Paris capitale des ICO : une course contre la montre jonchée d'obstacles

Pour propulser Paris au premier rang mondial des ICO, l'Hexagone a décidé d'adopter une régulation souple et attractive. Mais entrepreneurs et investisseurs ont aussi besoin de règles fiscales et comptables claires pour se projeter. Si ces zones d'ombres ne sont pas résolues rapidement, c'est tout un gisement d'innovations futures qui pourrait lui filer entre les doigts.

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Paris capitale des ICO : une course contre la montre jonchée d'obstacles

Depuis le début de l'année, le gouvernement français ne cache pas ses ambitions : Bercy veut faire de Paris la capitale des Initial Coins Offerings (ICO). Au premier trimestre de 2018, les ICO réalisées dans le monde ont représenté l'équivalent de 6,3 milliards de dollars, selon le site spécialisé Coindesk. C'est plus que les montants levés au cours de 2017, pourtant déjà considérée comme une année record.

Les ICO désignent une nouvelle méthode de financement qui consiste à émettre des jetons virtuels (appelés des tokens) qu'une entreprise vend en échange de cryptomonnaies, bien souvent des bitcoins ou des ethers, mais aussi contre des devises classiques. Le boom des ICO est directement lié à l'engouement pour les technologies de la blockchain et les cryptomonnaies dont les cours se sont envolés en 2017. Cette nouvelle manière de lever des fonds représente aussi (et surtout) des avantages non négligeables pour une entreprise.

"Lorsque vous réalisez une ICO, il n'y a pas de dilution du capital de votre entreprise et il n'y a pas de pacte d'actionnaire comme c'est le cas traditionnellement lors d'une levée de fonds en capital-risque. Ce n'est pas non plus une dette. Vous avez simplement un engagement moral d'exécuter la promesse contenue dans les cryptoactifs que vous avez vendus", rappelle Paul Bougnoux, associé fondateur de Largillière Finance, un cabinet de conseils en fusions-acquisitions. "C'est un moyen de lever beaucoup d'argent, très rapidement sans avoir besoin de faire valider son business model par des VCs", complète Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner.

95% d'arnaques… mais aussi les Google et Alibaba de demain

Le dico des ICO
  • ICO : Une Initial coins offering désigne une méthode de levée de fonds par émission d'actifs numériques qui sont échangeable contre des crypto-monnaies, comme le bitcoin ou l'ether, dans la phase de démarrage d'un projet d'entreprise.
  • Token : Un token est un jeton virtuel qu'émet une entreprise lors de son ICO. Les investisseurs achètent ces tokens grâce à de la crypto-monnaie ou de la monnaie-fiat. Il existe plusieurs types de tokens. Les plus répandus aujourd'hui sont les utility tokens qui donnent droit à des produits ou des services futurs. Encore peu répandus, les security tokens s'apparentent quant à eux à des titres financiers.
  • Crypto-monnaie : Une crypto-monnaie est une devise virtuelle qui s'échange de pair à pair par l'intermédiaire d'un registre distribué que l'on appelle blockchain. Les transactions sont validées grâce à des calculs cryptographiques.
  • Blockchain : La blockchain est le protocole technologique sur lequel s'appuient les monnaies virtuelles.

 

Revers de la médaille : une très grande majorité des ICO sont considérées aujourd'hui comme des scams, c'est-à-dire des arnaques. "Notre conviction, c'est que 95% des ICO qui ont été réalisées jusqu'à présent déboucheront sur une valeur nulle. Pourquoi ? Parce qu'il y des projets fantaisistes ou des équipes qui ne sont pas capables de les exécuter correctement. Un projet d'ICO nécessite un savoir-faire technique, juridique, financier et managériale. Il y a bien sûr aussi des arnaques ou des entrepreneurs qui ne prennent pas suffisamment de dispositions pour conserver en toute sécurité les cryptoactifs", avance Paul Bougnoux.

Si les ICO sont tant décriées, pourquoi la France souhaite-elle s'emparer du sujet et faire de Paris la capitale de ces levées de fonds en cryptomonnaies ? "95% des levées sous forme d'ICO risquent de se terminer avec une valeur 0. Mais dans les 5% restantes, vous avez sûrement les Google et Alibaba de demain", prédit Paul Bougnoux. Même son de cloche du côté du régulateur : "Sur le marché, il y a bien des projets farfelus ou proches de l'escroquerie, mais il y a aussi des projets intéressants qui auront plus ou moins de succès économique. Il s'agit d'un mouvement de fond sur lequel le régulateur doit se pencher", répond Benoît de Juvigny, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Ignorer cet engouement pour les ICO, ou pire leur barrer la route, c'est donc se priver de futurs gisements d'innovations et de leurs effets positifs sur l'économie française (développement d'un écosystème, créations d'emplois directs et indirects, etc.)

Une régulation ad hoc pour gagner en attractivité
Preuve de l'intérêt du régulateur français pour le sujet : le gendarme des marchés boursiers planche actuellement sur l'élaboration d'un visa optionnel. Concrètement, si elle répond à un certain nombre d'exigences, une entreprise porteuse d'un projet d'ICO pourra obtenir un tampon de l'AMF. De quoi renforcer sa crédibilité, attirer plus facilement les investisseurs et, in fine, lever plus d'argent. La liste exhaustive des informations que devra fournir une entreprise pour obtenir ce sceau n'a pas encore été arrêtée. Elle sera inscrite dans la loi Pacte qui devrait être promulguée en 2019.

Benoît de Juvigny énonce toutefois les grands principes qui soutiendront l'obtention de ce visa : "Il devra y avoir une entité légale enregistrée ou immatriculée en France comme support du projet. Les investisseurs qui investiront dans ce projet devront être identifiés. Il faudra s’assurer que les fonds ne puissent pas venir de n'importe où. Nous demanderons une description du projet, de sa technologie et des risques associés à cette technologie. Nous demanderons des informations sur le jeton lui-même et les éventuels droits associés à ce jeton. Nous demanderons également des informations sur les parties liées et sur les garanties apportées pour sécuriser le portefeuille électronique".

Pour faciliter l'émergence des ICO en France, l'AMF travaille également sur la question des marchés secondaires des tokens et sur la création éventuelle d'un statut juridique particulier pour les plates-formes d'échanges de cryptoactifs, dont une grande majorité se situe aujourd'hui en Asie et aux Etats-Unis. Une piste que préconise d'ailleurs Jean-Pierre Landeau, l'ex-gouverneur de la Banque de France, dans un rapport sur les cryptomonnaies qui vient d'être remis au ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

L'urgence d'une clarification comptable et fiscale

Si la position de l'AMF a été saluée par l'ensemble de la communauté blockchain (qui a largement participé à la consultation publique menée par l'institution), celle-ci n'est pas suffisante pour faire de Paris la capitale des ICO. De nombreux écueils doivent encore être surmontés pour rendre la place parisienne attractive.

Tous les acteurs de l'écosystème pointent ainsi du doigt le flou juridique qui demeure autour du traitement comptable et fiscal des cryptomonnaies. "Nous ne savons pas comment la fiscalité s'applique. Bercy ne s'est pas encore prononcé sur le traitement des fruits d'une ICO. Est-ce que la totalité des ventes de tokens doit être comptabilisée dans le chiffre d'affaires de l'entreprise (ce qui gonflerait significativement le résultat fiscal qui sert de base de calcul à l'impôt sur les sociétés, ndlr) ? Cela fait un an que nous attendons une réponse et comme Bercy ne se prononce pas, les commissaires au compte ne sont pas à l'aise pour certifier les comptes", regrette Frédéric Montagnon, serial entrepreneur à l'origine de la plate-forme Legolas qui a finalisé une ICO en février 2018.

"Quant aux particuliers détenteurs de cryptomonnaies, l'absence de régime spécifique aux plus-values semble conduire à leur appliquer un régime fiscal extrêmement défavorable, avec un taux maximum de 62%", déplore, pour sa part, un récent rapport rédigé par France Stratégie. Les associations France Digitale et la Chaintech plaident ainsi pour une simplification du traitement fiscal des cryptomonnaies avec une taxation à 30% des plus-values, soit le taux de la "flat-tax".

Une nécessaire réflexion interdisciplinaire

Le troisième et dernier obstacle concerne le droit au compte bancaire. "Il est arrivé que des entrepreneurs ayant collecté des cryptomonnaies dans le cadre de leur ICO se voient fermer leur compte bancaire car les établissements estiment qu'ils ne sont pas en conformité au regard des règles relatives à la connaissance client (KYC) et à la lutte contre le blanchiment d'argent (AML)", explique Joëlle Toledano, présidente du groupe de travail Blockchain de France Stratégie. Or, il n'est pas possible en France de faire tourner une entreprise sans disposer d'un compte en banque.

Résultat : de nombreux entrepreneurs français s'impatientent du silence de Bercy et craignent qu'entre temps d'autres pays tirent leur épingle du jeu. "Ces délais sont un peu stressants pour tout le monde et, juste à nos frontières, des cantons suisses proposent déjà des cadres pour les ICO vraiment idéaux", commente Frédéric Montagnon. Aujourd'hui, près de 7% du marché mondial des ICO serait réalisé en Suisse alors que l'Hexagone en capterait moins de 2%.

"Le sujet n’est pas régulatoire. L’AMF est très active mais l’émergence de la crypto finance dépend surtout de l’implication des acteurs clés de la finance traditionnelle (banques, fonds d’investissement et sociétés de gestion régulées, plateforme de change, all-kyc, ...)", prévient Paul Bougnoux de Largillière Finance. "Si on veut disposer d'un cadre attractif, il faut que toutes les dimensions soient prises en considération, à la fois pour les entrepreneurs, les investisseurs et les épargnants. C'est un sujet transversal. France Stratégie appelle donc à la plus grande interdisciplinarité entre les différentes autorités compétentes", insiste Joëlle Toledano.

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