Processus de commande en ligne : le diable se cache dans le détail !
Souvent, les professionnels considèrent que la souscription en ligne de commande est balisée réglementairement et qu’elle peut donc être mise en place sans avoir ultérieurement à évoluer. Seulement, la jurisprudence vient préciser certains flous et manques de la réglementation ou prendre en compte certaines pratiques de la Place. Marie M. Caprioli et Pascal Agosti du cabinet Caprioli & Associés tirent les conséquences de certaines d’entre elles (sans pour autant prétendre à l’exhaustivité).
Petit rappel : le cadre juridique applicable, un inventaire à la Prévert
Les textes qui réglementent le commerce électronique sont foisonnants :
- désormais la classique Directive Commerce électronique qui sera amendée par le futur Digital Service Act et qui est transposée aux articles 1127-1 et s du Code civil ;
- la directive 2011/83/UE relative aux droits consommateurs transposée dans le Code de la consommation ;
C’est au juriste de guider au sein de cette jungle textuelle les chefs de projet désireux de mettre en place des processus de souscription de commande en ligne mais, si connaître la loi est incontournable, l’actualité jurisprudentielle doit également être étudiée pour encadrer le processus. Quelques exemples le démontrent.
Comment savoir quand suis-je engagé financièrement ?
Qui n’a jamais réservé un hôtel par le biais d’une plateforme en ligne afin de se simplifier la tâche laborieuse de l’organisation de ses vacances ? Il s’agit là d’un usage de plus en plus habituel pour les consommateurs par ses aspects pratique et spontané. De plus, l’utilisation de ces plateformes par leurs utilisateurs s’avère sans grande difficulté. Bref, tout est fait pour nous faciliter la vie. Seulement, à quel moment vous engagez-vous à payer votre chambre d’hôtel sélectionnée ? Plus précisément, dans quelles circonstances le consommateur est-il dans l’obligation de rembourser les frais d’une potentielle annulation ? La réponse a été donnée par la CJUE, le 7 avril 2022.
Une société allemande et propriétaire d’un hôtel loue ses chambres notamment par l’intermédiaire du célèbre site internet Booking (plateforme de réservation d’hébergements en ligne). En visitant ledit site, un consommateur trouve l’hôtel de son choix dans les résultats affichés et clique sur l’image pour accéder aux photos des chambres disponibles et aux informations supplémentaires (équipements, prix, etc.). Ayant décidé d’y réserver quatre chambres, le potentiel client clique sur le bouton "je réserve", puis, renseigne ses données personnelles et les noms des personnes l’accompagnant. Enfin, il clique sur le bouton portant la mention "finaliser la réservation".
Néanmoins, le jour J, le client ne s’est pas présenté à l’hôtel. Conformément à ses conditions générales, la société lui a facturé des frais d’annulation en fixant un délai pour régler le montant mais aucun remboursement n’a été effectué. La société a donc saisi le tribunal afin d’obtenir la somme due par son client. Le tribunal a alors demandé à la CJUE : "pour déterminer si une formule inscrite sur le bouton de commande telle que la formule 'finaliser la réservation', est 'analogue' à la mention 'commande avec obligation de paiement', faut-il se fonder sur la seule mention figurant sur ce bouton ou bien, également prendre en compte les circonstances entourant le processus de commande ?". La CJUE fournit une réponse claire au regard de la directive 2011/83.
Elle rappelle les obligations à la charge du professionnel dans le cadre des contrats conclus à distance par voie électronique et au moyen d’un processus de commande avec obligation de paiement pour le consommateur. A ce titre, le professionnel doit préalablement fournir audit consommateur les informations essentielles relatives au contrat, puis, l’informer explicitement que la passation de commande engendre une obligation de paiement.
De plus, "le bouton de commande ou la fonction similaire doit porter une mention facilement lisible et dénuée d’ambiguïté indiquant que le fait de passer la commande oblige le consommateur à payer le professionnel". Néanmoins, les États membres sont autorisés à offrir la possibilité aux professionnels d’utiliser une autre formule analogue lorsqu’elle est dénuée d’ambiguïté par rapport à la naissance de l’obligation de paiement. A défaut, le consommateur n’étant pas expressément informé de son obligation, celui-ci n’aura pas à rembourser la somme réclamée par la société propriétaire de l’hôtel.
Les professionnels doivent donc être vigilants quant à la preuve du "consentement financier", les juges et les autorités en charge de la répression des fraudes sont en effet particulièrement soucieux de ce que le consommateur n’ait pas été engagé sans le savoir. La bonne information au bon moment. Ni plus, ni moins !
Comment dois-je recevoir mes informations précontractuelles ?
Souvent les sites de commerce électronique considèrent que les informations précontractuelles doivent obligatoirement être présentées sans aucune action de la part du consommateur, et notamment sans que celui-ci ait à cliquer sur un lien hypertexte.
Estimant que tel était le cas, la DGCCRF avait enjoint aux sociétés Cdiscount et Nature & Découverte de délivrer au consommateur les informations précontractuelles directement et non plus par hyperliens, comme elles le faisaient jusqu'alors. Mais, par deux jugements du TA Bordeaux du 23 novembre 2021 et du TA de Versailles du 22 novembre 2021, ces deux décisions d'injonction ont été annulées.
La DGCCRF aurait dû vérifier "si le fait de mettre à disposition ces informations par un hyperlien ne pouvait pas être regardé comme un moyen adapté à la technique de communication à distance utilisée […], permet un accès aux informations dans un langage clair et compréhensible". Par ailleurs, l'administration ne pouvait pas fonder sa décision en établissant un parallèle avec les dispositions exigeant une confirmation écrite directe des informations après la conclusion du contrat à distance (CJUE, 5 juillet 2012).
L’information précontractuelle échapperait donc à cette exigence de réception sur un support durable des documents sur lesquels il s’est engagé. Toutefois, il est à noter que rien n’indique qu’un tribunal judiciaire puisse arriver aux mêmes conclusions. Cette jurisprudence bien qu’intéressante est donc à relativiser et à suivre dans son développement.
Un processus de commande en ligne est donc par définition en évolution constante. Une revue régulière de celui-ci est donc à prévoir pour éviter de potentiels litiges d’une part mais aussi pour éventuellement le simplifier…
Marie M. Caprioli, juriste, doctorante et Pascal Agosti, avocat associé, docteur en droit
Caprioli & Associés, société d'avocats membre du réseau JurisDéfi
Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction
Processus de commande en ligne : le diable se cache dans le détail !
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir