Oubliez Slack ou GitHub, l'australien Atlassian est le vrai champion du travail collaboratif

A contre-courant des startups vedettes de la Silicon Valley, l'éditeur australien Atlassian a réussi à se forger une place de choix sur le marché des outils collaboratifs.

Ses produits sont utilisés par plus de 54 000 entreprises dans le monde, dont de très grands groupes. Retour sur sa success story.

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Oubliez Slack ou GitHub, l'australien Atlassian est le vrai champion du travail collaboratif

Il est des entreprises dont la simple création suffit à faire le buzz dans les médias, des années avant qu'elles ne sortent un produit. Il en est d'autres qui cultivent leur réussite discrètement sans que le monde ne réalise leurs accomplissements. C'est le cas d'Atlassian, un éditeur de logiciels dont l'offre s’articule autour de quatre produits : Jira, pour la gestion de projets et de bugs, Confluence, pour la documentation collaborative (comme un Wiki), Bitbucket pour le partage de code (similaire à GitHub), et HipChat pour la communication instantanée (comme Slack).

Un modèle e-commerce B2B novateur, sans forces de vente

"En Australie, il est mal vu de trop se mettre en avant par rapport aux autres, explique Jay Simons, président de l'entreprise. Même si nous sommes devenus global, cette culture nous est restée." Pourtant, son succès est indéniable. Atlassian s’est lancée à Sidney en 2002. L’entreprise s’est d’abord démarquée par son business model, qui fait fi des traditionnelles équipes commerciales et propose tous ses tarifs en ligne. Pas de "contactez-nous pour obtenir un devis", tout est indiqué noir sur blanc, et tout peut se faire en ligne, automatiquement, même pour une très grande entreprise. "Pour autant, s’ils ont besoin d’aide, nous avons des équipes prêtes à leur répondre, mais le but n’est pas de négocier un prix à chaque transaction," précise Jay Simons. Une approche rafraîchissante (et très économe) qui a su séduire sa cible originelle : les équipes de développeurs.

14 ans plus tard, Atlassian est présent dans 160 pays, ses produits sont utilisés par plus de 54 000 organisations dont 85 entreprises parmi les Fortune 100, elle réalise 40% de son business en Europe, et a dépassé les 4 milliards de dollars de revenus engrangés depuis 2014. En décembre 2015, l'entreprise est rentrée en Bourse au Nasdaq pour 531,3 millions de dollars. Surtout, elle ne se limite plus aux développeurs. Son outil phare, Jira, se décline en version Service Desk, à destination des équipes de helpdesk informatique, de support client, de ressources humaines, de service juridique… Et c’est cette version qui croît le plus rapidement, répondant aux besoins d'équipes très diverses en matière d’outil de travail collaboratif.

Une vraie boîte à outil pour le travail collaboratif

La ville d’Helsinki en Finlande utilise Jira pour répertorier les interventions de plombiers sur la voirie. Sotheby’s, la maison de ventes aux enchères, s’en sert pour coordonner les mouvements logistiques des œuvres d’art. "Nous n’aurions jamais pensé à un usage de ce type lorsque nous avons créé Jira, mais il est tellement flexible qu’il peut le gérer," se félicite Jay Simons. Signe de cette flexibilité, un add-on (une extension créée par un développeur tiers) le transforme même en logiciel CRM, le positionnant directement face à des poids lourds comme Salesforce.

Pour le moment, Atlassian ne compte pas aller chercher ce marché elle-même. "Nous nous concentrons sur la construction d’une plate-forme extensible", reprend Jay Simons. Il ne s’interdit pas d’aller sur d’autres marchés verticaux à l’avenir, mais l’honneur est laissé aux développeurs de son écosystème pour le moment.

L’arrivée des add-ons sur Jira Service Desk (ils existaient déjà sur les autres versions) était l'une des annonces de la conférence développeurs annuelle, Atlas Camp, qui s'est déroulée à Barcelone du 23 au 25 mai. Son positionnement en tant que plateforme autour de laquelle se crée un écosystème de développeurs tiers est essentiel à sa croissance. Atlassian y aussi a présenté Bitbucket Pipelines, qui permet des mises à jour continues sur son répertoire de code, des versions mobiles (iOS et Android) de Jira et Confluence et de nouvelles fonctionnalités de connexion avec des services externes pour HipChat.

Une réussite discrète face au buzz des startups américaines

Si la croissance d'Atlassian s’est faite de manière organique, par bouche à oreille à la fois en interne (de service à service) et à l’extérieur, l'entreprise n’a pas bénéficié du "hype" dont savent si bien jouer les startups de la Silicon Valley comme Slack. "Le succès d’Atlassian vient simplement du fait que ses produits sont bons, explique Samir Shah, le fondateur de Zephyr, qui édite des solutions de test logiciel et est le plus gros créateur d’add-ons du marketplace d’Atlassian. Quand vous faites des bons produits, les gens viennent les chercher même si vous ne les démarchez pas." Une situation qu’il oppose à celle des "licornes", ces startups dont la valeur boursière est estimée à plus d’un milliard de dollars, mais dont la viabilité réelle n’est pas garantie.

Cette adoption naturelle traduit une soif d'outils à la fois puissants, "cools" et boostant réellement la productivité. "Nous avons déployé la solution en test sur un petit groupe. Trois mois plus tard, 6000 personnes l’utilisaient au sein de l’entreprise. Ça s’est répandu de façon virale", explique Fred Ros, directeur de la qualité de la gestion du cycle de vie au sein du groupe Amadeus IT. Pour Jay Simons, le fait de les avoir développé dès le départ pour les pros aide les produits d'Atlassian à se démarquer par rapport à des concurrents comme GitHub, dont la popularité vient surtout de son utilisation par des indépendants ou dans le cas de projets open source. L'intégration de ses produits entre eux est aussi un plus non négigeable.

Pour renforcer sa marque dans l'espace public et booster son écosystème, Atlassian mise justement sur l’open source, dont la popularité ne se dément pas. L’entreprise offre depuis toujours ses licences gratuitement aux projets libres, et a annoncé avoir rejoint l’Open API Initiative aux côtés de Google, Apigee, PayPal et d'autres. Ce standard commun devrait lui permettre de taper dans un plus large vivier de développeurs, eux-mêmes attirés par la taille et la valeur de sa clientèle.

Une croissance boostée par un écosystème

Atlassian a débuté sur le marché avant la vague du cloud. L'éditeur s'y est mis dès 2008, et le cloud est depuis 2015 devenu la principale source de croissance d’Atlassian, ayant enfin dépassé l’offre serveurs internes (on-premise) historique. Le cloud a aussi permis le déploiement de la place de marché pour les extensions, qui contribue à renforcer l'attractivité de la solution. Ce marketplace cloud se targue d’une croissance de 75% en 2015, avec plus de 120 millions de dollars versés aux développeurs. Atlassian affiche un objectif de 500 millions dans les années à venir.

"Si vous voulez intégrer un écosystème aujourd’hui, vous n’avez pas beaucoup de choix, reprend Samir Shah. Si vous allez dans le grand public, chez Apple ou Google, vous risquez de passer inaperçu. Dans le B2B, les choix se limitent à Salesforces, GitHub, AWS et Atlassian. Si vous faites l’équation entre la puissance de la technologie, la praticité d’un modèle de vente type App store et les revenus potentiels, le seul choix est Atlassian." Et ce choix paie. Zephyr, qui emploie 90 personnes après 9 ans d'existence, a récemment levé 31 millions de dollars de fonds.

Pour le moment, l’écosystème Atlassian se compose d’environ 800 entreprises qui ont créé plus de 2000 extensions. Comme sur tout marketplace, on trouve de tout : De tous petits développeurs, comme le hongrois JExcel qui édite une interface pour Jira imitant celle d’Excel pour en simplifier la prise en main en entreprise côtoient des noms plus établis comme Zendesk, Twitter, Splunk ou les services de stockage cloud Dropbox, OneDrive, etc.

Le cloud... mais pas que

Les avantages du cloud (mise en place et réglage simplifiés, mises à jour effectuées de manière invisible, scalabilité…) sont indéniables. Atlassian s'appuie dans ce domaine sur des partenaires comme Amazon Web Services, qui utilise lui-même Jira sur 87 000 postes. Jay Simons reconnaît cependant que les problématiques de sécurité et confidentialité des données sont un frein à l’adoption du cloud, en particulier en Europe. "Nous allons continuer à investir pour favoriser son adoption. Nous voulons comprendre quels sont les blocages, qu’ils soient une question de conformité, de réglementation, d’implémentation… et les faire disparaître", affirme le patron.

C'est pourquoi le développement de l'offre on-premise (qui possède ses propres extensions, différentes de celles de la version cloud) se poursuit en parallèle, poussé par la demande des clients. Bon nombre des grandes entreprises qui utilisent Atlassian rechignent à évoluer vers le cloud. Il est très peu probable que BMW, par exemple, passe un jour au modèle cloud, d’après les dires d’un membre de son équipe IT. Amadeus IT Group utilise cette offre interne, et confie avoir approché le concurrent GitHub lorsqu'il a choisi sa solution. Mais cet acteur natif du cloud n'a pas su faire une proposition sérieuse, et c'est Atlassian qui l'a emporté.

On compte parmi les utilisateurs de la solution serveur la NASA, le département de la défense des Etats-Unis, Lufthansa, eBay, Citigroup, Coca-Cola, la Royal Bank of Scotland, Adobe, Twitter, Tinder, Tesla, Audi et plus de 25 grandes entreprises automobiles, ainsi que la quasi-intégralité de l’industrie vidéoludique. A l’heure du tout cloud, ces entreprises apprécient d’avoir le choix. La version de l’offre Atlassian on-premise dédiée aux grands comptes a d’ailleurs vu sa croissance tripler en 2015. Au final, l'histoire d'Atlassian a cela de réconfortant que les raisons de son succès sont les bonnes : écouter le client et créer les meilleurs produits possibles tout en restant humble.

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