de crédits, en lien étroit avec les métiers bancaires et assurances. Aujourd’hui, 80% de nos clients ont accès à l’ensemble des fonctionnalités de nos applications.
Qu’est-ce que traduit cette nouvelle phase d’évolution ?
Nous entamons en effet une troisième phase : l’intelligence artificielle rejoint le pôle data dans la direction en charge du digital. Le premier axe, la donnée, doit nourrir les algorithmes d’intelligence artificielle de l’entreprise.
Pour nous, il s’agit d’ajouter du digital dans les services bancaires. Pour les clients, c’est la possibilité d’accéder à des services en ligne très simples, comme par exemple dès le premier confinement l’accès à la souscription entièrement en ligne d’un PGE [Prêt Garanti par l’Etat, ndlr]. Cette approche nous a permis d'assurer la continuité des services bancaires, qui était essentielle. La digitalisation complète de ce processus – nous étions les premiers à le proposer – a été une grande source de fierté. Plus de 80 000 PGE ont été signés en ligne entre mars et septembre.
A l’heure de l’essor de l’écosystème fintech, quels sont les atouts des grandes banques traditionnelles ?
C’est d’abord l’expertise autour de la gestion de la banque au quotidien. Aujourd’hui, si 80% de nos clients sont utilisateurs des fonctionnalités de nos applications, il y a pour les 20% restants un enjeu d’accompagnement et de pédagogie très fort. Nous ne sommes pas une banque pour les jeunes. Bien sûr, nous regardons, nous "benchmarkons" ce que proposent les néobanques, qu’elles soient nouvelles comme Revolut, ou plus anciennes comme Boursorama.
Mais il y a des sujets pour lesquels les clients ne veulent pas un parcours 100% en ligne. C’est par exemple le cas du crédit immobilier, pour lequel les consommateurs veulent comprendre et négocier.
Ce qui nous différencie, c’est aussi le fait que nous sommes un tiers de confiance. Nos agences font partie du tissu local, et nous intervenons dans les moments structurants de la vie des clients : l’entrée dans la vie active, la naissance d’un enfant, la construction d’une épargne. Ce sont des sujets qui reflètent la population, et en même temps c’est un défi. Le digital peut y répondre en automatisant l’ensemble des tâches à faible valeur ajoutée et laisser la partie service et expertise aux conseillers. C’est ce que représente pour nous le meilleur du digital.
La donnée est l’un des autres grands atouts des groupes bancaires…
Oui, elle l'était bien avant qu'on appelle cela "data", et c’est au cœur de cette troisième phase que nous sommes en train de construire. La banque a géré la donnée depuis… toujours. Elle a toujours protégé la donnée de son client, nous n’avons jamais vendu ou monétisé cette donnée. Ce n’est pas notre modèle, et c’est dans ce sujet que réside la confiance. Et le Groupe BPCE est très bien placée pour être un tiers de confiance dans cet environnement de données. Ce qui change profondément aujourd’hui, c’est ce que l’on peut faire de cette donnée.
Un autre sujet est pris à bras le corps par les fintech et par les banques : les cryptomonnaies. Quel regard portez-vous sur ces initiatives, et celles des monnaies numériques en général ?
La question de la monnaie est une prérogative d’Etat. Comment peut-on convertir des monnaies privées et non-étatiques, c’est une vraie question. Nous avons de notre côté une vraie responsabilité en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent que nous confient les autorités. Nous suivons le sujet et s’il évolue, nous répondrons présent ! Nous utilisons par ailleurs des technologies de blockchain pour d’autres applications, mais plutôt sur des niches. C’est ce que fait notre filiale Natixis qui s’y intéresse depuis 2015 pour l’amélioration des processus internes pour le trade finance et le commerce des matières premières.
Quels sont les grands sujets à venir pour le groupe BPCE ?
Dans le cadre de notre plan stratégique, qui sera annoncé mi-2021, le sujet qui s’ouvre à nous, c'est l'accompagnement des conseillers. Grâce à la donnée, qui est au service du conseiller, le client disposera de conseils éclairés avec un niveau de personnalisation jamais atteint. Nous travaillons notamment, au travers d’outils prédictifs, sur l’identification de "moments de vie", lorsque le client est amené à faire des projets. Notre objectif est de rentrer dans la vie du client… quand il a besoin de nous.
Un autre sujet est l’utilisation de technologies d’intelligence artificielle pour la reconnaissance de documents. Nous avons déjà automatisé des chaînes de production. Par exemple, le LEP (livret d'épargne populaire), qui est réservé aux personnes aux revenus modestes, nécessite chaque année un certain nombre de vérification, dont les règles d’éligibilité. Nous avons automatisé la vérification de l’avis de non-imposition.
Nous travaillons aussi sur l’analyse automatisée de certains justificatifs. Certains sont homogènes, comme les pièces d’identité, mais d’autres non, comme les justificatifs de domicile ou les bulletins de salaire. Nous avons fait appel à des prestataires externes pour mettre en place ces outils. Ce sont des données sensibles, donc le choix des partenaires est très important.
Vous travaillez avec des start-up ?
Oui, quand on ne peut pas faire quelque chose nous-même, à condition que ce soit des partenaires sur le long terme. Nous travaillons depuis deux ans avec de la start-up islandaise Meniga pour nos applications mobiles, ce qui nous permet de lancer de nouveaux services personnalisés de coach financier. Nous avons par ailleurs une prise de participation minoritaire.
Nous menons une approche très pragmatique avec les start-up et nous sélectionnons des entreprises qui sont déjà passées à l’échelle, capables de supporter nos volumes de clients et de transactions. 5,9 millions de clients ont consulté leur application mobile en septembre, en croissance de 5% par rapport à juin et nous avons enregistré 108 millions de virements sur mobile au troisième trimestre, en croissance de plus de 40% à période comparable.
Le nouveau pôle Innovation, sous la direction de Frédéric Burtz, aura également comme objectif d’incuber des projets stratégiques internes/externes et la participation au capital de sociétés technologiques. Nous ne voulons pas agréger un ensemble de start-up au sein d’une entité, nous voulons rester ouvert. Nous avons été les premiers en 2017 à mettre à disposition en Open Data nos données publiques. Aujourd’hui l’ouverture n’est plus une option. C’est une obligation.
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